Jean-Claude Lefort - Photo : site JC Lefort
Paris,
le 25 mars 2008
Monsieur
Nicolas Sarkozy
Président de la République
Palais de l’Elysée
55, rue du faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
Monsieur le Président
de la République,
Je m’adresse à vous de
manière très solennelle au sujet de la situation que vit l’un
de nos compatriotes, le jeune Salah Hamouri, pour lequel vous avez
déjà été saisi sans pour autant vous engager personnellement
ni vous prononcer sur son cas.
Salah Hamouri est un
jeune franco-palestinien de 23 ans qui habite en territoire
palestinien occupé, au Nord de Jérusalem-Est. Sa mère est française,
née Denise Guidoux. Son père, M. Hamouri, connaît la
situation de tous palestiniens qui résident à Jérusalem-Est :
il dispose d’une carte d’identité, dite de Jérusalem, mais
sa nationalité n’est pas reconnue – il n’est donc légalement
ni palestinien, ni israélien. Il est de fait « sans
nationalité ».
Salah Hamouri, bien que
franco-palestinien, est donc légalement français.
Ce jeune homme, étudiant
en sociologie, a été arrêté il y a trois ans, le 13 mars 2005
exactement, à l’occasion d’un contrôle d’identité à
l’un des nombreux « chekpoint » existants entre Jérusalem-Est
et Ramallah.
Arrêté sans en connaître
le motif – c’est ainsi que vivent journellement, sous
occupation militaire, tous les palestiniens victimes
d’humiliations et d’arbitraires inouïs –, il a été
conduit en prison puis ensuite traduit devant le tribunal
militaire israélien d’Ofer.
Le motif, notifié ultérieurement
de ces décisions, est le suivant : être passé en voiture,
trois mois plus tôt, devant le domicile d’un rabbin particulièrement
extrémiste, M. Yossef Ovadia, qui est aussi le chef du parti
Shass qui soutient le gouvernement de Monsieur Olmert. Ce fait est
combiné avec l’accusation qu’il serait membre du FPLP.
Cela a conduit la
« justice » militaire à estimer que cette affiliation
(supposée) au FPLP était, à elle seule, la preuve accablante
qu’il avait nécessairement des intentions « négatives »
à l’encontre du rabbin. Pourtant celui-ci n’a été l’objet
d’aucun acte attentatoire à sa personne ou à sa vie, à
fortiori de la part de Salah.
Après une période de 45
jours d’interrogatoires « spéciaux », en isolement
total, Salah Hamouri a, depuis 3 ans, comparu à 25 reprises
devant le tribunal militaire qui cherche à établir non pas
qu’il est l’auteur d’un délit quelconque (il n’y en a pas
eu) mais qu’il est bien membre du FPLP et qu’à ce seul titre
il avait donc obligatoirement des « intentions » négatives
vis-à-vis de ce rabbin.
Toutes les audiences (25)
ont été reportées faute de témoins pouvant accréditer cette
appartenance politique attribuée à Salah. Les témoins annoncés
n’étant pourtant pas insaisissables : ils étaient tous
des prisonniers. Il ne s’en est pas trouvé un seul, en trois
ans, pour venir ou être amené à la barre pour confirmer cette
« accusation ».
Or samedi 22 mars
dernier, j’étais informé que le Procureur du tribunal
militaire proposait à la famille, par le biais de l’avocate de
Salah, ce qu’il faut bien appeler un « marché » qui
a été verbalement ainsi formulé : « 7 ans de prison.
C’est à prendre ou à laisser et si vous laissez ce sera pire ».
Monsieur le Président de
la République, au nom de la France et de la défense des droits
de l’homme, vous ne pouvez pas accepter le sort totalement
injuste ainsi infligé à l’un de nos compatriotes.
Vous vous êtes prononcé
pour la libération du caporal Shalit, un jeune franco-israélien,
dont vous avez reçu les parents. Vous avez aussi plaidé la grâce
pour les responsables de l’Arche de Zoé. Pourquoi Salah Hamouri
devrait-il, lui, ne pas être secouru alors qu’il n’a commis
strictement aucun acte délictueux ?
Salah Hamouri est en vérité
deux fois « otage ». Il est l’otage de
l’occupation israélienne et de ses conséquences. Et il est
l’otage de la politique intérieure israélienne en ce que son
long emprisonnement permettrait de donner des gages au parti Shass
afin de renforcer son soutien, actuellement fluctuant, à la
politique de l’actuel gouvernement israélien.
La France ne peut pas
accepter que l’un des ses enfants soit otage pour quelque
« raison » que ce soit, fût-ce une raison d’Etat
qui n’est, selon Madame Rama Yade, qu’un « certain état
de la raison ».
Or force est de constater
que, bien qu’alertés à diverses reprises sur cette situation
inadmissible, les membres de votre gouvernement en charge plus
directement de ce « type » de questions n’ont à
aucun moment demandé, et exigé encore moins, la libération de
Salah Hamouri.
Relativement aux deux
autres cas évoqués on ne peut admettre ce « deux poids,
deux mesures ».
Que l’Etat d’Israël
soit un Etat ami de notre pays ne peut conduire la France à
couvrir tous ses faits et gestes.
En l’occurrence il
s’agit, ni plus ni moins, du respect des droits de l’Homme,
respect et défense dont vous avez estimé qu’ils devaient
dominer la politique étrangère de la France.
Dans ce cadre vous avez même
déclaré être déterminé à aller « chercher partout dans
le monde » tout citoyen français victime de l’arbitraire.
C’est pourquoi,
Monsieur le Président de la République, toutes les autres voies
utilisées vers les membres de votre gouvernement concernés s’étant
révélées infructueuses, voir désinvoltes ( ce que je peux
prouver mais ce n’est pas l’urgence aujourd’hui), je me
tourne vers vous.
Vous êtes en effet désormais
le dernier recours pour toutes celles et tous ceux qui, à
commencer par la famille de Salah Hamouri, n’ont eu de cesse
d’agir pour que la justice prévale également pour Salah
Hamouri et pour que sa libération soit exigée et obtenue. Il a déjà
fait trois ans de prison pour rien.
La prochaine audience où
le jeune Salah est convoqué se tiendra dans la deuxième
quinzaine du mois d’avril. Cela risque d’être la dernière
avec l’annonce de la sentence : 7 ans de prison. Sept ans
alors qu’il n’a rien fait et qu’un délit d’intention
supposé est la seule « charge » qui pèse sur lui.
Vous avez des enfants,
Monsieur le Président. Imaginez un instant ce que vous pourriez
ressentir si l’un d’entre ceux-ci devait connaître pareille
injustice et si la France le laissait « tomber ».
C’est pourquoi je vous
demande, solennellement, d’intervenir auprès de qui de droit
pour que Salah Hamouri recouvre la liberté et son droit de vivre
sa jeunesse comme tout un chacun. Infliger injustement et
arbitrairement 7 ans de prison à un jeune de 23 ans qui n’a
rien fait, c’est de facto condamner sa liberté et sa jeunesse
à une peine de mort.
La France ne peut être
complice de tout cela. La France des Droits de l’Homme ne peut
accepter l’inacceptable.
Dans l’attente de votre
diligente intervention pour la libération de Salah,
Je vous pire de croire,
Monsieur le Président de la République, en l’assurance de mes
respectueuses salutations.
Jean-Claude
Lefort
Député honoraire
Jean-Claude
Lefort – 6, place de l’Eglise – 94200 Ivry-sur-Seine