Opinion
Le fruit qui n'est
pas tombé
Fidel
Castro Ruz
Fidel
Castro - Photo: RIA Novosti
Mardi 24 janvier
2012
Cuba a été contrainte de se battre pour
son existence face à une puissance
expansionniste, située à quelques milles
de ses côtes et qui ne cachait pas ses
visées d’annexion dans la mesure où sa
seule destinée était censément de tomber
dans son giron tel un fruit mûr. Nous
étions voués à l’inexistence comme
nation.
Dans la glorieuse multitude de patriotes
qui se battit durant la seconde moitié
du XIXe siècle contre l’abominable
colonialisme imposée par l’Espagne
pendant trois cents ans, José Martí fut
celui qui perçut avec le plus de clarté
cette destinée si dramatique. Et il le
fit savoir dans les dernières lignes
qu’il écrivit quand, à la veille d’un
rude combat prévu contre une colonne
espagnole aguerrie et bien équipée, il
affirma que l’objectif clef de sa lutte
était « d’empêcher à temps, par
l’indépendance de Cuba, que les
États-Unis ne s’étendent dans les
Antilles et ne s’abattent, avec cette
force de plus, sur nos terres
d’Amérique. Tout ce que j’ai fait à ce
jour et tout ce que je ferai, c’est pour
cela. »
Quiconque ne comprend pas cette profonde
vérité aujourd’hui ne peut être ni
patriote ni révolutionnaire.
Les médias, le monopole de nombreuses
ressources techniques et les fonds
considérables destinés à tromper et à
abrutir les masses constituent sans
aucun doute des obstacles importants,
mais non invincibles.
La nation cubaine a prouvé, malgré sa
condition de factorerie coloniale yankee
où sévissaient l’analphabétisme et la
pauvreté généralisée, qu’il était
possible de faire face au pays qui
menaçait de l’absorber définitivement.
On ne saurait affirmer qu’il existait
une bourgeoisie nationale opposée à
l’Empire ; au contraire, elle en était
si proche qu’un peu après le triomphe de
la Révolution,
elle est allée jusqu’à envoyer quatorze
mille enfants aux États-Unis sans la
moindre protection, car on avait fait
courir le mensonge perfide selon lequel
l’autorité parentale serait supprimée,
l’Histoire devant enregistrer cette «
Opération Peter Pan » comme la plus
grande manipulation d’enfants à des fins
politiques en Amérique.
À peine deux ans après le triomphe
révolutionnaire, le territoire national
fut envahi par des forces mercenaires
constituées d’anciens militaires de
Batista et de fils de gros propriétaires
terriens et de bourgeois, armées par les
États-Unis et escortées par des
bâtiments de leur flotte navale, dont
des porte-avions prêts à entrer en
action, qui les accompagnèrent jusqu’à
nos côtes. La défaite et la capture de
la quasi-totalité des mercenaires en
moins de soixante-douze heures et la
destruction de leurs avions qui
opéraient depuis des bases au Nicaragua
et de leurs moyens de transport naval
constituèrent une défaite humiliante
pour l’Empire et ses alliés
latino-américains qui avaient
sous-estimé la capacité de lutte du
peuple cubain.
Les USA ayant interrompu leurs
livraisons de pétrole puis supprimé
totalement les contingents d’exportation
de sucre dont Cuba avait toujours
bénéficié sur leur marché et interdit le
commerce établi entre les deux pays
durant plus de cent ans, l’URSS répondit
à chacune de ces mesures en nous livrant
du pétrole, en achetant notre sucre, en
faisant du commerce avec notre pays et
finalement en nous fournissant les armes
que Cuba ne pouvait acheter sur d’autres
marchés.
Une campagne systématique d’attaques
pirates organisées par
la CIA, les
actions militaires de bandes
contre-révolutionnaires créées et
équipées par les USA avant et après
l’attaque mercenaire, tout ceci devant
aboutir à une invasion militaire
directe, donnèrent naissance aux
événements qui mirent le monde au bord
d’une guerre nucléaire totale à laquelle
aucune des parties ni l’humanité
elle-même n’auraient pu survivre.
Ces événements entraînèrent sans aucun
doute la destitution de Nikita
Khrouchtchev qui sous-estima
l’adversaire, refusa d’écouter les avis
qu’on lui donnait et ne consulta pas
ceux qui, comme nous, étaient en
première ligne avant de prendre sa
décision finale. Ce qui aurait pu être
une importante victoire morale se
transforma ainsi en un revers politique
coûteux pour l’URSS. De fait, durant
bien des années, les USA continuèrent de
commettre les pires méfaits contre Cuba
et continuent, comme c’est le cas de
leur blocus criminel, de les commettre.
Khrouchtchev eut des gestes
extraordinaires envers notre pays. J’ai
critiqué sans hésiter, à l’époque, le
fait qu’il ait passé un accord avec les
États-Unis sans nous avoir consultés,
mais il serait ingrat et injuste de
notre part de ne pas reconnaître sa
solidarité extraordinaire à des moments
difficiles et décisifs pour notre peuple
dans sa bataille historique pour son
indépendance et sa Révolution face au
puissant Empire étasunien. Je comprends
que la situation était extrêmement
tendue et qu’il ne voulait pas perdre
une minute quand il prit la décision de
retirer les projectiles et que les
Yankees s’engagèrent, très en secret, à
renoncer à leur invasion.
Des décennies se sont depuis écoulées
pour atteindre un demi-siècle, et le
fruit cubain n’est toujours pas tombé
dans les mains des Yankees.
Les nouvelles qui nous parviennent
aujourd’hui d’Espagne, de France,
d’Iraq, d’Afghanistan, du Pakistan,
d’Iran, de Syrie, d’Angleterre, des îles
Malvinas et de bien d’autres point de la
planète sont sérieuses et augurent
toutes une catastrophe politique et
économique à cause de la démence des
États-Unis et de leurs alliés.
Je me bornerai à quelques points. Je
tiens d’abord à signaler – comme tout le
monde peut le constater – que la
sélection d’un candidat républicain à la
présidence de cet Empire globalisé et
touche-à-tout, constitue – et je le dis
sérieusement – le pire concours
d’idiotie et d’ignorance qu’on ait
jamais vu. Comme j’ai d’autres chats à
fouetter, je ne peux pas perdre mon
temps à ça. Je savais pertinemment qu’il
en serait ainsi.
Des dépêches de presse que je tiens à
analyser sont bien plus éloquentes,
parce qu’elles étalent en plein jour le
cynisme incroyable que génère l’Occident
dans sa décadence. L’une d’elles parle
tout bonnement d’un prisonnier politique
cubain qui, dit-on, est décédé au terme
d’une grève de la faim de cinquante
jours. Un journaliste de
Granma, de
Juventud Rebelde, d’un journal parlé
ou télévisé ou de tout autre organe de
presse révolutionnaire peut bien se
tromper dans ses appréciations d’un tel
ou tel thème, mais il ne fabrique jamais
une nouvelle de toutes pièces ni
n’invente un mensonge.
Selon la note publiée par
Granma, cette grève de la faim n’a
jamais eu lieu : il s’agissait d’un
prisonnier de droit commun, condamné à
quatre ans de privation de liberté pour
avoir battu sa femme et lui avoir causé
des blessures au visage ; c’est la
belle-mère en personne qui a demandé
l’intervention des autorités ; les
proches ont été au courant de tous les
gestes médicaux faits pour le sauver et
savent gré aux spécialistes cubains des
efforts qu’ils ont déployés. Il a été
soigné, signale la note, dans le
meilleur hôpital de l’Est du pays, comme
n’importe quel autre citoyen. Il est
décédé des suites d’une défaillance
multi-organique secondaire associée à un
processus respiratoire septique sévère.
Le patient a reçu tous les soins
habituels dans un pays qui possède un
des meilleurs services médicaux au
monde, des soins gratuits malgré le
blocus que l’impérialisme impose à notre
patrie. Il s’agit tout simplement d’un
devoir normal dans une Révolution qui
peut se vanter d’avoir toujours
respecté, durant plus de cinquante ans,
les principes qui lui donnent sa force
invincible.
Mieux vaudrait, assurément, que le
gouvernement espagnol, compte tenu de
ses excellentes relations avec
Washington, se rende aux États-Unis et
s’informe de ce qu’il se passe dans les
prisons yankees, de la conduite
impitoyable suivie envers les millions
de détenus dans ce pays, de la politique
de la chaise électrique qui y est
appliquée et des horreurs commises
envers les détenus dans les prisons et
ceux qui protestent dans les rues.
Hier, lundi 23 janvier, un dur éditorial
de
Granma intitulé « Les vérités de
Cuba » a expliqué en détail sur toute
une page la campagne mensongère insolite
et impudente orchestrée contre notre
Révolution par « certains gouvernements
traditionnellement impliqués dans la
subversion contre Cuba ».
Notre peuple connaît bien les normes qui
ont régi la conduite immaculée de notre
Révolution dès le premier combat et
jamais souillée durant plus d’un
demi-siècle. Il sait aussi que les
ennemis ne pourront jamais exercer de
pressions sur lui ni le faire chanter.
Nos lois et nos normes seront appliquées
indéfectiblement.
Il est bon de le signaler clairement et
en toute franchise. Le gouvernement
espagnol et l’Union européenne qui part
en capilotade, plongée dans une profonde
crise économique, doivent savoir à quoi
s’en tenir. Leurs déclarations
reproduites par les agences de presse et
recourant à des mensonges éhontés pour
attaquer Cuba font pitié. Occupez-vous
d’abord de sauver l’euro, si vous le
pouvez, réglez le chômage chronique dont
souffrent toujours plus de jeunes,
répondez aux indignés que vos polices ne
cessent d’attaquer et de frapper.
Nous n’ignorons pas que le gouvernement
espagnol est maintenant passé aux mains
d’admirateurs de Franco, lequel dépêcha
près de cinquante mille membres de
la Division Bleue
auprès des SS et des SA nazis pour
participer à la sauvage agression contre
les Soviétiques, prenant part à
l’opération la plus cruelle et la plus
douloureuse de cette guerre, le siège de
Leningrad, où un million de citoyens
russes périt dans cette tentative
d’étrangler la ville héroïque. Le peuple
russe ne pardonnera jamais ce crime
horrible.
La droite fasciste d’Aznar, de Rajoy
et d’autres serviteurs de
l’Empire doit avoir sa petite idée sur
les seize mille morts que souffrirent
leurs prédécesseurs de la Division bleue et sur les
Croix de fer par lesquelles Hitler
récompensa ses officiers et ses soldats.
Ce que fait aujourd’hui la
police-gestapo aux hommes et aux femmes
qui réclament leur droit au travail et
au pain dans le pays où sévit le chômage
le plus élevé d’Europe n’a donc rien
d’étonnant
Pourquoi les médias de l’Empire
mentent-ils si impudemment ?
Ceux qui manipulent ces médias
s’escriment à tromper et à abrutir le
monde par leurs mensonges éhontés,
pensant peut-être que c’est là le
recours principal pour maintenir le
système de domination et de pillage
imposé au monde et, tout
particulièrement, aux victimes proches
du siège des métropoles, autrement dit
les presque six cents millions de
Latino-Américains et de Caribéens vivant
sur ce continent-ci.
La république sœur du Venezuela est
devenue l’objectif clef de cette
politique. La raison en saute aux yeux.
Sans le Venezuela, l’Empire aurait
imposé le Traité de libre-échange à tous
les peuples du continent qui vivent au
sud des États-Unis, où se trouvent les
plus grandes réserves de terre, d’eau
potable et de minerai de la planète,
ainsi que de grande ressources
énergétiques qui, gérées dans un esprit
de solidarité avec les autres peuples du
monde, ne peuvent ni ne doivent tomber
aux mains des transnationales qui
imposent un système suicidaire et
infâme.
Il suffit, par exemple, de regarder une
carte pour comprendre l’extorsion
criminelle dont l’Argentine a été
victime quand on lui a enlevé un pan de
son territoire à l’extrême sud du
continent où les Britanniques ont
utilisé leur appareil militaire décadent
pour assassiner des recrues argentines
vêtus d’uniformes d’été en plein hiver
austral. Les États-Unis et leur allié
Augusto Pinochet y offrirent à
l’Angleterre un appui ignominieux. De
nos jours, à la veille des Jeux
olympiques de Londres, le Premier
ministre David Cameron proclame à son
tour, comme l’avait déjà fait Margaret
Thatcher, son droit de recourir aux
sous-marins atomiques pour tuer des
Argentins. Le gouvernement de ce pays
ignore que le monde est en train de
changer et que notre continent et la
plupart des peuples méprisent toujours
plus les agresseurs.
Le cas des îles Malvinas n’est pas le
seul. Quelqu’un sait-il comment se
terminera le conflit en Afghanistan ?
Voilà quelques jours à peine, on
apprenait que des soldats étasuniens
avaient outragé les cadavres de
combattants afghans assassinés par les
drones de l’OTAN.
Voilà trois jours, une agence de presse
européenne faisait savoir que « le
président Hamid Karzai avait avalisé des
négociations de paix avec les talibans,
en soulignant que c’était là une
question que devaient régler les
citoyens de ce pays », et qu’il avait
ajouté : « … le processus de paix et de
réconciliation incombe à la nation
afghane, et aucun pays ni aucune
organisation étrangère ne peut ôter ce
droit aux Afghans. »
Par ailleurs, une dépêche en provenance
de Paris publiée par notre presse
informait : «
La France a suspendu
aujourd’hui toutes ses opérations
d’entraînement et d’aide au combat en
Afghanistan et a menacé de retirer ses
troupes avant la date prévue, après
qu’un soldat afghan a eu abattu quatre
militaires français dans la vallée de
Taghab, dans la province de Kapisa […]
Sarkozy a donné des instructions à son
ministre de la Défense, Gérard Longuet, de se rendre
sans délai à Kaboul et a envisagé la
possibilité de retirer le contingent
français par anticipation. »
À la disparition de l’URSS et du camp
socialiste, le gouvernement étasunien a
jugé que Cuba ne pourrait pas se
maintenir. George W. Bush avait même
préparé un gouvernement
contre-révolutionnaire pour diriger
notre pays. Le jour même où Bush a lancé
sa guerre criminelle contre l’Iraq, j’ai
demandé aux autorités de notre pays de
cesser d’être tolérantes envers les
chefaillons contre-révolutionnaires qui
demandaient hystériquement, ces
jours-là, une invasion de Cuba, car leur
attitude constituait de fait une
trahison à la patrie.
Bush et ses crétineries ont sévi durant
huit ans ; la Révolution dure déjà
depuis plus d’un demi-siècle. Le fruit
mûr n’est pas tombé aux mains de
l’Empire. Cuba ne sera pas une force de
plus par laquelle l’Empire s’étendra sur
les peuples d’Amérique. Le sang de Martí
n’aura pas coulé en vain.
Je publierai demain d’autres Réflexions
qui compléteront celles-ci
Fidel Castro Ruz
Le 24 janvier 2012
Le sommaire de Fidel Castro
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