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Ha'aretz
Là
où même Ron Ben Yishai ne va pas
Gideon Lévy
"Cela
fait près d’un an que la Bande de Gaza est totalement fermée
aux journalistes israéliens. L’armée israélienne et la Sécurité
Générale (Shabak) en ont décidé ainsi parce que circuler à
Gaza est dangereux. Un journaliste israélien peut aller en Syrie,
en Irak, en Arabie Saoudite, mais pas à Gaza." (NdT)
Haaretz, 14 octobre 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/912522.html
Version
anglaise : Needed in Gaza: Israeli journalists
www.haaretz.com/hasen/spages/912413.html
La
dernière fois, nous étions allés jusqu’au jardin d’enfants
d’Indira Gandhi. Presque un an s’est écoulé depuis. C’est
avec nos dévoués chauffeurs de taxi gazaouis, Mounir et Said,
que nous nous étions rendus dans ce jardin d’enfants, à la périphérie
de Beit Lahiya, afin de pouvoir rapporter comment l’institutrice
maternelle, Najwah Khalif, avait été tuée, sous les yeux des
petits, par un obus de char qui n’avait raté que de quelques mètres
le minibus du jardin d’enfants. Depuis lors, nous n’avons pas
pu retourner à Gaza.
Cela
fait près d’un an que la Bande de Gaza est totalement fermée
aux journalistes israéliens. L’armée israélienne et la Sécurité
Générale (Shabak) en ont décidé ainsi parce que circuler à
Gaza est dangereux. Un journaliste israélien peut aller en Syrie,
en Irak, en Arabie Saoudite, mais pas à Gaza. La Cisjordanie est
encore ouverte aux journalistes, là aussi c’est dangereux mais
le black-out total est imposé sur Gaza. Seul Roni Daniel peut
encore se joindre aux forces militaires et exposer combien elles
ont la gâchette facile – comme il l’a fait dans son reportage
sur Canal 2, jeudi – puis chanter leurs louanges. Ce lieu qui
est si présent à la conscience du public, qui dicte l’ordre du
jour sécuritaire et politique, est fermé à la couverture des médias
israéliens par les autorités israéliennes.
Celui
qui s’attendait à ce qu’une réalité intolérable comme
celle-là soulève un tollé, en est pour ses frais. De toute façon,
les lecteurs ne veulent pas lire, le gouvernement et l’armée ne
veulent pas que l’on sache et les journalistes n’ont pas
grande envie de raconter. Ni la Cour suprême, ni l’Association
des Journalistes, ni le Conseil de la Presse, ni l’Association
pour les Droits du Citoyen (ACRI). Aucun véritable combat en
faveur de la liberté d’investigation qui est aussi liberté
d’expression, d’information et liberté professionnelle.
S’il s’était agi d’une période de temps limitée, on
aurait encore pu comprendre, mais là, ce sera jusque quand ?
Jusqu’à ce que tous les Palestiniens aient rejoint Kadima ?
Cet
obstacle mis à la couverture médiatique depuis presque un an
nous amène à abuser gravement de notre fonction. Les médias ne
fournissent pas le service qu’ils sont tenus de fournir et pire
encore, ils se soumettent servilement aux interdits qui leur sont
imposés, tout en brouillant la réalité. Les rares journalistes
qui prennent encore la peine de couvrir Gaza abusent régulièrement
leurs spectateurs et leurs lecteurs en forgeant l’illusion
qu’ils reviennent à l’instant de là-bas. D’accord, les
consommateurs ne protestent pas contre l’absence de ce service
– même les souscripteurs de « Yes » [seul
fournisseur israélien de programmes de télévision par satellite
- NdT] restent paisiblement assis – mais les journalistes ?
L’Etat
a le droit et le devoir d’éviter à ses citoyens des risques
superflus. Mais il n’a aucun droit d’empêcher ceux qui
remplissent une fonction cruciale de le faire. Les journalistes
qui traversaient auparavant le barrage d’Erez, le faisaient sous
leur responsabilité personnelle et professionnelle et en signant
un formulaire par lequel ils en faisaient la déclaration. Ron Ben
Yishai, parmi les plus courageux sur le terrain, a comparé son récent
voyage en Syrie au travail d’un technicien qui grimpe sur des
pylônes à haute tension : le travail est dangereux
mais essentiel et il ne viendrait à l’idée de personne de
l’en empêcher. Ron Ben Yishai peut se rendre à Dir a-Zour mais
pas à Dir Al-Balah.
En
dehors de la Birmanie, il n’y a pas beaucoup d’endroits fermés
comme ceux-là dans le monde. Il est vrai qu’Israël autorise
les journalistes étrangers à passer à Gaza, et il est bon
qu’il en soit ainsi, mais cela crée une réalité absurde où
des médias comme « Haaretz » qui manifestent encore
de l’intérêt pour ce qui se passe, font appel à des services
étrangers pour pouvoir raconter à leurs lecteurs ce qui se déroule
là-bas. Mais on ne peut se satisfaire de cela. Les Israéliens méritent
de lire et de voir des reportages journalistiques réalisés par
des Israéliens. Le reporter italien ou la reporter suédoise dépêchés
à Gaza par « Haaretz » sont des journalistes
professionnels mais le lecteur israélien a droit à une
couverture israélienne.
Il
est difficile de savoir ce qui pousse réellement Israël à
fermer Gaza de cette manière. S’agit-il d’une envie, si
facile à satisfaire, que Gaza ne soit pas révélé ici ?
Si, au contraire, c’est par un souci exagéré de notre sécurité,
je renonce à celle-ci – d’après les comptes-rendus de nos
confrères étrangers, Gaza est beaucoup plus sûr aujourd’hui
qu’il y a un an, quand nous nous y rendions encore. Il n’y a
plus de bandes armées dans les rues et le Hamas est même tout
disposé à assurer la sécurité de journalistes israéliens.
Mais comment saurons-nous si nous n’y sommes pas ?
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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