Gilad Atzmon
Mardi 6 octobre 2009
La question de savoir qui est juif (et qui
ne l’est pas) est débattue en Israël depuis le jour même de
l’accession de ce pays à l’étatitude [merci, Ségolène ! ndt].
Dans l’Etat juif, les autorités gouvernementales, les rabbins et
les médias [1] piochent sans la moindre honte dans les lignées
génétiques de tout un chacun. Pour les Israéliens et les juifs
orthodoxes, la judaïté est manifestement un concept relatif au
sang. Toutefois, la judaïté et les préoccupations liées au sang
sont en train de devenir le sujet d’un débat croissant… au
Royaume-Uni (!). Ces jours derniers, les quotidiens The Daily
Telegraph et The Guardian s’efforçaient de trancher : le
Président iranien Mahmoud Ahmadinejad est-il simplement
un « juif haineux de lui-même » ou bien n’est-il qu’un simple
antisémite ordinaire ? Comme les rabbins israéliens, ces
journaux fouillent dans les ascendants génétiques de M. Mahmoud.
Ainsi, samedi dernier, le Daily Telegraph révélait qu’Ahmadinejad
aurait eu un « passé juif » [2].
D’après l’article, une photographie du
président iranien exhibant son passeport durant des élections,
en mars 2008, suggère « de manière très claire » que sa famille
avait des racines juives. The Telegraph a même trouvé des
« experts » qui ont suggéré l’idée que « le lourd passif de M.
Ahmadinejad en matière d’attaques haineuses contre les juifs
pourrait être une surcompensation visant à dissimuler son
passé ». Inutile de préciser qu’Ahmadinejad n’a jamais proféré
la moindre attaque « haineuse » contre des juifs, comme le
suggère ce quotidien. Il est, à n’en pas douter, un détracteur
déterminé de l’Etat juif et de sa
raison d’être [en
français dans le texte, ndt]. Il est également très critique à
propos de la mobilisation manipulatoire de l’holocauste au
détriment du peuple palestinien.
L’on est fondé à se demander comment il se
fait qu’un média occidental s’engage ainsi, sélectivement, dans
des questions relatives à l’origine raciale ou ethnique
(appelez-la comme vous voudrez) du président iranien. A la fin
des fins, le piochage dans la passé ethnique et dans la lignée
familiale des gens n’est pas le genre de pratique banale à
laquelle l’on s’attendrait de la part de la presse
occidentale... ; c’est là quelque chose que l’on aurait tendance
à laisser aux racistes, aux nazis et aux rabbins… Mais pour une
raison que j’ignore, personne, dans le milieu de la soi-disant
presse libre, ne s’est donné la peine de se pencher sur les
liens étroits entre l’escroc multimilliardaire Bernie Madoff et
sa tribu. La presse (dite) libre s’est dispensée, aussi, de
creuser l’ethnicité de Wolfowitz, en dépit du fait que la guerre
sioniste qu’il nous a imposée a coûté un million et demi de
morts (pour l’instant, tout au moins). Si vous vous demandez
comment il se fait qu’un média occidental « libre » fasse appel
à la « pathologie » au sujet d’un président iranien, la réponse
est simple, pour ne pas dire triviale :
L’ainsi dénommé « occident libéral » tente
encore aujourd’hui de trouver des réponses au Président
Ahmadinejad, qu’il puiserait dans le royaume de la raison. Il
est dépourvu de la capacité argumentative qui lui permettrait de
parler à Ahmadinejad. En lieu et place, il insiste à inventer de
toutes pièces des arguties racialement connotées qui ne tiennent
absolument pas la route. « En faisant des déclarations
anti-israéliennes », nous dit doctement le Daily Telegraph, « il
[Mahmoud Ahmadinejad] est en train de chercher à repousser tout
soupçon à propos de ses origines juives ». La réalité saute aux
yeux : Ahmadinejad a d’ores et déjà réussi à rediriger un
faisceau lumineux de raisonnement et de scepticisme précisément
sur le recoin le plus obscur de notre hypocrisie, afin de le
mettre en évidence aux yeux de tous. D’une certaine manière,
Ahmadinejad réussit à nous rappeler, à nous tous, la
signification du verbe ‘penser’.
Il est tout à fait impossible de nier le
fait que l’approche qu’Ahmadinejad a de l’holocauste et d’Israël
est cohérente, logique et valide. Par son discours, il semble
viser trois questions principales :
1 – Près de soixante millions de personnes
ont été tuées du fait de la Seconde guerre mondiale, en grande
majorité des civils innocents. Comment se fait-il, demande
Ahmadinejad, que nous insistions ainsi à nous concentrer sur la
particularité des souffrances d’un groupe « très » spécifique de
personnes, à savoir les juifs ?
2 – Le Président iranien affirme à juste
titre que ce chapitre de l’Histoire doit être examiné du point
de vue de l’historien. Cela signifie aussi que tout événement
passé doit être soumis à examen, à élaboration et à révision.
« Si nous nous autorisons à remettre en question Dieu et les
Prophètes, alors nous devons aussi nous autoriser à mettre en
question l’holocauste » ;
3 – Sans égard pour la véridicité de
l’holocauste, le fait que la souffrance des juifs, en Europe,
n’avait strictement rien à voir avec le peuple palestinien est
une vérité triviale. Par conséquent, il n’y a aucune raison pour
que le peuple palestinien ait à payer pour des crimes perpétrés
par d’autres. Si certains dirigeants occidentaux se sentent
coupables de crimes commis par leurs propres ancêtres à
l’encontre des juifs (ce qu’ils semblent affirmer), ils feraient
mieux d’allouer des terres aux juifs à l’intérieur de leurs
territoires respectifs, plutôt que d’attendre des Palestiniens
qu’ils continuent à porter le meurtrier fardeau sioniste.
A la mesure qu’il est évidemment clair que
les points ci-dessus, soulevés par Ahmadinejad, sont totalement
valides, il est douloureusement transparent que l’Occident est
dépourvu des moyens de traiter ces questions. En lieu et place,
nous semblons enclins à recourir à la suprématie et à un
discours pseudo-scientifique faisant appel au sang, à la
pathologie et à une pseudo-psychanalyse à deux balles.
Aussi embarrassant que cela paraisse, en
deux coups de cuiller à pot, Ahmadinejad réussit à mettre à nu
le mode de discussion occidental actuel, qui se caractérise par
la tromperie. De fait, il met le doigt sur l’holocauste, qu’il
identifie comme étant le nucleus de notre position hypocrite,
une tendance qui a fini par faire voler en éclats notre jugement
moral. L’holocauste n’avait pour seule raison d’être que de
détourner l’attention des crimes colossaux perpétrés par les
Alliés. Hiroshima, Nagasaki et Dresde ne sont que quelques-uns
des exemples de génocide institutionnalisé perpétré par l’empire
anglophone. L’holocauste a réussi à mûrir au point de devenir
une nouvelle religion. Pourtant, il est dépourvu de théologie.
Il n’autorise aucune forme de critique ou d’aggiornamento.
C’est, de fait, une religion antioccidentale inspirée par la
haine et par la vengeance. Cette religion est obscurantiste,
elle est aveugle et elle est totalement dépourvue de tout sens
de la miséricorde et de la compassion. C’est un credo qui
déclare la guerre à toute forme de doute. C’est un système de
croyance frustre et brutal, qui s’oppose aux notions de liberté
et de bonté. Et (comme si cela ne suffisait pas) ceux qui
adhèrent à cette religion sont complices d’une agression en
cours contre la grâce et la paix.
En l’état actuel des choses, les médias
britanniques doivent encore décider si Ahmadinejad est un « juif
rebelle » ou simplement un « Meshugena Goy ». Ainsi, le Guardian
[3] a été particulièrement prompt à publier sa propre approche
du sujet, qui réfute la version dont nous a gratifiés le
Telegraph. Toutefois, une chose est claire : ni le Guardian ni
le Telegraph, ni un quelconque autre media soi-disant « libre »
ne le sont suffisamment (libres) pour répondre aux questions qu’Ahmadinejad
soulève :
1 – Pourquoi, seulement les juifs ?
2 – Pourquoi dites-vous NON à tout examen
du passé ?
3 – Pourquoi les Palestiniens doivent-ils
payer les pots cassés ?
Au lieu de s’attacher à traiter ces
questions élémentaires et néanmoins cruciales, les journaux à
grande diffusion britanniques succombent à un piochage de
lignées ethniques non exempt de racisme.
Au lieu de s’abandonner à l’interrogation
sioniste banale : « Qui est juif ? », je suggère que nous
fassions quelque peu avancer le débat en posant cette question
très simple :
« Que signifie la judaïté ? »
[1]
http://www.independent.co.uk/news/education/education-news/youre-still-jewish-ndash-even-if-your-mother-isnt-1720003.html
[2]
http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/iran/6256173/Mahmoud-Ahmadinejad-revealed-to-have-Jewish-past.html
[3]
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2009/oct/05/mahmoud-ahmadinejad-jewish-family