Actualités du droit
Mali : Non, la
guerre, ce n'est pas la France
(Villepin, invité du blog)
Gilles
Devers
Lundi 14 janvier
2013
Vous êtes au gouvernement et les
affaires vont mal ? Alors, rien ne vaut
une bonne guerre contre le terrorisme.
Donc, installez-vous devant une tenture
bleu foncé, avec un drapeau pas trop
loin, mais un peu en vrac, comme si on
était sous un bivouac, et prenez un ton
grave pour dire « terrorisme », avec une
tête fatiguée comme si vous reveniez du
front. Dans la phrase suivante, dites «
islamistes », d’un air accablé et en
regardant la caméra droit dans les yeux.
C’est essentiel. Ensuite, annoncez que
vous relevez d’un cran le Plan
Vigipirate. Si avec ça vous ne prenez
par 5 points dans les sondages, c’est à
désespérer.
Hier, il y a eu une centaine de morts
dans la bataille - presque égalitaire -
entre les bombardements aériens et les
4x4 des djihadistes, et si tout continue
à de rythme, on considérera dans
quelques jours Monsieur Hollande
François comme un chef de guerre...
Chacun ses critères, chacun ses choix.
Ma réponse est simple : c’est non ! Ils
nous prennent pour des bugnes, mais
voyez-vous, on n’est pas obligé de
solder son cerveau.
Ceux qui ces jours-ci sont pourchassés
au Nord du Mali sont des crapules, et
ils ont signé leur programme : violence,
désespoir et partition des Etats. Aucun
projet, à part foutre la merde,… et en
s’en prenant au Mali, l'un des plus
faibles de la région. 200 000 personnes
ont fui le Nord du Mali. Oki. Mais qui a
instauré leur pouvoir ?
Pour commencer, un petit coup d'oeil à
la carte du Mali...
Placé sur la carte de
l'Afrique
Connaissez-vous un pays avec des
frontières aussi aberrantes, issues de
la décolonisation ?
Depuis des années, la crainte était que
cet immense Nord devienne incontrôlable,
alors que tant de facteurs – climat,
population, économie, chasses gardées
politiques – le distingue du Sud.
Lors de la très illégale guerre
occidentale en Libye, on redoutait que
les largages d’armes et le financement
des milices armées, conduisent à
l’éclatement de la Libye, ou atteignent
l’Algérie ou le Niger. Ces pays ont
tenus, et les mercenaires sont allés au
plus simple : le Nord du Mali. C’est
dire qu’on sait d’où ils viennent et qui
les a financés. C'est dire qu’ils sont
la création des mêmes qui nous chantent
aujourd’hui « la guerre contre le
terrorisme ».
La France de Foccart avait
adoré le
crapuleux Moussa Traoré, de 1968 à 1991,
avant de s’accommoder d’Amadou
Toumani Touré, vanté comme héros
de la démocratie, et aujourd’hui planqué
bienheureux avec son trésor au Sénégal.
Des pouvoirs soutenus avec ferveur par
la France, pour la défense de ses
intérêts, et peu importe s'ils
ensevelissaient le pays.
Aujourd'hui, on reste dans cette lignée.
Monsieur Hollande François, qui a fait
de beaux discours sur la fin de la
Francafrique, a tout avalé en trente
secondes pour faire le beau, et voler au
secours d’un gouvernement malien en
déconfiture. Le jeu sinistre continue.
On ne me piégera pas sur le thème : « Tu
aurais préféré les US, les Chinois ou le
triomphe des djihadistes ? » Non, je
préférerais que la coalition
US-GB-France n’ait pas fait le choix de
déstabiliser l’Afrique du Nord-Est pour
dégager Kadhafi en vue de s’assurer le
contrôle du pétrole libyen. Je
préfèrerais qu’on respecte les peuples,
au lieu d’imposer un ordre venu de
l’extérieur, et qui engendre toujours la
destruction des sociétés. C'est une
leçon permanente, et rappelée dans
l’histoire récente depuis le Vietnam.
Respecter les peuples, tout le monde
sait le faire. Le seul problème, c’est
qu’il n’y a pas que de l’eau dans le
sous-sol libyen,… alors la vie des
peuples devient secondaire.
Sur un sujet qui fait 90% de consensus
dans les sondages et alors que nos
soldats sont engagés, il ne faut pas
attendre la moindre analyse sincère des
hommes politiques dans le bain. Mais
pour ceux qui sont sortis du bain, ça
devient plus intéressant. Et quand il
s’agit du premier ministre qui avait
signé avec notre ami Chirac le dernier
acte fort de la politique étrangère
française, en refusant de participer à
la guerre en Irak, ça devient très
intéressant.
Voici ce texte, publié hier par
Dominique de Villepin dans le JDD.
Non, la guerre, ce n’est pas la France
Le Mali, pays ami, s’effondre. Les djihadistes avancent vers le sud,
l’urgence est là.
Mais ne cédons pas au réflexe de la
guerre pour la guerre. L’unanimisme des
va-t-en-guerre, la précipitation
apparente, le déjà-vu des arguments de
la "guerre contre le terrorisme"
m’inquiètent. Ce n’est pas la France.
Tirons les leçons de la décennie des
guerres perdues, en Afghanistan, en
Irak, en Libye.
Jamais ces guerres n’ont bâti un Etat
solide et démocratique. Au contraire,
elles favorisent les séparatismes, les
Etats faillis, la loi d’airain des
milices armées.
Jamais ces guerres n’ont permis de venir
à bout de terroristes essaimant dans la
région. Au contraire, elles légitiment
les plus radicaux.
Jamais ces guerres n’ont permis la paix
régionale. Au contraire, l’intervention
occidentale permet à chacun de se
défausser de ses responsabilités.
Pire encore, ces guerres sont un
engrenage. Chacune crée les conditions
de la suivante. Elles sont les batailles
d’une seule et même guerre qui fait
tache d’huile, de l’Irak vers la Libye
et la Syrie, de la Libye vers le Mali en
inondant le Sahara d’armes de
contrebande. Il faut en finir.
Au Mali, aucune des conditions de la
réussite n’est réunie.
Nous nous battrons à l’aveuglette, faute
de but de guerre. Arrêter la progression
des djihadistes vers le sud, reconquérir
le nord du pays, éradiquer les bases
d’AQMI sont autant de guerres
différentes.
Nous nous battrons seuls, faute de
partenaire malien solide. Eviction du
président en mars et du premier ministre
en décembre, effondrement d’une armée
malienne divisée, défaillance générale
de l’Etat, sur qui nous appuierons-nous?
Nous nous battrons dans le vide, faute
d’appui régional solide. La Communauté
des Etats de l’Afrique Occidentale reste
en arrière de la main et l’Algérie a
marqué ses réticences.
Un processus politique est seul capable
d’amener la paix au Mali.
Il faut une dynamique nationale pour
reconstruire l’Etat malien. Misons sur
l’union nationale, les pressions sur la
junte militaire et un processus de
garanties démocratiques et de l’Etat de
droit à travers des politiques de
coopération fortes.
Il faut aussi une dynamique régionale,
en mobilisant l’acteur central qu’est
l’Algérie et la CEDEAO en faveur d’un
plan de stabilisation du Sahel.
Il faut enfin une dynamique politique
pour négocier en isolant les islamistes
en ralliant les touaregs à une solution
raisonnable.
Comment le virus néoconservateur a-t-il
pu gagner ainsi tous les esprits? Non,
la guerre ce n’est pas la France. Il est
temps d’en finir avec une décennie de
guerres perdues. Il y a dix ans, presque
jour pour jour, nous étions réunis à
l’ONU pour intensifier la lutte contre
le terrorisme. Deux mois plus tard
commençait l’intervention en Irak. Je
n’ai depuis jamais cessé de m’engager
pour la résolution politique des crises
et contre le cercle vicieux de la force.
Aujourd’hui notre pays peut ouvrir la
voie pour sortir de l’impasse guerrière,
si elle invente un nouveau modèle
d’engagement, fondé sur les réalités de
l’histoire, sur les aspirations des
peuples et le respect des identités.
Telle est la responsabilité de la France
devant l’histoire.
Le sommaire de Gilles Devers
Le dossier Afrique noire
Les dernières mises à jour
|