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Al-Ahram Weekly
Mais
qu'attend donc Mahmoud Abbas ?
Ghada Karmi*
Mahmoud Abbas - Photo RIA Novosti
in Al-Ahram Weekly, n° 881, 24-30 janvier
2008
http://weekly.ahram.org.eg:80/2008/881/op133.htm
Il
est évident pour tout le monde – sauf pour le président
palestinien – que la résistance, et non une veule
collaboration, est la seule option stratégique, écrit Ghada
Karmi
Avec le score terrible des morts, à Gaza,
avec les agressions incessantes contre la Cisjordanie (au cours
desquelles le propre garde du corps du négociateur en chef Ahmad
Qure’i a été tué), et avec l’extension impavide des
colonies par Israël, on ne peut que se demander quelle nouveau
genre d’atrocité israélienne pourrait bien faire que le président
palestinien change d’attitude ? Certes, la semaine passée,
il a soulevé, avec ses acolytes, la possibilité de suspendre les
bavardages de paix avec Israël, si celui-ci persistait dans ses
agressions. Mais il ne l’a pas fait. Pourrait-on savoir pour
quelle raison ??
Le martyre de Gaza aurait assurément dû
suffire à l’outrager, comme il l’a fait en ce qui concerne
des millions de personnes dans le monde entier. Le couronnement de
tout catalogue de crimes a eu lieu le 15 janvier, lorsque des
tanks et des hélicoptères israéliens ont envahi le quartier
Zaytoun de Gaza, tuant dix-neuf personnes et en blessant
cinquante, en vingt-quatre heures. Le lendemain, l’armée israélienne
tuait trois Gaziotes supplémentaires, et le lendemain, elle
bombardait le ministère de l’Intérieur à Gaza, tuant une
femme et blessant quarante-six civils. Beaucoup d’autres
mourront, après la coupure d’électricité imposée, cette
semaine, à près de 80 % de la bande de Gaza.
Depuis des mois, le nombre des victimes ne
cesse de croître, à Gaza. En novembre, 36 Gaziotes ont été tués.
En décembre, ce chiffre grimpait, atteignant 60, et, durant les
deux premières semaines de janvier, 55 sont morts, jusqu’ici.
La semaine dernière, Ehud Barak, ministre israélien de la Défense,
a annoncé la fermeture de tous les points de passage vers Gaza,
empêchant l’acheminement de la quantité pathétiquement
insuffisante de nourriture, de médicaments et d’autres biens de
première nécessité qui entraient dans la bande. Ce qui était déjà
une crise humanitaire, à Gaza, à la suite de l’élection du
Hamas, en 2006, est appelé désormais à devenir un désastre
d’une énorme ampleur. Toute une génération de résistants de
Gaza a d’ores et déjà été décimée par les assassinats ciblés
perpétrés par Israël. Indifférent au droit international ou à
d’éventuelles conséquences de ses actes, le Premier ministre
israélien, Ehud Olmert, a juré d’intensifier ces attaques
jusqu’à ce que « les tirs de roquettes s’arrêtent »,
mais ce n’est certainement pas là l’objectif principal des
Israéliens. Les actions d’Israël montrent clairement qu’il
vise à détruire Gaza, économiquement et structurellement, et à
anéantir tous les moyens de résistance, jusqu’au dernier.
La Cisjordanie, fief supposé d’Abbas,
n’a pas été épargnée, pour autant. L’armée israélienne y
a envahi des villes et des villages, de manière répétée,
emmenmant prisonniers des dizaines de Palestiniens et détruisant
des hectares de terres cultivées. Lors d’une de ces opérations,
à Naplouse, le 5 janvier, vingt-trois personnes ont été capturées,
dont plusieurs membres du Fatah. Cela motiva une rebuffade du
« Premier ministre palestinien » Salam Fayyad, qui ne
changea strictement rien. Pendant ce temps, Israël annonça
qu’il allait construire mille nouveaux appartements afin d’étendre
la colonie de Har Homa, qui étouffait déjà Bethléem, et
agrandir celle de Maale Adumim, déjà boursouflée, à Jérusalem
Est. Une autre colonie a poussé comme un champignon dans le
quartier Ras d’Hébron, reliant Kiryat Arba à Tel Rumeida, les
colonies les plus intolérables pour les Palestiniens. Cerise sur
le gâteau : les avant-postes, illégaux y compris aux yeux
du législateur israélien, continuent à proliférer dans
l’ensemble de la Cisjordanie.
Etant donné cette preuve plus qu’amplement
suffisante des intentions mauvaises d’Israël, il est légitime
de demander pour quelle raison l’Autorité palestinienne (AP) ne
met pas un terme à cette mascarade, ne met pas fin à un
processus de paix mené dans de telles conditions, ne refuse pas
de continuer à gouverner une autorité qui n’a ni pouvoir, ni
moyens, et dont la principale fonction, quoi que ses membres
puissent imaginer par ailleurs, est de sauvegarder le projet
sioniste. Une conviction est en train de gagner du terrain, dans
certains milieux palestiniens, selon laquelle l’AP devrait
mettre un terme aux négociations avec Israël et se transformer,
passant de l’actuelle organisation en faillite, véritable
serpillière devant les diktats israéliens et occidentaux, en un
organe représentant un peuple soumis à une occupation militaire
étrangère.
Une telle initiative offrirait beaucoup
d’avantages. Elle mettrait un terme au bluff permanent
consistant, pour Israël, à temporiser et à faire durer
interminablement le processus dit de paix, tout en renforçant sa
mainmise sur les territoires palestiniens ; elle frustrerait
les tentatives occidentales de protéger Israël en achetant les
Palestiniens au moyen de pots-de-vin – atteignant plus de 7
milliards de dollars, annuellement – afin de les amener à
accepter un marché contre une fraction ridicule de leurs droits légitimes ;
et, incidemment, elle aiderait à améliorer l’image de marque
de la direction de l’AP, qui est aujourd’hui largement considérée
comme un groupe de Quisling et de marionnettes de l’Occident.
Mais, et c’est là le plus important, elle rétablirait la réalité
aux yeux du peuple palestinien, à savoir qu’il n’y a nul Etat
en devenir ; qu’ils sont un peuple occupé, qui doit lutter
de tous les moyens possibles pour conquérir leur liberté. A
cette fin, ils doivent mettre de côté les inimitiés intestines,
ainsi que le factionnalisme.
Toutefois, rien de tout ceci ne se produira.
En dépit de l’échec patent du « processus de paix »,
à ce jour, et en dépit des gains croissants engrangés par Israël
sur le dos des Palestiniens, Abbas et sa clique vont poursuivre
ledit processus. Bien qu’Arafat eût été un cas à part, il a
fait les mêmes erreurs en ce qui concerne Oslo, et c’est lui
qui a mis en place les éléments de la tragédie palestinienne
actuelle. En termes simples, ils considèrent que les Palestiniens
sont trop faibles pour imposer quoi que ce soit qui aille à
l’encontre de la volonté et de la puissance d’Israël, de
l’Amérique et de l’Europe. Aussi, tout ce qu’ils puissent
espérer, c’est sauver quelques meubles, en se pliant aux
exigences de ces puissances, fusse au détriment des droits des
Palestiniens – telle est leur théorie. Abbas a ajouté son ingrédient
personnel à cette mixture, en rejetant toute forme de résistance
armée, convaincu que la passivité des Palestiniens aurait plus
de succès que le recours à la force. La collaboration sécuritaire
avec Israël (euphémisme pour « écrasement de la résistance
palestinienne », l’incapacité de défendre y compris des
officiels du Fatah et de l’AP contre les assauts israéliens,
l’impuissance, face aux violations de tous les accords conclus,
par Israël, et la paralysie actuelle en dépit des horreurs perpétrées
à Gaza sont, toutes, des conséquences de cette stratégie désastreuse.
Clairement, cette stratégie est un échec.
Aussi poussées la collaboration, la passivité et l’obéissance
à l’autre côté ont-elles pu être, cela n’a pas marché. La
situation des Palestiniens est bien pire, aujourd’hui, qu’elle
l’était en 1993 : une approche différente est impérative.
Les Palestiniens sont sans doute faibles, mais ils ont une force
imparable : le pouvoir de dire « Non ».
Imaginez, s’ils refusaient, dès maintenant, de négocier avec
Israël dans les conditions actuelles, s’ils démantelaient
l’AP, devenue qu’elle est le bouc émissaire et la tête de
Turc de l’occupation israélienne, et s’ils instituaient une
direction de la Résistance qui refuserait de coopérer tant que
perdurerait l’occupation. Une telle décision mettrait à terre
toute la construction si soigneusement édifiée par Israël et
par ses alliés, et dont la poutre maîtresse n’est autre que la
résignation palestinienne.
Le président Bush n’aurait plus aucun trophée susceptible de
lui épargner l’ignominie totale ; Israël serait confronté
à une population palestinienne débarrassée de dirigeants
corrompus faisant pour lui le Tsahal boulot ; et l’Europe
devrait regarder en face sa propre complicité ignoble avec
l’occupation, qu’elle finance. Par-dessus tout, les
Palestiniens retrouveraient leur respect d’eux-mêmes, leur
dignité, leur droit à résister, et leur cause unifierait à
nouveau le monde arabe contre ses ennemis communs. La terreur
d’une telle issue, catastrophique pour Israël et ses séides,
est la carte maîtresse dont disposent les Palestiniens, dans leur
jeu. A eux de l’abattre sur le tapis !
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
[* Ghada Karmi est l’auteure du livre Married to Another Man :
Israel’s dilemma in Palestine (Mariée à un autre homme :
le dilemme d’Israël, en Palestine)].
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