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Ha'aretz
Non
à l’évacuation
Gideon
Lévy
Haaretz,
12 août 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/892346.html
Version
anglaise : No to evacuation
www.haaretz.com/hasen/spages/892220.html
Il
faut ramener sans délai les familles Yahalom et Bar Kochba dans
les maisons dont elles ont été expulsées, sur le marché de
grossistes d’Hébron. L’armée israélienne doit immédiatement
rétablir leur raccordement aux réseaux d’eau et d’électricité,
et veiller à la sécurité des familles, de jour comme de nuit,
comme elle en a l’habitude pour tous les colons de la ville. En
échange de quoi, les familles Yahalom et Bar Kochba offriront aux
soldats le café, des biscuits et le kugel
pour le shabbat, comme elles font toujours. Il faudrait également
présenter des excuses aux familles pour cette expulsion : il
n’était pas permis d’établir ainsi une discrimination entre
elles et les autres colons de la ville. Il n’y a aucune différence
entre le vol opéré par ces familles-là et les autres vols opérés
dans la ville. Bar Kochba et Yahalom ont volé un bien volé
depuis belle lurette – les magasins qu’ils avaient envahis,
leurs propriétaires ne les ont pas vus depuis des années et ils
ne les récupéreront pas maintenant – il n’y a dès lors pas
de quoi se plaindre de ce qu’ils ont fait. Tout le monde en fait
autant à Hébron.
Il
aurait aussi mieux valu que n’ait simplement pas lieu tout le
cinéma ruisselant d’autosatisfaction des évacuations menées
par une armée venue en force, 3000 soldats et policiers, avec le
jeu des déclarations de refus d’obéissance et les mises en scène
de violences, le tout dans une représentation parfaitement réglée.
Non seulement ces évacuations risibles n’aident personne mais
elles ne font que des dégâts. A Hébron, il faut appliquer une règle,
une seule : c’est tout ou rien. Soit le gouvernement a le
courage de vider l’abcès, soit il le laisse croître et
embellir.
Nulle
part ailleurs dans les Territoires ne s’illustre comme dans la
Cité des Patriarches, sans voile, l’essence de la vérité et
de la malignité de l’entreprise colonisatrice. Ici, la
violence, les expulsions et la terreur à l’encontre d’une
population impuissante sont le pain quotidien diaboliquement
transmis dès la naissance. C’est en cela que le fait de ne pas
faire partir les colons d’Hébron est un véritable crime dont
il nous faudra rendre des comptes.
Tout
le cinéma de « l’évacuation » à Hébron sert la
politique gouvernementale des colonies, un gouvernement qui n’a
à la bouche qu’exaltation de la paix. Deux familles ont été
expulsées avec un semblant de force, face à un semblant de résistance,
et les images en ont été diffusées dans le monde entier :
preuve qu’il y a un gouvernement en Israël. C’est une fausse
présentation. Tandis que ceux-là étaient évacués, les travaux
de construction de centaines d’autres unités d’habitation se
poursuivaient dans les Territoires, sur des terres volées – même
en l’absence de « Heftziba » [grosse entreprise israélienne de construction qui fait actuellement
face à une banqueroute - NdT].
Mais
les principaux bénéficiaires de l’ « évacuation »
sont bien entendu les colons. Après avoir entraîné par leur
violence l’abandon, à Hébron, de 1.014 appartements par leurs
habitants ainsi que de 1.829 commerces par leurs propriétaires
– faisant du centre d’Hébron une ville fantôme – cette évacuation
est venue établir une distinction entre vol et vol. Il est
interdit de voler les deux appartements du souk ? Il
s’ensuit que les autres vols et violences faits dans la ville
sont jugés permis par le gouvernement.
Avec
un cynisme et une ruse caractéristiques, les colons ont bâti un
système d’intimidation et de résistance, comprenant aussi leur
arme du Jour du Jugement – le refus des soldats d’obéir aux
ordres – qui permet de signaler une nouvelle fois à l’opinion
publique israélienne : regardez comme il est difficile d’évacuer
deux familles, oubliez toute idée d’en évacuer des dizaines de
milliers. Ils ont essayé de faire ça lors du désengagement
de Gaza, ils ont continué à le faire en se lamentant sur le
triste sort de ceux qui avaient été évacués, et ils appliquent
maintenant le système en Cisjordanie.
Le
tour marche impeccablement : on en est maintenant, en Israël,
à discuter d’un refus d’obéissance marginal, concernant une
dizaine de soldats [qui ont
refusé de participer à l’évacuation des deux familles de
colons d’Hébron - NdT], au lieu de débattre de l’évacuation
de centaines de milliers [de colons] et le Président de l’Etat
propose, lui, des échanges de territoires comme réponse à l’
« impossible » évacuation des colonies. Voilà
comment on terrorise en étroite collaboration avec l’armée
israélienne et le gouvernement. Une évacuation qui aurait pu
s’effectuer en quelques minutes, au milieu de la nuit et par
surprise, comme on fait avec les Palestiniens dont les maisons
sont détruites, est entreprise sous les feux des projecteurs, après
une annonce de plusieurs semaines, afin de permettre aux colons de
monter leur grande représentation et de tirer profit de ses
images.
Rien
n’a changé à Hébron avec cette évacuation. Des milliers
d’habitants palestiniens qui ont perdu leurs biens et l’espoir
de vivre une vie décente, victimes d’une véritable épuration
ethnique, se voient condamnés à une vie de pauvreté et
d’humiliation, et personne pour les sauver ; les colons
continuent de faire la fête à plein et la plupart des Israéliens
continuent d’assister aux événements avec une indifférence
terrifiante, choqués seulement par le refus d’obéissance
affiché par une poignée de soldats – refus largement médiatisé
– et se contentant de conclure en claquant la langue : ces
colons, jamais on ne pourra les évacuer.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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