Actualités du droit
La Palestine est
déjà un Etat
Gilles Devers
Jeudi 29 novembre
2012
Quel Etat ? Quelles frontières ? Comment
assurer le droit au retour des réfugiés
? Quel statut pour Jérusalem ? C’est aux
Palestiniens, et à eux seuls de décider.
Je peux, comme vous, avoir une opinion.
Mais au regard de ce que souffre le
peuple palestinien depuis un siècle, au
regard des enjeux pour la vie
quotidienne des Palestiniens, non,
vraiment, je dois m’abstenir de tout ce
qui peut conduire à penser à la place
des autres. Le colonialisme commence par
le celui de de la pensée. Ce n’est pas
le genre de la maison.
En revanche, tout n’est pas en débat. Il
existe des points de droit certains, et
l’importance du moment, comme la
confusion entretenue, appellent à mettre
les points sur quelques i.
Existence et reconnaissance
La clé est de distinguer existence et
reconnaissance. Qui oserait dire qu’une
personne vivante, bien vivante devant
vous, n’existerait pas parce qu’elle
n’est pas inscrite à l’état civil ? .
L’existence est l’affaire du peuple
palestinien ; la reconnaissance est
celle de la communauté internationale.
Ne pas confondre. Au milieu des plus
extrêmes difficultés, depuis cent ans
bientôt, malgré les guerres, le
colonialisme, le sang versé,
l’occupation et le morcellement de son
territoire, malgré la cupidité des US et
la traitrise des soi-disant soutiens, le
peuple palestinien est debout, uni,
gérant même les divisions de ses
dirigeants. C’est un peuple, souverain,
et la souveraineté est inaliénable.
La communauté internationale est celle
des beaux discours et des sales
politiques. Depuis un siècle, elle n’a
jamais rien fait de sérieux pour le
peuple palestinien, à part des trahisons
en série, et de versements de
subventions pour se faire pardonner. Qui
peut soutenir que cette communauté
internationale-là est qualifiée pour
prendre de grandes options pour le
peuple palestinien ?
Alors, chères amies et chers amis, ne
vous trompez pas. La Palestine existe,
par son peuple souverain, par ses
luttes, par sa dignité, par sa force de
résistance. L’admission comme membre
observateur sera un petit plus, mais
cela n’a rien à voir avec l’existence
d’un peuple souverain.
La Palestine a toujours existé
« Nous peuples du monde… » Ce n’est pas
moi qui m’enflamme, ce sont les premiers
mots de la Chartre de l’ONU. Or, les
Palestiniens forment un peuple. Peut-on
soutenir le contraire ?
C’est l’un des peuples les plus anciens
de notre planète, et il est assez
curieux de voir les Etats-Unis s’opposer
à la reconnaissance de la Palestine
alors que les Etats-Unis étaient de
l’herbe quand la Palestine était déjà un
peuple.
Pour nous, peuples de la Méditerranée,
la Palestine est une mère, comme l’a été
la Grèce. De toute l’histoire, on a su
placer la Palestine sur une carte de
géographie. Alors, depuis quand les
peuples souverains disparaitraient-ils ?
D’ailleurs, et on pourrait en rester à
ce constat, ceux qui font le plus de
tort à la Palestine en reconnaissent
l’existence. Israël gère les territoires
palestiniens par le ministère des
affaires étrangères, pas par le
ministère de l’intérieur. De même, ce
bouillon de culture impérialiste qu’est
le Conseil de Sécurité reconnaît à tous
les territoires palestiniens le statut
de territoires occupés, au sens de la
IV° Convention de Genève. Le Conseil de
sécurité a toujours dénié la moindre
valeur aux déclarations d’Israël
affirmant faire de Jérusalem sa
capitale.
La Palestine est reconnue comme
Etat depuis 1922
A la dissolution de l’Empire Ottoman, la
Palestine était reconnue comme Etat,
avec un peuple souverain et un
territoire, et la carte figurait dans
les traités de Sèvre et de Lausanne.
Personne n’aurait envisagé de dessiner
une Palestine qui n’aurait pas
correspondu à la Palestine, terre
façonnée par l'histoire.
Le régime des mandats est apparu, à la
fin de la Première Guerre Mondiale,
comme une manière de gérer le droit des
peuples à l’autodétermination. Le droit
à l’autodétermination du peuple
palestinien se retrouve à l’article 22
du Pacte de la SDN.
L’article premier du mandat sur la
Palestine donné par la SDN à la
Grande-Bretagne prend acte de la
souveraineté, inaliénable, du peuple
palestinien, le mandataire n’ayant de
pouvoir que pour la législation et
l’administration : « Art. 1. - The
Mandatory shall have full powers of
legislation and of administration, save
as they may be limited by the terms of
this mandate”.
Le mandat n’était que d’administration,
et ne pouvait modifier la substance de
la souveraineté, en respectant les
limites territoriales fixées par un
mémorandum britannique du 16 septembre
1922, qui correspondaient aux limites de
l’ancienne province de l’Empire Ottoman.
L’ordre juridique palestinien était déjà
pleinement structuré à l’époque, et
respecté par le mandataire.
De plus, et ce point est essentiel, la
question de la souveraineté s’est posée
à l’occasion du partage de la dette
publique ottomane entre la Turquie et
les « territoires détachés de l’Empire
Ottoman ». Dans cet arbitrage rendu en
1925 par la SDN, la Turquie, la
Bulgarie, la Grèce, l’Italie, l’Irak, la
Transjordanie et la Palestine était
placées sur un pied d’égalité. La
Palestine était un Etat sous mandat,
mais un Etat.
En 1947, l’ONU n’a rien donné…
car elle n’avait rien à donner
Combien de fois faudra-t-il le rappeler…
En 1947, l’ONU n’a rien donné à Israël.
L’ONU était alors qu’un club de grandes
puissances voulant se partager le monde,
mais elle n’a rien pu faire devant
l’évidence de la souveraineté
palestinienne. Le document voté était
une recommandation pour un plan de
partage, tentant de donner un contenu à
la déclaration du ministre des affaires
étrangères Lord Balfour de 1917, sur la
création d’un « foyer national juif »,
destiné à devenir la place forte des
intérêts occidentaux dans la région.
Cette recommandation a été un acte
irresponsable, permettant aux groupes
armés sionistes de se déclarer comme
Etat au départ du mandataire, en mai
1948, et d’engager la première grande
opération militaire, la Nakba,
chassant les Palestiniens de leurs
terres et de leurs maisons. C’est le
début de l’histoire des réfugiés, dont
le droit au retour est inaliénable, face
à un Etat qui a conquis un territoire
par la force des armes.
Et depuis ?
Aujourd’hui, 127 Etats
ont reconnus la Palestine comme Etat : à
peu près toute l’Afrique, tout le monde
musulman, toute l’Amérique du Sud, tout
l’ancien bloc de l’Est, toute l’Asie.
La Palestine. Etat sous mandat hier,
Etat sous occupation militaire
aujourd’hui, mais toujours Etat… Le
peuple palestinien n’a jamais renoncé.
Le fait d’être sous occupation ne remet
pas en cause la qualité d’Etat,
lorsqu’il existe un peuple, un
territoire et une organisation des
pouvoirs. La RFA, ancienne Allemagne de
l’Ouest, a été créée et reconnue alors
qu’elle était sous occupation des
puissances alliées.
La Palestine, malgré les mille
difficultés qu’elle rencontre, est
d’ailleurs un Etat très organisé. Il
existe un peuple palestinien, qui vit en
fonction d’un ordre juridique interne.
La Palestine a d’ailleurs été le premier
Etat arabe à procéder à des élections
démocratiques… mais comme le résultat –
victoire du Hamas – n’était pas celle
prévue, les puissances occidentales ont
puni le peuple palestinien.
Alors, ce vote à l’ONU ?
Ce soir ce vote sera acquis.
Juridiquement, il sera le signe d’une
amélioration de l’état civil tenu par
l’ONU, mais ne touchera rien
d’essentiel.
Un Etat reconnu par 127 autres Etats, et
dont les dirigeants sont reçus comme
représentants légitimes par les
opposants, à commencer par les US,
devrait bien évidemment être membre à
part entière de l’ONU. Les Etats-Unis
bloquent tout, au motif qu’il faut
d’abord négocier une paix globale. Ils
n’avaient pas été aussi exigeants pour
accueillir Israël en 1949.
Juridiquement, ce poste d’Etat
observateur apportera quelques petits
avantages fonctionnels marginaux au sein
de l’ONU.
Mais Abbas passera toujours par le chek-point
pour rentrer chez lui à Jérusalem, et il
devra toujours demander l’autorisation
s’il veut se rendre à Gaza. Le
scandaleux accord de Paris, qui place
toute l’économie palestinienne sous le
contrôle israélien, ne sera pas changé
d’une virgule, et la population de Gaza
vivra toujours le blocus. Les services
israéliens viendront toujours sur le
territoire palestinien de Cisjordanie,
pour procéder aux arrestations de
Palestiniens. Et de nouveaux permis de
construire seront donnés par les
autorités israéliennes à Jérusalem-Est.
Dans les difficultés que rencontre le
peuple palestinien, ce plus n’est sans
doute pas à négliger, s’il peut aider à
l’unité. Encore une fois, c’est aux
Palestiniens de choisir. Mais attention
à ne pas donner à ce vote plus
d’importance qu’il n’en a, car les
désillusions seraient cruelles.
Et la Cour Pénale Internationale
?
On dit cette question centrale. En
droit, elle est marginale.
Le 21 janvier 2009, l’Autorité
Palestinienne a fait enregistrer par le
greffe de la Cour Pénale Internationale
une déclaration de compétence (Art. 12.3
du statut) pour tous les crimes de droit
international relevant du statut de la
Cour, depuis juillet 2002, date d’entrée
en vigueur du traité.
Des actes ont été déposés, rappelant
que:
- ce- n’est pas au procureur mais à la
chambre préliminaire de se prononcer sur
le compétence de la cour et
l’autorisation d’ouvrir une enquête ;
<!--- la CPI n’a
pas à dire si la Palestine est un Etat,
mais seulement si elle est suffisamment
un Etat au sens du statut.
Les plus respectés professeurs de droit
public (Dugard, Quigley, Pellet) ont
expliqué que le procureur devait
transmettre l’affaire la chambre
préliminaire, pour avoir une décision
sur l’ouverture ou non d’une procédure.
Après deux ans d’attente, le procureur a
estimé que pour savoir si la CPI,
juridiction indépendante, était
compétente, il fallait l’avis de l’ONU…
Une bonne grosse manip’ pour enterrer le
dossier,… qui peut juste le retarder.
Déjà, on voit apparaître un nouveau
contre-feu, comme si la question était
désormais la ratification du traité…
Cette ratification interviendra
peut-être un jour, mais pour le moment,
la déclaration de compétence existe, et
l’ANP n’a jamais envisagé de la retirer.
Or, cette déclaration est juridiquement
très forte. La procédure a souffert d’un
contexte politique défavorable, mais les
arguments sont nombreux pour reconnaître
la capacité du peuple palestinien a
présenter sa cause devant la CPI.
Comment pourrait-on priver un peuple de
tout accès au juge ?
1/ L’action est fondée sur la
jurisprudence de la CPI : « Les
mouvements de libération luttant
notamment contre la domination coloniale
et les mouvements de résistance
représentant un sujet de droit
international préexistant peuvent être
des « Parties au conflit » au sens des
Conventions. Mais l’autorité qui les
représente doit avoir certaines
caractéristiques d’un gouvernement, au
moins à l’égard de ses forces armées »
(CPI, Chambre Préliminaire, 29 janvier
2007, Thomas Lubanga Dyilo, par. 272).
Pourquoi soutenir que l’Etat de
plein exercice, estampillé comme membre
de l’ONU, est indispensable ?
2/ A partir du moment où la Palestine
agit contre Israël, on ne peut pas lui
opposer de ne pas être pleinement un
Etat… alors que c’est Israël qui usurpe
les attributs de souveraineté. Refuser
la recevabilité au motif que la
Palestine ne peut exercer toutes les
fonctions de l’Etat revient à donner les
clés à Israël.
3/ Après l’adoption du rapport Goldstone
en novembre 2009, l’AG ONU a expliqué
que la CPI était un système subsidiaire,
et elle a demandé aux autorités locales
d’essayer de juger l’affaire. Par cette
résolution, l’AG ONU a reconnu la
capacité des autorités de Gaza à exercer
la fonction judiciaire. Gaza peut donc
choisir entre juger lui-même les faits,
ou demander à la CPI.
4/ Les Iles Cook, Etat non-membre de
l’ONU, ont ratifié le traité de la CPI.
Les Iles Cook sont un Etat, mais un Etat
qui s’en remet pour sa politique
étrangère et de défense à la Nouvelle
Zélande. Alors, depuis quand faudrait-il
être membre de l’ONU pour avoir droit de
cité à la CPI ?
* * *
La politique a son rythme, qui n’est pas
forcément celui du droit, et sur un tel
sujet, tant d’opinions peuvent être
admises. Mais, sauf à ne rien
comprendre, ne confondez pas l’existence
et la reconnaissance, ne confondez pas
l’ONU et la CPI.
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