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Les Irakiens s'opposent à la
division de Bagdad en ghettos
James Cogan
25 avril 2007
Le plan de l’armée américaine
consistant à isoler une banlieue entière de Bagdad à l’aide
d’un mur en béton de trois mètres de haut a provoqué une
opposition générale de la part des Irakiens quelque soit leur
religion ou leur origine ethnique. Plusieurs milliers
d’habitants d’Adhamiyah, une banlieue à majorité sunnite,
ont manifesté lundi contre l’érection d’un tel mur. Sur
leurs banderoles on pouvait lire : « Ni chiite, ni
sunnite, unité des musulmans » et « Non au mur
sectaire ». Les dirigeants chiites des banlieues
avoisinantes ont eux aussi condamné la construction de ce mur.
Aux yeux des Irakiens ce
mur symbolise la haine d’une occupation américaine qui ne leur
a rien rapporté si ce n’est une vie quotidienne faite
d’humiliations, de misère et de violence. Une des banderoles de
la manifestation déclarait : « un mur de séparation
est une grande prison pour les citoyens d’Adhamiyah ». Les
habitants de cette banlieue considèrent ce mur comme le moyen de
les contrôler et non pas de les protéger. Selon un sondage réalisé
par le conseil municipal de cette banlieue dimanche passé, 90
pour cent des personnes interrogées étaient fortement opposées
à la construction de ce mur.
Le général américain
David Petraeus qui commande les troupes d’occupation a ordonné
qu’au moins dix des secteurs de Bagdad les plus difficiles à
contrôler soient entièrement fermés par une enceinte, comme
partie du plan de sécurité de Bagdad. Cinq brigades américaines
supplémentaires et des unités militaires irakiennes sont
actuellement en train de se déployer dans la capitale irakienne
pour faire ce travail. Une fois un secteur bouclé de la sorte, la
tactique de Petraeus veut que les forces gouvernementales
irakiennes et américaines y maintiennent des bases militaires et
y patrouillent de façon agressive dans le but de les « nettoyer »
en tuant ou en capturant les insurgés.
Bhazaliyah, un quartier de
l’ouest de Bagdad, est déjà ce que les officiers américains
ont baptisé une gated community [aux États-Unis, on désigne
ainsi un quartier à l’accès contrôlé, réservé aux classes
supérieures et surveillé par des gardiens]. Le terme de ghetto
toutefois, comme ceux qu’avaient établis les nazis en Europe de
l’Est pour les juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale, est
bien plus proche de la vérité. Les 15 000 habitants de ce
quartier sont soumis à un couvre-feu, n’ont qu’un seul point
de contrôle pour entrer et sortir du quartier, où on contrôle
leur identité et on les fouille de façon répétée. Selon le Washington
Post, l’armée américaine a l’intention de commencer à
utiliser des scanners pour enregistrer les empreintes digitales et
effectuer la reconnaissance de l’oeil de tous ceux qui devront
passer par ces points de contrôle.
Adhamiyah, un quartier
dont la population se monte à plusieurs centaines de milliers,
est le prochain secteur destiné à être bouclé par une
enceinte. Situé près du centre de la ville, sur la rive
orientale du Tigre, ce district était un lieu d’habitation prisé
des Arabes sunnites à faible revenu. C’est le seul district de
l’est de la capitale irakienne à population majoritairement
sunnite. Depuis l’invasion américaine c’est un des bastions
de la guérilla anti-occupation et une base opérationnelle contre
les forces américaines et celles du gouvernement irakien.
Il est possible qu’Adhamiyah soit aussi au
coeur de la guerre civile sectaire qui oppose extrémistes
sunnites et chiites à Bagdad. Les zones voisines de ce quartier
sont à grande majorité chiite et sont sous le contrôle
politique du mouvement fondamentaliste de l’imam Moqtada al-Sadr,
dont le quartier général se trouve dans le district ouvrier densément
peuplé de Sadr City, à l’est d’Adhamiyah.
Des commandos de la police irakienne et de
la milice sadriste de l’Armée du Mahdi auraient tué des
habitants d’Adhamiyah pour se venger des attentats systématiques
menés par des fanatiques sunnites contre des civils chiites. Des
résidents d’Adhamiyah ont établi leur propre milice pour se défendre
contre les incursions de la police et de l’Armée du Mahdi. Ce
secteur est périodiquement attaqué par des roquettes et des tirs
de mortier venant de Sadr City.
Les troupes américaines ont commencé la
construction du mur et l’isolement de la population d’Adhamiyah
le 10 avril, soutenant que cela la protégerait des attaques de la
milice. De longs pans du mur en béton ainsi que des sections en
fil de fer barbelé sont déjà en place. Comme à Ghazaliyah, le
but est de ne laisser que quelques points d’entrée ou de sortie
et de contrôler rigoureusement les allées et venues. De jeunes
sunnites risquent d’être suspectés d’avoir été impliqués
dans l’insurrection et détenus à des fins d’interrogatoire.
L’intensification des opérations américaines de ces derniers
mois a déjà entraîné la détention de cinq mille Irakiens de
plus. On dit que Petraeus s’attend à la détention de dizaines
de milliers d’autres Irakiens dans les prochains mois.
Dimanche, lors d’une conférence de presse
au Caire, le premier ministre irakien Nouri al-Maliki a appelé,
tardivement, à la cessation du projet, déclarant : « Je
m’oppose à l’érection du mur et sa construction cessera. »
Faisant clairement référence à la barrière de sécurité érigée
par le gouvernement israélien pour emprisonner le peuple
palestinien en Cisjordanie, Maliki a déclaré : « Ce
mur nous rappelle d’autres murs auxquels nous sommes opposés. »
L’opposition de Maliki à l’érection du
mur, qui s’est manifestée plus d’une semaine après le début
de sa construction, était une réaction à un barrage de
condamnations venant d’une multitude d’organisations en Irak.
Des dirigeants de la municipalité de Bagdad ont insisté pour
dire que l’Armée américaine avait débuté la construction du
mur sans leur consentement. Un résident d’Adhamiyah, Ahmed
al-Dulaimi, a déclaré au Guardian : « Cela
transformera tout le district en prison. C’est une
punition collective contre les résidents d’Adhamiyah. Ils vont
tous nous punir à cause de quelques terroristes. »
Un autre résident, Khadija Kubaissy, a déclaré
à l’agence de presse IRIN : « Entourer notre
quartier de murs de béton va clairement faire savoir que nous
serons en danger à l’extérieur de la zone. On nous force à
vivre dans un seul endroit. Nos vies devront se limiter à
quelques kilomètres carrés de maisons et de commerces. Au lieu
de nous isoler, ils devraient trouver une solution logique à la
violence et non pas causer davantage de souffrances et
d’hostilité. »
Le Parti islamique irakien sunnite, qui forme
une partie du gouvernement et qui collabore avec l'occupation, a
vertement critiqué la construction du mur : « L’isolement
de sections de Bagdad avec du fil barbelé et des murs de béton
entraînera des dommages sociaux et économiques et intensifiera
les tensions sectaires. Cette mesure fera du tort aux résidents
et aura des conséquences négatives plutôt que de régler quoi
que ce soit. »
Les sadristes chiites, dont les six
ministres dans le conseil des ministres de Maliki ont démissionné
il y a une semaine, ont aussi dénoncé le projet. Un représentant
du mouvement sadriste à Najaf a déclaré : « Le
mouvement sadriste croit que la construction d’un mur autour
d’Adhamiyah constitue un moyen d’assiéger le peuple irakien
et de le diviser en cantons [sectaires]. C’est comme le mur de
Berlin qui divisait l’Allemagne. Cette mesure est la première
étape d’une division de la ville en cantons et de l’établissement
d’un blocus contre la population. Aujourd’hui c’est
Adhamiyah, demain ce sera Sadr City. »
Confrontant une opposition
populaire grandissante, la position du gouvernement Maliki devient
de plus en plus intenable. Qasim Dawood, un membre de la coalition
chiite de Maliki, a dit à USA Today : « Le
gouvernement actuel n’est pas compétent. Il est plus ou moins
paralysé et inactif. Je doute beaucoup que ce soit un
gouvernement qui puisse se maintenir au pouvoir encore longtemps. »
Le parlementaire kurde influent Mahmoud Othman, qui soutenait le
gouvernement jusqu’à tout récemment, a critiqué Maliki pour
être « un premier ministre faible » et a ajouté : « Ce
gouvernement n’a pas livré la marchandise et n’est pas
capable de faire le travail. Il devrait démissionner. »
Il est loin d’être
clair, toutefois, que l’armée américaine va accorder la
moindre attention aux ordres du premier ministre irakien d’arrêter
la construction du mur d’Adhamiyah, une composante essentielle
de la stratégie sécuritaire de Bagdad. « Évidemment, nous
allons respecter les désirs du gouvernement et du premier
ministre », a déclaré lundi l’ambassadeur américain,
Ryan Crocker. Mais lorsqu’on a demandé précisément au
lieutenant-colonel Christopher Garver, porte-parole de l’armée
américaine, si les ordres de Maliki seraient suivis, celui-ci a
refusé de répondre.
Le brigadier-général
Qassim al-Moussawi, le commandant de l’armée irakienne
travaillant avec les forces américaines dans ce secteur, a carrément
dit lundi : « Nous continuerons à construire les murs
de sécurité dans le quartier d’Adhamiyah. » Moussawi a
prétendu que les dalles de béton qui ceinture le quartier n’étaient
pas un mur, mais des « barrières amovibles pouvant être
enlevées ». Il rejeta l’opposition qu’il a qualifiée
de « réaction de quelques faibles d’esprit ». Les
habitants d’Adhamiyah ont dit l’agence de presse IRIN que la
construction se poursuivait.
Si la construction du mur continuait, ce
serait alors, considérant les déclarations publiques de Maliki,
un autre clou dans le cercueil politique de son gouvernement.
(Article original paru le
25 avril 2007)
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