J’ai été militant politique pendant
presque toute ma vie d’adulte. Durant
toutes ces années, j’ai cru profondément
que la réalité insupportable et
inacceptable d’Israël et de la Palestine
ne pourrait être changée que de
l’intérieur. C’est pourquoi je me suis
sans cesse consacré à persuader la
société juive – à laquelle j’appartiens
et dans laquelle je suis né – que sa
politique fondamentale était erronée et
désastreuse.
Comme pour tant d’autres, les options
pour moi étaient claires : Je pouvais
m’engager dans la politique par le haut
ou m’y opposer par le bas. J’ai d’abord
adhéré au parti travailliste dans les
années 80, puis au Front démocratique
pour la Paix et l’Égalité (Hadash). Ce
fut le moment où j’ai refusé de devenir
membre de la Knesset.
En même temps, je me suis concentré
sur la collaboration avec d’autres au
sein des ONG d’éducation et de paix, et
même sur la présidence de deux de ces
institutions : l’Institut sioniste de
gauche des études de la paix à Givat
Haviva et l’Institut non-sioniste Emil
Touma d’Études Palestiniennes. Dans ces
deux groupes, les collègues âgés comme
les plus jeunes ont cherché à ouvrir un
dialogue constructif avec nos
compatriotes, dans l’espoir d’influencer
la politique du moment en vue d’une
réconciliation à venir. C’était
principalement une campagne
d’information sur les crimes et les
atrocités commis par Israël depuis 1948
et un appel à un avenir qui reposerait
sur les droits humains et civiques.
Pour un militant, se rendre compte
que le changement de l’intérieur est
inaccessible, non seulement résulte d’un
processus intellectuel ou politique,
mais surtout c’est admettre la défaite.
C’était précisément cette peur de la
défaite qui m’a très longtemps empêché
d’adopter une position plus résolue.
Après presque trente ans de
militantisme et de recherche historique,
je me suis convaincu que l’équilibre des
forces en Palestine et en Israël,
faisait obstacle à toute possibilité de
transformation au sein de la société
israélienne juive dans un avenir
prévisible. Bien que plutôt sur le tard,
j’en suis venu à me rendre compte que le
problème n’était ni une politique
particulière ni un gouvernement
particulier, mais un enracinement très
profond dans l’infrastructure
idéologique qui influence les décisions
israéliennes sur la Palestine et les
Palestiniens depuis 1948. J’ai déjà
décrit cette idéologie comme un hybride
entre le colonialisme et le romantisme
romantique. [1]
Aujourd’hui, Israël est un redoutable
état colon-colonialiste qui refuse de
changer et de compromettre et qui ne
demande qu’à écraser par tous les moyens
nécessaires, la résistance – quelle
qu’elle soit – à son contrôle et à son
autorité en Palestine historique. À
commencer par le nettoyage ethnique de
80 pour cent de la Palestine en 1948, et
l’occupation par Israël des derniers 20
pour cent du pays en 1967, les
Palestiniens d’Israël sont enfermés dans
des méga-prisons, des bantoustans et des
cantons assiégés, et mis à part au moyen
de politiques discriminatoires.
Pendant ce temps, des millions de
réfugiés palestiniens partout dans le
monde n’ont aucune possibilité de
retourner chez eux, et les années n’ont
fait qu’affaiblir, si ce n’est
annihiler, toute contestation contre
cette infrastructure idéologique. À ce
moment précis où j‘écris ces lignes,
l’état-colon israélien continue sans
cesse sa colonisation et le déracinement
de la population autochtone de la
Palestine.
L’occupation de la
Cisjordanie et de la Bande de Gaza,
l’oppression des Palestiniens à
l’intérieur d’Israël, et la négation du
droit au retour des réfugiés
continueront tant que ces politiques
(occupation, oppression et déni) seront
présentées comme un accord de paix
global destiné à être approuvé par des
interlocuteurs palestiniens et arabes
obéissants.
Message que les pays étrangers
envoient à Israël : la paix n’exige pas
une transformation issue de l’intérieur.
En conséquence, on peut conclure sans
risque de se tromper que le processus de
paix a dissuadé le colonisateur et
l’occupant de transformer sa mentalité
et son idéologie. Tant que la communauté
internationale attendra que les opprimés
transforment leurs positions, alors
qu’elle approuve celles tenus par
l’oppresseur depuis 1967, cette
occupation restera la plus brutale que
le monde ait jamais vue depuis la
Seconde Guerre mondiale.
Les annales du colonialisme et de la
décolonisation nous apprennent que la
fin de la présence et de l’occupation
militaires était une condition sine qua
non pour qu’au moins commencent les
sérieuses négociations entre
colonisateurs et colonisés.
La fin inconditionnelle de la
présence militaire dans la vie de plus
de trois millions de Palestiniens
devrait être la condition préalable pour
n’importe quelle sorte de négociation,
ce qui ne peut se développer qu’à partir
du moment où les relations entre les
deux partis ne sont pas oppressives,
mais au contraire, sur pied d’égalité.
Dans la plupart des cas, l’occupant
ne s’est pas décidé à partir. On l’a
forcé à s’en aller, généralement à la
suite d’un long combat sanglant. On a
tenté cela sans grand succès dans le
conflit israélo-palestinien. Dans
quelques cas, le succès s’est réalisé au
moyen d’une pression extérieure sur la
puissance ou l’état hors-la-loi à
l’ultime stade de décolonisation. Cette
dernière stratégie est plus séduisante.
En tout cas, le paradigme israélien de «
paix » ne changera pas, à moins qu’une
pression s’exerce de l’extérieur ou
qu’il y ait une contrainte sur le
terrain.
Avant même de commencer à définir
plus précisément ce que suppose la
pression extérieure, il ne faut pas
confondre les moyens (la pression) avec
le but (trouver une formule pour vivre
ensemble). En d’autres termes, il est
important de souligner que la pression a
pour objectif de déclencher de sérieuses
négociations, de ne pas prendre leur
place. Par conséquent, tandis que je
pense toujours que le changement de
l’intérieur est essentiel pour une
solution durable au problème des
réfugiés, à la situation difficile de la
minorité palestinienne en Israël et à
l’avenir de Jérusalem-Est, on doit
prendre d’abord d’autres mesures pour y
arriver.
Quelle
sorte de pression est-il nécessaire
d’exercer ? L’Afrique du Sud a fourni
l’exemple historique le plus éclairant
et édifiant à ceux qui dirigent ce
débat, tandis que, sur le terrain, les
militants et les ONG sous occupation ont
cherché des moyens non-violents pour à
la fois résister à l’occupation et
développer les formes de résistance qui
se distancient des attentats suicides et
de la kyrielle de roquettes Qassam
tirées depuis Gaza. Ces deux impulsions
ont provoqué la campagne BDS contre
Israël. Ce n’est pas une campagne
coordonnée menée par quelque cabale
secrète. Elle a commencé sous la forme
d’un appel venu de la société civile
sous occupation, sanctionné par d’autres
groupes palestiniens et transformé en
actions individuelles et collectives
partout dans le monde.
Les formes et les objectifs de ces
actions varient, du boycott des produits
israéliens à la rupture des liens avec
les institutions académiques d’Israël.
Certaines sont des manifestations
individuelles de protestation ; d’autres
sont des campagnes organisées. Ce
qu’elles ont en commun, c’est leur
message d’indignation devant les
atrocités sur le terrain en Palestine –
mais l’élasticité de la campagne l’a
transformée en un vaste processus
capable de produire un état d’esprit et
un climat nouveaux parmi le public, sans
point central clairement déterminé.
Pour les quelques Israéliens qui ont
soutenu la campagne dès le début, ça a
été un moment définitif qui exposait nos
positions sur les origines, la nature et
la politique de notre état. Mais avec du
recul, cela semble avoir apporté un
soutien moral qui a contribué au succès
de la campagne.
Soutenir le mouvement BDS reste un
acte radical pour un militant de la paix
israélien. Celui-ci s’exclut
immédiatement du consensus et des idées
répandues en Israël. Les Palestiniens
paient plus chèrement leur combat, et
ceux parmi nous qui choisissent ce
chemin ne doivent s’attendre ni à une
récompense ni même à des éloges.
Au contraire, cette action exige
qu’on se confronte directement avec
l’état, sa propre société et très
souvent les amis et la famille. En
réalité, c’est franchir la dernière
ligne rouge – dire adieu à la tribu.
Mais il n’y a vraiment aucune
autre alternative. Toute autre option –
de l’indifférence, à travers la critique
modérée et jusqu’à l’adhésion totale à
la politique israélienne – est une
décision volontaire d’être le complice
des crimes contre l’humanité. L’esprit
fermé du public en Israël, l’emprise
continuelle des colons sur la société
israélienne, le racisme inné dans la
population juive, la déshumanisation des
Palestiniens, l’armée et l’industrie
directement intéressées au maintien des
territoires occupés – tout ceci veut
dire qu’on doit s’attendre à une très
longue période d’occupation brutale et
oppressive. Ainsi, la responsabilité des
Juifs israéliens est bien plus grande
que celle de quelqu’un d’autre qui
participe à la promotion de la paix en
Israël et en Palestine. Les Juifs
israéliens en viennent à se rendre
compte de ce fait, et c’est pourquoi le
nombre de ceux qui sont d’accord pour
faire pression sur Israël de
l’extérieur, grandit de jour en jour.
C’est encore un très petit groupe, mais
il forme vraiment la base du futur camp
de la paix israélien.
On peut tirer beaucoup de leçons du
processus d’Oslo. Là-bas, les Israéliens
ont utilisé le langage de la paix comme
moyen de maintenir l’occupation (avec
l’aide des dirigeants palestiniens qui
sont devenus la proie des tactiques de
déception israéliennes), ce qui veut
dire que les « colombes » aussi bien que
les « faucons » ont mis leur veto à la
fin de l’occupation, lesquels n’avaient
aucun intérêt à y mettre fin. C’est
pourquoi le monde dans son ensemble doit
exercer une pression concentrée et
efficace sur Israël. Une telle pression
s’est montrée fructueuse dans le passé,
particulièrement dans le cas de
l’Afrique du Sud ; et la pression est
également nécessaire pour empêcher les
pires hypothèses de devenir des
réalités.
Après le massacre de Gaza en janvier
2009, il était difficile de voir comment
les choses pouvaient empirer, pourtant
elles le peuvent : sans aucune fin à
l’expansion des colonies, avec les
assauts ininterrompus contre Gaza, le
répertoire israélien du mal n’est pas
encore épuisé. Le problème est que les
gouvernements européens, et les
États-Unis en particulier, ne sont pas
près de sanctionner la campagne BDS.
Mais on se souvient des tribulations de
la campagne de boycott contre l’Afrique
du Sud, qui avait son origine dans les
sociétés civiles, non dans les allées du
pouvoir.
À bien des égards, la nouvelle la
plus encourageante arrive d’un endroit
plutôt inattendu : les campus des
États-Unis. L’enthousiasme et
l’engagement de centaines d’étudiants de
ce pays ont aidé, dans les dix dernières
années, à introduire l’idée de
désinvestissement dans la société
américaine – société que les militants
de la campagne internationale pour la
Palestine considéraient comme une cause
perdue. Ils font face à des ennemis
redoutables : l’ « AIPAC » cynique et
efficace et aussi les fanatiques
chrétiens sionistes. Mais ils offrent
une nouvelle façon de s’engager auprès
d’Israël, non seulement pour les
Palestiniens, mais aussi pour les Juifs
partout dans le monde.
En Europe, une admirable coalition de
Musulmans, de Juifs et de Chrétiens fait
avancer ce programme, face aux
accusations d’antisémitisme. La présence
de quelques Israéliens parmi eux aide à
repousser ces allégations méchantes et
totalement fausses. Je ne considère pas
le soutien moral et actif d’Israéliens
comme moi, comme l’élément le plus
important de cette campagne. Mais les
relations avec les dissidents
progressistes et radicaux israéliens
sont essentielles pour la campagne. Ils
constituent en Israël un pont avec un
public plus large qui devra, en fin de
compte, être incorporé. Traité en paria,
Israël abandonnera, avec un peu de
chance, sa politique de crimes de guerre
et d’abus des droits de l’homme. Nous
espérons donner les pleins pouvoirs à
ceux qui se trouvent à l’extérieur,
engagés dans la campagne, et nous avons
nous-mêmes les pleins pouvoirs de par
leurs actions.
Il semble que nous devons tous avoir
des objectifs clairs et rester vigilants
contre les généralisations simplistes
sur le boycott qui est « contre Israël
du fait que celui-ci est juif, ou contre
les Juifs du fait qu’ils sont en Israël
». C’est tout simplement faux. Il faut
compter avec les millions de Juifs
d’Israël. C’est un organisme vivant qui
fera toujours partie d’une future
solution. Cependant, notre devoir sacré
est en premier de mettre fin à
l’occupation oppressive et d’empêcher
une autre Nakba ; et le meilleur moyen
d’y arriver est une campagne soutenue de
boycott et un désinvestissement."
Ilan Pappe : the boycott will work,
an Israeli perspective
http://www.odsg.org/co/index.php?op...
(Traduit par Chantal C. pour
CAPJPO-EuroPalestine)