Opinion
Marzouki, le
Président sans cravate
Hedy
Belhassine
Moncef
Marzouki - Photo: Kapitalis
Vendredi 25
novembre2011
Ils ont d’abord été
dirigés par un grand cerveau malade,
puis par une petite cervelle névropathe;
c’est sans doute pourquoi, dans leur
grande sagesse, après des décennies de
migraines, les Tunisiens ont choisi de
désigner à la tête du pays un
neurologue.
L’élection du Docteur indigné Marzouki
est une revanche sur ses confrères qui
en 1987 avaient déclaré Bourguiba sénile
et le satrape digne de lui succéder.
Le personnage est à l’image de ses
lunettes : immenses et carrées. Posture
élancée, look pressé, col ouvert sans
cravate. Le Président Moncef fils de
Mohamed El Bédoui Marzouki est un
authentiquement bédouin têtu et sans
concession ; noblesse qu’il n’a jamais
cherché à travestir. En arabe comme en
français il parle tranchant avec force
et conviction. Auditeur des souffrances
et des humiliations, lui-même victime de
la terreur, il sera audible et
probablement suivi largement par le
peuple tunisien. Les pouvoirs de sa
fonction ont été sérieusement amputés,
mais il portera haut la voix de la
Tunisie, pays connu désormais du monde
entier comme le symbole de la colère.
Son arrivée au palais de Carthage ne
sera pas sans écho ni conséquence car
c’est la première fois –après Mandela -
qu’un militant actif des droits de
l’homme est élu à la tête d’une nation.
En terre arabe, c’est du jamais vu,
c’est révolutionnaire ! Auparavant, nul
cauchemar semblable n’avait hanté les
dix mille et une nuits des autocrates de
la Ligue arabe ! Comment sera-t-il reçu
dans cette assemblée ? Qui osera lui
donner l’accolade ? Qui osera ne pas la
lui donner ?
Le nouveau Président est inclassable, il
n’est pas du sérail, pas fils de, il est
l’obligé de personne. A leurs yeux il
cumule les tares : de gauche,
droits-de-l’hommiste, savant, écrivain,
orateur, monogame, et surtout,
musulman-arabe-tunisien dans l’ordre et
le désordre.
Si les inégalités et les bakchichs
reculent en Tunisie, si la peine de mort
est abolie, si la femme reste l’égale de
l’homme, si l’exécutif, le législatif et
le judiciaire deviennent indépendants,
si la démocratie de l’alternance
s’impose, alors le monde arabo islamique
connaîtra une formidable renaissance.
Marzouki et ses anciens compagnons de
prison ont un an pour réussir la
désincarcération des Tunisiens et leur
insertion dans un modèle de gouvernance
au parfum de pain et de jasmin.
Les premiers gestes du Président seront
épiés car lourds de symboles.
Déjà, alors qu’il n’est pas encore
intronisé, il vient de faire preuve
d’audace (peut-être suicidaire) en
refusant de recevoir une délégation du
lobbying juif américain. Ceci augure de
l’indépendance et de la liberté que
chaque Tunisien attend.
On dit que le pouvoir transforme
l’homme, mais il est peu probable qu’à
67 ans le militant entame une carrière
de parvenu.
Chacun spécule à sa manière sur l’avenir
des relations carthago-élyséennes. Elles
nous réserveront des surprises ! C’est
une certitude.
A une seule lettre près, l’anagramme de
Marzouki le rapproche de son homologue
français. Mais il s’agit d’un « S » :
majuscule, tortueux, serpentin sans
trait d’union. L’accroche sera
difficile, la poignée de main molle. Le
Président français ira-t-il à Carthage
après avoir fait étape à Canossa ?
Une rumeur circule au Bistro de la
Muette.
La cellule loisir du Château planche sur
les vacances présidentielles hivernales.
L’affaire n’est pas simple. Le yacht de
l’ami désintéressé est au carénage, le
Maroc est squatté par le retraité du
FMI, l’Algérie est cinquantenaire, la
Libye inconfortable, Assouan est
assiégé, Petra emmuré, le Golfe est
dangereusement persique, il n’y a bien
Israël mais…
Plus éloignées du champ de bataille
annoncé, il y a l’Italie pluvieuse,
Malte l’ennuyeuse, la Grèce dégage…Reste
la perfide Turquie qui propose un
laissez-passer incognito pour quinze
jours tout compris à Finike. C’est une
gentille station balnéaire près
d’Antalya. Mais un attaché que la
généreuse hospitalité ottomane
intriguait a découvert que c’est là que
se déroula la fameuse bataille de Sawari
!
Finalement, après dix huit réunions
fébriles trois options ont été retenues
: Disney, Brégançon et La Lanterne.
Le Président, s’est emporté : il veut
passer Noël à Tabarka !
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