Promenades d'un économiste solitaire
La récession
européenne et ses conséquences
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 3 janvier
2012
En cette fin d’année 2011, l’Europe,
et en particulier la zone Euro, semble
être entrée en récession. Trois des
quatre premières économies de la zone
Euro, la France, l’Italie et l’Espagne
ont connu une fort mauvais quatrième
trimestre 2011 et devraient continuer
sur cette pente au moins pour le premier
semestre 2012. Il en va de même pour la
Belgique, et, bien entendu, pour la
Grèce et le Portugal. Rien de ceci n’est
étonnant. La mise en œuvre simultanée de
plans d’austérité dans ces différents
pays, décidés pour équilibrer les
comptes publics et « sauver l’euro », ne
pouvait que provoquer une contraction de
l’économie. À ceci vient s’ajouter la
politique des banques. Très exposées à
la crise de la dette souveraine,
fragilisées par les conséquences de la
crise des « subprimes » et les crédits
dits « toxiques », elles ont fortement
réduit le crédit interbancaire ainsi que
les prêts aux particuliers et aux
entreprises. La Banque Centrale
Européenne a bien tenté de prévenir ce
scénario, et elle a accordé d’importants
crédits pour une durée de trois ans aux
banques. Mais rien n’y a fait. Les
banques ont utilisé cet argent pour le
placer à très court terme (moins d’un
an), et de plus elles ont apporté une
partie de leurs créances à la Banque
Centrale Européenne. Le mouvement de
contraction des crédits n’a donc pas pu
être arrêté. Nous avons donc aujourd’hui
la conjonction d’une politique
déflationniste menée par les États et
d’une forte contraction du crédit,
impulsée par le secteur bancaire.
Les conséquences sociales sont
évidentes ; le chômage, déjà important
dans ces pays, va continuer à monter. Il
devrait atteindre les 23% en Espagne et
les 10% en France d’ici à la fin de
2012. Mais les conséquences économiques
et fiscales de cette situation seront
encore pires. Fiscalement, la
combinaison de la récession et de la
montée du chômage va réduire à néant, ou
peu s’en faut, les efforts consentis
pour réduire la dette publique. Avec la
baisse de la production intérieure ces
pays vont connaître une baisse plus que
proportionnelle de leurs recettes
fiscales. Sans le même temps, les
dépenses sociales vont augmenter
mécaniquement en raison de
l’accroissement du chômage. Le déficit
public, que l’on avait cru combattre par
les plans d’austérité, réapparaîtra dès
la fin du premier trimestre 2012, ce qui
rendra nécessaires de nouveaux plans
d’austérité, qui viendront ajouter leurs
effets déflationnistes aux précédents.
D’ores et déjà dans le cas de l’Espagne,
le déficit pour 2011 sera de 8% du PIB
au lieu des 6% prévus en raison de la
contraction de l’économie (et ceci sans
compter la régularisation des impayés
publics qui se montent à près de 10% du
PIB).
Par ailleurs, les agences de
notation, qui craignent tout autant la
dette que la récession, continueront de
dégrader les pays, les uns après les
autres. Cette dégradation signifie un
renchérissement des emprunts qui sont
nécessaires soit pour assurer le
refinancement de la dette existante soit
pour assurer le financement du déficit,
sur les marchés financiers. On sait déjà
que la France devra ainsi emprunter 178
milliards d’euros en 2012, l’Italie sans
doute 450 milliards, l’Espagne
probablement plus de 250 milliards, et
ceci sans compter les besoins de la
Grèce, du Portugal et de l’Irlande.
La hausse du coût de la dette pèsera
toujours plus lourd sur les budgets
publics, obligeant les gouvernements à
des choix cornéliens soit de réduire les
autres dépenses publiques (et d’aggraver
le mouvement déflationniste) soit
d’aboutir à un déficit plus élevé que
prévu.
Rien ne semble donc pouvoir arrêter
la spirale déflationniste dans laquelle
la zone Euro s’est engagée dans le faux
espoir de sauver la monnaie unique. La
poursuite de ce qui est aujourd’hui une
chimère ne sera pas sans conséquences
sur les pays voisins, en Europe et hors
de l’Europe.
La contraction du crédit dans la zone
Euro va affecter de manière importante
les banques des pays de l’est de
l’Europe, qui sont très dépendante pour
leur refinancement des banques
Allemandes, Autrichiennes (Raffeissen et
Volksbank) Françaises et Italiennes (Intesa
et Unicredit). Les 6 pays concernés
(Bulgarie, République Tchèque, Hongrie,
Lettonie, Lituanie, Pologne et Roumanie)
ont accumulé pour 652 milliards d’Euros
de créances par rapport à l’ensemble des
banques de la zone Euro contre seulement
131 milliards pour la Russie. Une
limitation des prêts des grandes banques
européennes aura des conséquences
importantes sur l’activité économique de
ces pays. On le voit déjà en Hongrie,
mais aussi en Pologne.
Mais la conséquence la plus
importante sera bien sur dans le domaine
commercial. Avec l’entrée en récession,
voire en dépression, d’une grande partie
de la zone Euro les pays émergents
exportateurs de produits manufacturés
seront les plus pénalisés. Pour les
exportateurs de matières premières
(comme la Russie et, dans une moindre
mesure le Brésil), l’impact sera
moindre, mais devrait pourtant être
notable. L’explication de cette
asymétrie dans les effets se comprend
aisément. Les matières premières sont
relativement peu élastiques aux
modifications, à la hausse comme à la
baisse, de la demande. Si, en période de
récession, les usines consomment moins
d’énergie par exemple, la consommation
des ménages reste relativement
inchangée. Par contre, en période de
difficultés économiques, il est toujours
possible de remettre des achats de biens
manufacturés à des jours meilleurs.
En Europe, les pays les plus touchés
seront la République Tchèque, la
Hongrie, la Roumanie et la Pologne. En
raison de leurs spécialisations
industrielles, la Chine, la Corée du Sud
et la Malaisie seront les pays d’Asie où
l’impact sera le plus important.
Ainsi, la récession de la zone Euro
devrait avoir des conséquences
importantes sur l’Asie mais aussi sur
l’Europe centrale et orientale où sont
concentrés les pays exportateurs de
biens manufacturés. Elle devrait avoir
des conséquences bien moindres au
Moyen-Orient et en Russie. Mais il est
clair que l’économie mondiale sera
affectée dans son ensemble. À ne penser
qu’à l’Euro, les dirigeants Allemands et
Français qui sont à l’origine des divers
plans d’austérité appliqués dans les
différents pays de la zone Euro ont pris
la responsabilité d’infliger une crise
dans la crise.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Jacques Sapir est un
économiste français, il enseigne à
l'EHESS-Paris et à l'École d'économie de
Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des
problèmes de la transition en Russie, il
est aussi un expert reconnu des
problèmes financiers et commerciaux
internationaux.
Il est l'auteur de nombreux livres dont
le plus récent est La Démondialisation
(Paris, Le Seuil, 2011).
© 2011
RIA Novosti
Publié le 6 janvier 2012
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