Opinion
Quelques mots
avant de monter à bord du Bateau
français pour Gaza
Georges Gumpel
Georges
Gumpel
Lundi 27 juin 2011
Je serai heureux
si j'apprends qu'un seul de mes nouveaux lecteurs
a compris combien il est risqué de suivre le
chemin dont le point de départ est
le fanatisme nationaliste et la
capitulation de la raison. Primo Lévi : Si c'est un homme.
Je suis né à
Paris, en mars 1937 dans une famille
juive française que l'on disait
israélite alors pour marquer la
différence entre ces familles françaises
et celles qui venaient de l'Europe
entière, fuyant le nazisme et le
fascisme.
C'est à Paris que
j'ai vécu la plus grande partie de ma
vie.
Mon
histoire personnelle avec Lyon remonte
aux années noires de l'occupation, de la
collaboration, à l'été 1942 plus
exactement, quand ma famille fuyant
Paris est venue se réfugier ici du côté
de Montchat.
Le
couvent voisin nous ouvrait parfois ses
portes à nous les enfants : mes deux
jeunes soeurs et moi, quand mes parents
étaient informés de dangers de
rafles....
En automne 1943,
c'est aussi une institution religieuse
lyonnaise qui m'a accueilli quelques
mois avant que je sois définitivement
caché en Haute Loire jusqu'à la
Libération.
Lyon c'est aussi mon
père, arrêté fin juillet en distribuant
des tracts près de la gare Perrache.
Lyon c'est Montluc où
il fût interné puis, le Convoi du 11
août 1944....
Lyon
ensuite s'est à nouveau imposé à moi en
1987 au moment du procès de Klaus Barbie
où nous étions – ma mère, mes soeurs et
moi – Parties Civiles pour ce Convoi du
11 août, la déportation de mon père, sa
mort ensuite mi avril 1945, dans le camp
d'extermination de Melk en Autriche.
Ce crime contre l'
Humanité parmi les multiples autres
crimes contre l' Humanité dont Barbie
avait à répondre.
Lyon est aujourd'hui
la ville où j'ai décidé de vivre ma
retraite.
Souvent, il m'est
arrivé de lutter contre l'injustice,
pour le droit des peuples à leur
indépendance et à leur liberté dont
celles, essentielles, du peuple
Algérien.
Jamais, dans ces
combats qui ont marqué ma jeunesse, ma
vie tout court, il m'est venu à l'esprit
de faire valoir mon identité juive.
Comme beaucoup,
j'étais anticolonialiste,
internationaliste comme on le disait
alors.
La question
Palestinienne, la guerre sans fin faite
par l'Etat hébreu aux Palestiniens,
l'utilisation par Israël de notre
histoire, des tragédies dont nous avions
été les victimes, pour légitimer ses
crimes en Palestine, faire taire toutes
critiques, fussent-elles minimes, m'ont
obligé ( c'est le cas pour beaucoup
d'autres juifs ) à sortir de ma réserve,
à prendre à bras le corps cette identité
juive qui jusqu'alors faisant partie de
mon intimité, pour affirmer mon refus de
cette politique criminelle faite « en
notre nom ».
Je suis de ceux qui
pensent qu'aujourd'hui, en ce début du
XXI siècle, il grand temps d'envisager
que le temps du nazisme, le temps de la
collaboration, le temps des crimes dont
nous avons été les victimes, fait
définitivement partie de l' Histoire,
que ce temps là appartient maintenant
aux historiens, que nous devrions, nous
les survivants, cesser de parler.
Mais Israël,
paradoxalement, nous interdit le
silence.
Mais les gens, ici en
France, qui monopolisent « en notre
nom » la parole juive, eux aussi nous
interdisent le silence.
Et que
dire du gouvernement français qui nous
enferme dans un communautarisme
criminel,et laisse supposer, en même
temps qu'il fait grand bruit autour de
la prétendue « identité nationale », que
nous, juifs français, aurions
éventuellement une double nationalité -
française et israélienne - entretenant
ainsi le discours israélien et celui des
sionistes français, discours favorisant
la résurgence du racisme et de
l'antisémitisme?
Ce gouvernement, lui
aussi, nous interdit le silence .
Il faut donc parler
….
Aujourd'hui même, ce
21 juin 2011, aux informations de 7
heures, le chroniqueur nous parlait de
Justice Internationale, de crimes de
guerre, de crimes contre l' Humanité, de
populations civiles menacées, en Syrie,
en Libye, en Afrique et ailleurs, sans
un mot pour ce qui est de la Palestine
devenue pour tous une zone noire,
invisible, innommable même...
Sans un mot pour ces
populations civiles palestiniennes elles
aussi en permanence menacées.
Il faut donc parler …
A Lyon justement, où
depuis le procès de Barbie en 1987, le
Centre d' Histoire de la Résistance et
de la Déportation ( CHRD ) est devenu un
lieu incontournable où des milliers et
des milliers de jeunes et de moins
jeunes viennent chaque année visiter ce
lieu, voient le film consacré au procès,
voient tous ces témoins qui ont défilé,
des jours durant, dire devant le monde
entier ce que Crimes contre l'Humanité
signifiaient.
Je me
souviens de la déposition de Madame
Zatlin le 27 mai, à propos de
l'arrestation et la déportation des
enfants d'Izieu , cette déposition que
l'on peut écouter dans le film au CHDR,
cette déposition / question au cours de
laquelle elle demande à l'avocat de
Barbie : «
Barbie a toujours dit qu'il s'occupait
uniquement des Résistants et des
Maquisards; ça veut dire des ennemis de
l'armée allemande.
Je demande: les enfants, les 44 enfants,
c'étaient quoi ?
C'étaient des Résistants, c'étaient des
Maquisards ?
Qu'est-ce qu'ils étaient ?
C'étaient des innocents !
Monsieur le Procureur, Messieurs les
Jurés, les enfants sont des enfants,
qu'ils soient blancs, qu'ils soient
noirs, qu'ils soient juifs ».
Cette interrogation / question est
toujours actuelle, d'une grande
actualité même, les enfants
palestiniens, les enfants de Gaza qui
meurent par centaines, qui sont les
principales victimes plus exactement,
qu'est ce qu'ils sont?
Des résistants, des ennemis d' Israël ?
Simplement: ce sont des innocents.
Et la communauté internationale se tait.
Les oublie complètement, nie leurs
droits les plus élémentaires.
Je vais le samedi et le dimanche avec ma
petite fille au Parc de la Tête d'Or.
Des milliers d'enfants comme elle jouent
librement, sans crainte, dans cet espace
merveilleux.
Je voudrais que les grands pères
palestiniens, ceux de Gaza, aient –
comme moi – la joie de pouvoir promener
leurs petits enfants dans des jardins
aussi tranquilles pour leurs petits
enfants que le parc de la Tête d' Or,
que leurs petits enfants, eux aussi,
jouent aux jeux de leur âge sans
crainte, librement.
Des jardins et des jeux qui nous étaient
interdits, à nous aussi enfants juifs,
par Vichy. Souvenez - vous !
Voilà, je parle donc,
Dans quelques jours, je serai avec la
délégation française sur le Bateau qui
voguera vers Gaza pour dire - avec la
Société Civile française qui, par sa
grande générosité, a financé ce bateau –
notre indignation face à cette
indifférence générale, notre exigence à
ce que cesse le blocus illégal et
criminel de Gaza, notre exigence qu'
Israël respecte enfin le Droit
International, le Droit Humanitaire
International.
Ces Droits Internationaux construits
dans le sang de nos parents.
Toutes et tous, nous refusons la
capitulation de la raison.
Georges Gumpel
enfant caché, fils
de Déporté « Mort pour la France » à
Melk en Autriche,
Partie Civile au procès Barbie,
membre de l' Union Juive Française pour
la Paix - UJFP.
Lyon le 21 juin 2011
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