Vendredi 14 mai 2010
http://www.gilad.co.uk/writings/on-my-way-to-athens-by-gilad-atzmon.html
La semaine prochaine, je me rendrai à
Istanbul, Athènes et Nicosie. J’y donnerai des concerts et des
conférences, en soutien à la flottille Free Gaza. Ces derniers
jours, j’ai accordé plusieurs interviews à des journaux grecs.
Je vous en communique un ici. A mes yeux, il résume ce que je
pense d’Israël, du sionisme, de l’identité juive, de la
Palestine, de Gaza et de la mission Free Gaza.
Question journaliste [Q] : Où êtes-vous né et où avez-vous passé
les années de votre enfance ?
Gilad Atzmon [GA] : Je suis né en Israël,
en 1963. Il m’a fallu bien des années pour prendre conscience du
fait qu’en réalité, c’est en Palestine occupée que je suis né.
Q :
Vous êtes musicien, compositeur, militant, philosophe – laquelle
de ces identités vous va le mieux ?
GA : Je suis musicien de jazz. Idéalement,
j’aimerais me percevoir comme une personne se réinventant
elle-même, tous les jours. C’est évidemment là un rêve rose, une
tâche presque impossible à mener à bien. Mais c’est quelque
chose à quoi l’on peut aspirer. J’ai reçu une formation
universitaire en philosophie et je pense que la philosophie
allemande donne un cadre idoine pour une pensée qui soit à la
fois claire, idéologique, éthique et universelle. Je suis aussi
auteur, mais je ne me considère pas moi-même comme un militant.
Je n’ai jamais compris ce qu’est, au juste, le militantisme. Je
pourrais mentionner par la même occasion que je ne m’intéresse
pas à la politique, mais bien plutôt à la signification et aux
implications de l’activité et de la réflexion politiques.
Q :
Pourquoi êtes-vous opposé à votre identité juive et
israélienne ?
GA : Mais non, je ne suis pas opposé à
l’identité juive, ni même à l’identité israélienne. Je suis
opposé, en revanche, à toutes les formes que peut prendre la
politique juive, et même d’ailleurs, toute politique
identitaire. Pour une raison très simple. L’identité juive étant
racialement déterminée, toute manifestation de la politique
juive est raciste jusqu’à la moelle, et je suis totalement
opposé au racisme. De fait, Israël et le sionisme étaient,
originellement, une tentative de sauver les juifs en les
soustrayant à leur orientation politiquement raciste et
racialement politique. Le sionisme a inventé la nation juive
(ou les juifs en tant que nation). Les premiers sionistes ont
tenté de présenter les juifs comme un peuple parmi d’autres, et
non pas en tant que race distincte. Cette idée semblait
séduisante, sur le papier, mais la réalité de l’Etat juif
démontre qu’Israël est la forme la plus radicale du chauvinisme
juif. Le système judiciaire israélien est totalement
discriminatoire envers les non-juifs. La politique israélienne
ne diffère en rien des lois raciales des nazis.
Q :
Qu’est-ce qui vous a si terriblement blessé, pour que vous
déclariez publiquement que vous combattez l’Israélien qui est en
vous-même ? Ne pensez-vous pas que c’est là une déclaration
extrêmement brutale ? Une affirmation qui traduit de la colère ?
GA : Oui, c’est ça – je suis effectivement
en colère. Voir un million et demi de Palestiniens réduit à la
famine à Gaza, cela me met en colère. Voir l’armée israélienne
balancer des bombes et du phosphore blanc enflammé sur des
vieillards, des femmes et des enfants venus se mettre à l’abri
dans une base de l’organisation de l’Onu chargée de protéger les
réfugiés, cela me met en colère. Voir la manière dont la Terre
sainte et saucissonnée par une muraille géante de séparation,
cela me met en colère. Voir la Palestine transformée en bunker
juif, ça me met en colère. Rencontrer des réfugiés palestiniens
qui ne peuvent même pas venir visiter leurs villages, cela me
met en colère. La prise de conscience du fait qu’un million et
demi d’Irakiens sont morts à cause d’une guerre mondiale
sioniste mise en scène par le Ziocon Wolfowitz me rend furieux.
Voir les sionistes prôner le massacre de musulmans au nom de
l’interventionnisme moral me met hors de moi. Voir la manière
dont l’Aipac fait la promotion des guerres et de la violence me
fait bouillir le sang.
Q :
Les Israéliens ou les juifs n’ont-ils pas droit à disposer d’un
foyer national, d’un foyer national en sécurité, je veux dire ?
GA : Si l’on parle dans l’absolu, la
réponse est non. Si les juifs avaient eu quelque moment un droit
à disposer d’un foyer national, ils ont perdu ce droit il y a
fort longtemps. Comme nous le savons, le sionisme a célébré la
renaissance nationale juive sur le dos du peuple palestinien.
Permettriez-vous qu’une bande de fanatiques italiens envahisse
votre maison, à Athènes, simplement parce qu’ils sont convaincus
que votre habitation a fait partie de l’Empire roman ? Ils
pourraient affirmer que votre maison appartenait à vos ancêtres
romains. Manifestement, ces Italiens ne s’en tireraient pas à si
bon compte. C’est pourtant ce que les sionistes ont réussi à
faire, tout du moins pendant un certain temps.
Il n’y a pas de place pour un Etat raciste célébrant ses
symptômes racistes au détriment d’autrui.
Il n’y a pas de place pour Israël parmi les nations.
Q :
Quelles concessions devraient-elles être faites pour que les
Palestiniens puissent vivre libres et prospérer ?
GA : C’est très simple : Israël doit
devenir l’Etat de tous ses citoyens. Actuellement, un juif de
Brooklyn a plus de droits, en Palestine, qu’un Palestinien qui,
pourtant, y est né.
Q :
Pourquoi les Israéliens devraient-ils renoncer à leurs armes ?
L’augmentation de leur équipement militaire n’est-elle pas due à
leur sentiment d’insécurité, étant donné qu’ils sont cernés par
les Arabes ?
GA : Peu importe, désormais, qu’Israël
réduise ou non son armement. La défaite d’Israël est inévitable.
En 2006, toute l’armée israélienne a été humiliée par une petite
organisation paramilitaire, le Hezbollah. En 2009, Israël n’a
atteint aucun de ses objectifs militaires, en dépit du
déploiement massif d’unités de l’armée israélienne et de la
punition collective infligée à de civils en recourant à des
mesures militaires extrêmes contre des civils, y compris des
armes de destruction massive. Les Israéliens emploient de plus
en plus de force, ils s’enfoncent de plus en plus dans des
crimes de guerre d’ampleur colossale, la légitimité de l’Etat
juif est un sujet d’étude pour historiens. Le sort fatal
d’Israël est, comme dans la Bible, écrit sur le mur.
Q :
Pensez-vous que les juifs se sentent toujours indésirables, bien
que plusieurs décennies se soient écoulées depuis l’Holocauste ?
GA : Il m’est difficile du parler du peuple
juif, car je ne connais pas tous les juifs. Toutefois, les
hommes politiques juifs mettent en permanence l’accent sur leur
crainte de l’antisémitisme. Absolument toutes les formes de la
politique juive comportent diverses méthodes pour élever des
barrières entre les juifs et les autres ; le sionisme vise à
séparer les juifs des goyim, le Bund (mouvement socialiste juif)
a aussi pour fonction de séparer les juifs de la classe
ouvrière ; la gauche juive n’a d’autre fonction que d’inscrire
une tribu d’Elus parmi les pacifistes.
Q :
Les Israéliens et les Palestiniens peuvent-ils vivre en paix ?
GA : Non, certainement pas, même pas dans
un million d’année. La notion de paix et de réconciliation est
totalement étrangère à l’idéologie, à la politique et à
l’identité israéliennes. Quand un Israélien dit Shalom, cela ne
veut pas dire, en réalité, « la paix », cela veut dire : « la
sécurité, pour les juifs ». Cet ethnocentrisme a été dénoncé par
le Christ, il y a de cela deux millénaires. Aime ton prochain et
tend l’autre joue, ça, c’était la leçon donnée par Jésus.
Israël, au contraire, recherche la gratification collective au
travers de la revanche. Selon le Jerusalem Post, 94 % des
Israéliens juifs ont soutenu les raids aériens de l’armée
israélienne contre les civils palestiniens. Rien ne permet de
rendre compte de ce fait, si ce n’est en tant que forme extrême
de barbarie d’un tribalisme mortel.
Pour pouvoir vivre en paix, ils doivent effectuer un saut de
conscience qualitatif, et non pas une simple évolution
politique.
Q :
En quoi l’opération « Un bateau pour Gaza » peut-elle aider à
résoudre le conflit israélo-palestinien ?
GA : Cette opération n’entend pas régler le
conflit. Elle a été mise sur pied, avant tout, pour apporter une
aide absolument nécessaire à la population de la bande de Gaza.
Ensuite, elle sert à élever la conscience des médias et de
l’opinion publique au sujet des crimes de guerre monstrueux
perpétrés par Israël à l’encontre de l’humanité.
J’ajouterai que les Palestiniens sont au
premier front de la guerre contre le mal contemporain. Free Gaza
n’est pas simplement une opération humanitaire de plus, c’est,
en réalité, un appel émanent de l’humanité toute entière, qui
nous rappelle ce qu’est l’humanisme.
Q :
Vous avez fondé « The Orient House Ensemble » ; quelle en est la
philosophie ?
GA : Initialement, je voulais palestiniser
des airs juifs. Naïvement, je pensais que si nous jouions des
airs israéliens et des airs juifs au sujet du « retour des juifs
chez eux » en recourant à des modes musicaux arabes, les juifs
et les Israéliens allaient ouvrir leur cœur à la cause
palestinienne. De fait, quelques juifs et quelques Israéliens
ont suivi. Toutefois, beaucoup de gens, au Royaume-Uni et dans
le monde, ont compris ce que nous cherchions à faire. Notre
message n’a pas percé, en Israël, mais nous avons trouvé
beaucoup d’oreilles attentives dans le monde entier. Cela va
faire bientôt dix ans que nous faisons de la musique ensemble.
Nous n’avons pas l’intention d’arrêter…
Q :
Comment le peuple grec peut-il, à votre avis, faire face à sa
nouvelle réalité imminente ?
GA : Je voyage dans le monde entier, et je
puis vous rassurer : les Grecs sont au tout premier plan pour ce
qui est du soutien à la Palestine. S’opposer à Israël est une
priorité morale. Tout ce que nous avons à faire, c’est dire ce
que nous pensons et ne pas avoir peur de le dire avec force et
fierté.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier