Opinion
Le crime de guerre
libyen
Israel Shamir
Israel Shamir
Lundi 2 mai 2011
Le procureur général de la Cour
Pénale internationale a annoncé jeudi dernier qu'il allait faire
un rapport aux Nations Unies sur les crimes de guerre imputés à
la Libye. Dans son document il devrait inclure le plus récent
des crimes de guerre, l'assassinat de la famille de Kadhafi, de
son fils et de trois de ses petits-enfants, assortis d'un
attentat contre le dirigeant libyen. Cameron et Sarkozy, le
commandement de l'OTAN sur place et les équipes aéroportées
devraient être traduits en justice pour ce crime.
La résolution 1970 du Conseil de
Sécurité de l'ONU n'a rien à voir avec cela. Cette résolution
stipulait une zone d'exclusion aérienne; elle ne donnait pas un
permis de tuer. C'est un cas patent d'attentat ciblé, aussi
brutal que n'importe quel assassinat. La date en a été prédite
par les Services secrets russes (SVR), avec une précision
laissant supposer une annonce préalable. Le 29 avril, un
site
russe publiait un article
de Kirill Svetitsky qui citait une source anonyme provenant du
SVR, selon lequel: "Il y a aura un attentat pour tuer Muamamar
Kadhafi le 2 mai ou avant. Les gouvernements de France, de
Grande Bretagne et des USA en ont pris la décision parce que la
guerre ne se déroule pas selon les schémas de l'alliance
anti-libyenne: l'armée régulière connaît des succès
substantiels; les tribus bédouines sont entrées dans la bataille
aux côtés du gouvernement; à Benghazi, un second front a été
ouvert par des milices armées locales, qui en ont assez de la
présence des rebelles, de leurs bagarres incessantes et de leurs
rapines."
Mais la raison principale de ce
chronogramme, dit le SVR, c'est que le parlement italien prévoit
de débattre de la participation italienne à la campagne de Libye
le 3 mai. Jusqu'à maintenant, les décisions étaient prises par
Berlusconi, mais il y a de solides différences d'appréciation à
l'intérieur de la coalition gouvernementale quant à la guerre de
Libye, et il se pourrait que ce soit la fin de ce gouvernement,
le 3 mai, et que l'Italie quitte de fait l'alliance
anti-libyenne. Ce qui pourrait déboucher sur un effet domino.
C'est pour cette raison que les dirigeants des USA, de la Grande
Bretagne et de la France ont décidé d'éliminer Kadhafi, avant
le 2 mai, avant la session du parlement italien le 3 mai.
Contrairement à bien des prédictions,
celle-ci était exacte ; nous en avons été témoins, le 1er mai,
les USA, la FRance et la Grande Bretagne ont raté un attentat
contre Mouamar Kadhafi, même s'ils ont réussi à tuer des membres
de sa famille, son fils et trois de ses petits-fils. Que l'on
ait eu vent de la chose à l'avance est inhabituel, et peut
impliquer que les dirigeants occidentaux aient prévenu les
Russes de l'attaque, ce qui a permis au SVR de se prêter à une
fuite.
L'attaque elle-même a été menée selon
le modèle des attentats ciblés israéliens. Il est de notoriété
publique (le
New York Times
en a fait état
que l'aviation israélienne a lâché une bombe d'une tonne sur un
logement de Gaza, tuant Salah Shehaded, dirigeant du Hamas, et
faisant, au titre de "dégâts collatéraux" 13 morts civils,
surtout des femmes et des enfants, outre de nombreux blessés.
Parmi les tués, l'épouse de Shehadeh Layla et sa fille de 15 ans
Iman, qui se trouvaient dans la maison avec lui. Ce meurtre a
été décrit comme un "crime de guerre", et concrètement des
militaires israéliens ont été poursuivis en justice pour cela en
Espagne et au Royaume Uni.
Si Dieu ne punit pas Las Vegas, il
doit s'excuser auprès de Sodome, plaisantait Jay Leno. De la
même façon, si les instigateurs de l'attentat contre Kadhafi ne
sont pas inculpés par les tribunaux, les Européens devront des
excuses aux tueurs israéliens.
Cette tentative brutale d'assassinat
devrait ouvrir les yeux à ceux de nos amis en Europe et aux USA
qui continuent à croire que cette guerre est "juste", ou du
moins "justifiable". Elle devrait servir de point de
rupture pour les interventions coloniales occidentales au Moyen
Orient. La même source russe, des services d'intelligence, a
transmis
un document, une
lettre des dirigeants rebelles promettant à la France 35% du
pétrole libyen.... Le tout pour
raisons "humanitaires"!
Il apparaît que l'affaire libyenne
est un montage, de mirages en enfumages. Au départ, le
soulèvement de Benghazi était un problème local mineur; les
rebelles ne jouissaient d'aucun soutien ailleurs. Le
gouvernement a été déstabilisé par Al-Jazeera, parce que le
réseau arabe populaire a diffusé la "nouvelle" selon laquelle
Mouamar Kadhafi et ses fils s'étaient enfuis vers le Venezuela,
tandis que ses mercenaires noirs déclenchaient un nouvel
holocauste sur les Libyens pris de court.
Al-Jazeera est tombée sur Kadhafi à
bras raccourcis, et a répandu plus de mensonges désastreux que
l'OTAN n'a lancé de bombes. Même maintenant, alors que les corps
des membres de la famille de Kadhafi étaient montrés aux prêtres
libyens, Al-Jazeera insistait, répandant des démentis depuis
Benghazi.
Stephen Lendman a correctement établi que "Al-Jazeera est devenue une machine
de propagande plus efficace contre l'opinion arabe que la BBC ne
l'a jamais été." Le soulèvement était dirigé par des détenus de
Guantanamo tels que
Abu Sufian Hamuda bin Kumu.
Peut-être qu'il faudrait les renvoyer aux USA avec des
remerciements... on se passera d'eux, merci bien.
La campagne de Libye mérite de finir
comme la précédente, la campagne de Suez, par un retrait piteux
des forces de l'OTAN, et le plus tôt possible, assez c'est
assez. Laissons les Libyens résoudre leurs différents entre
eux.
La Syrie, après la Libye?
Au même moment, les évènements de
Syrie commencent à éclairer différemment ceux de Libye. Alors
que le président Medvedev s'est arrangé pour contourner le
ministère des Affaires étrangères et le gouvernement de Poutine
en s'abstenant lors du vote sur la Libye au Conseil de Sécurité,
il n'y a aucune raison pour qu'un résultat comparable se
produise au sujet de la Syrie. La Syrie a une base navale russe
à Tartus, pratiquement la seule base que la Russie ait réussi à
garder depuis l'époque soviétique, après l'abandon de ses bases
à Cuba et au Vietnam. Mieux encore, la Syrie a une communauté
chrétienne orthodoxe qui soutient le président Bashar el Assad
et qui est ouvertement inquiète d'un éventuel succès des
rebelles de Dera qui sont considérés comme des salafistes
fanatiques et anti-chrétiens armés par les Saoudiens. La Russie
a été le protecteur traditionnel des chrétiens orthodoxes au
Moyen Orient, et n'a pas de raison de renier ses responsabilités
envers ces communautés.
Le point de vue syrien chrétien des
protestataires a été exprimé par le Patriarche latin d'Antioche:
"certains groupes dont l'objectif principal est de provoquer une
violente riposte de la part du gouvernement sont en train
d'infiltrer les manifestations qui au départ ont surgi à cause
des problèmes économiques et sociaux. La tension est montée au
point de susciter la condamnation de la part de la communauté
internationale. Il y a des criminels qui prennent part à la
contestation, il y a une introduction massive d'armes dans le
pays pour provoquer une confrontation... Bien sûr, il y a des
jeunes frustrés, mais beaucoup disent que parmi eux il y a des
criminels et même des fondamentalistes musulmans qui appellent
au Jihad. Je pense que les tactiques d'une guerre "téléphonée"
sont à l'œuvre en Syrie."
Il semble que les Russes vont
défendre la Syrie même si son gouvernement décide d'écraser
d'abord les fauteurs de troubles par le fer, comme Hafez el
Assad a écrasé la révolte de Ham. Il y a de la realpolitik à la
base: le Bahrein est la base de la Cinquième Flotte US, et c'est
pour cela que les dirigeants du Bahrein ont été autorisés à
supprimer leurs militants pour la liberté. La Syrie est la base
pour la flotte russe en Méditerranée, et la Russie tâche de
maintenir cette situation. Mais il y a aussi une raison
supplémentaire: les Syriens et leurs amis russes pensent que les
troubles sont fomentés par une agence étrangère: les Saoudiens,
les Américains, les Israéliens. Ils soulignent que la ville
frontalière de Dera'a (outre le fait que c'est le lieu où
Lawrence d'Arabie a été fustigé et piégé, selon son propre
compte-rendu dans Les Sept Piliers de la sagesse) est un
nid pour le radicalisme islamique militant type al Qaeda, et se
trouve juste à côté de Ramtha en Jordanie, un autre foyer du
radicalisme musulman lourdement infiltré par les services
secrets iraéliens.
S'agit-il là de conspirationnisme?
Peut-être, mais confirmé par les conspirateurs, en tout cas. Le
président Bashar el Assad s'est vu offrir par le sous secrétaire
d'Etat à la défense Michèle Flournoy un
marché:
brisez vos liens avec le Hezbollah et l'Iran, et nous verrons
les troubles cesser.
Mostafa Zein, du recommandable Dar
al Hayyat a résumé cela
résumé cela en ces termes:
'Les USA ont dessiné une feuille de route pour le régime syrien,
de façon à ce que le pays émerge de sa crise qui empire, en
suggérant qu'ils ont la clé magique pour faire que les
contestataires quittent la rue. Fournoy a dit: "La Syrie doit
prendre ses distances envers l'Iran et rejoindre les Etats du
Golfe, tout en faisant un pas en avant dans le processus de paix
avec Israël...' Le régime syrien considère qu'une telle feuille route est une
'conspiration' visant à le renverser de l'intérieur, après
l'échec des pressions depuis l'étranger."
Comme dans le cas de Kadhafi, le
dirigeant syrien n'est pas au-dessus de tout reproche. Bashar el
Assad fera bien d'écouter les réclamations des Syriens,
nommément:
- donner plus liberté au peuple et
moins à son mukhabarat, ses services secrets intérieurs;
- corriger l'injustice dans la
distribution de la richesse et les positions du gouvernement
entre les communautés religieuses et ethniques de Syrie, parce
que désormais les minorités -juifs, alaouites, chrétiens- ont la
part belle, aux dépens de la majorité sunnite;
- permettre l'activité politique
au-delà du parti Baas moribond;
- faire la paix avec les croyants
musulmans
- activer l'ascenseur social et la
rotation dans les élites.
Ces objectifs peuvent être atteints
sans cataclysmes catastrophiques, et ils devraient l'être. Les
Syriens en ont assez de leur régime à base de riz et de
haricots; ils veulent plus de variété, et des garanties en ce
sens. Et il s'agit d'un souhait réalisable sans pour autant
mener le pays à la ruine.
On a besoin de la Syrie au Moyen
Orient: c'est la pièce maîtresse du Machrek, au cœur du
Croissant Fertile, le seul Etat dans la région qui ne soit pas
soumis par les USA et par Israël. Il défend le Hezbollah et
c'est un partenaire de l'Iran. La Syrie offre un foyer aux
émigrés du Hamas, et un havre pour les centaines de milliers de
réfugiés palestiniens et irakiens. La Syrie est le dernier
refuge du monde arabe non américain, et elle mérite d'être
sauvée comme telle...
En Israël, il y a deux écoles en ce
qui concerne les évènements de Syrie; les conservateurs et les
aventuristes. Les conservateurs disent: nous avons longtemps
vécu à côté d'Assad, et c'était la sécurité; persistons dans
cette voie. Les aventuristes disent; démolissons la Syrie,
mettons la en miettes, détruisons le Hezbollah, éliminons cette
base avancée de l'Iran et sécurisons le monde pour une
génération. Ce qui est alarmant, c'est que Netanyahu a plus de
liens avec les aventuristes. Il peut essayer d'attaquer le
Liban, dans l'espoir qu'Assad soit trop occupé pour pouvoir
intervenir. C'est une option qui peut donner à Bashar el Assad
l'envie d'accepter le défi, et d'externaliser son problème
interne. Il peut décider qu'il vaut mieux mourir en martyr dans
une guerre contre l'ennemi sioniste plutôt que de subir le sort
de Saddam ou de Kadhafi. David Hirst, le meilleur expert
britannique du Moyen Orient, a prédit cette guerre dans son
livre de 2010 "Gare aux petits Etats" (Beware of Small States).
La guerre peut devenir un événement catastrophique pour le Moyen
Orient, avec des répercussions de longue portée, comportant la
destruction d'Israël.
Il y a une solution: laissons la
Turquie piloter le Moyen Orient vers la sécurité. Avec le
soutien russe, iranien, chinois, la Turquie sera en mesure de
consolider son influence sur ce qui était jadis ses provinces,
démantelées par les armées française et britannique en 1917. Les
problèmes régionaux devraient se résoudre à l'échelle régionale,
sans interférence occidentale.
Traduction de Maria Poumier
Le
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