Opinion
La guerre inévitable
de l'OTAN (II)
Fidel Castro Ruz
Fidel Castro - Photo:
RIA Novosti
Jeudi 3 mars 2011
Quand, s’inspirant
de son collègue égyptien Abdel Gamal
Nasser, le colonel de l’armée libyenne, Mouammar
el-Kadhafi, alors âgé de vingt-sept
ans, renversa le roi Idris Ier, il prit d’importantes
mesures révolutionnaires comme la réforme agraire et la
nationalisation du pétrole. Il consacra les revenus croissants
au développement économique et social, en particulier aux
services éducationnels et sanitaires de la peu nombreuse
population d’un immense pays majoritairement désertique aux
rares terres cultivables.
Une mer d’eau fossile très étendue et profonde gît sous ce
désert. Et il m’avait semblé, après avoir connu une zone de
culture expérimentale, que ces eaux seraient à l’avenir plus
précieuses que le pétrole.
La foi religieuse, prêchée avec la ferveur qui caractérise les
peuples musulmans, aidait en partie à compenser la forte
tendance tribale qui caractérise encore ce pays arabe.
Les révolutionnaires libyens élaborèrent leurs propres idées et
les appliquèrent dans des institutions juridiques et politiques
que Cuba se fit une norme de respecter.
Elle s’abstint absolument d’émettre des vues sur les conceptions
de la direction libyenne.
Mais je constate clairement que les États-Unis et l’OTAN
s’inquiètent surtout, non de ce qu’il se passe en Libye, mais de
la vague révolutionnaire qui déferle dans le monde arabe et
qu’ils veulent freiner à tout prix.
Car il est incontestable que, ces dernières années, les rapports
des USA et de leurs alliés de l’OTAN avec la Libye étaient
excellents…, jusqu’à la rébellion en Égypte et en Tunisie.
Aucun dirigeant des pays de l’OTAN ne faisait état de problèmes
quand il rencontrait Kadhafi ; la Libye était devenue une source
sûre de pétrole de grande qualité, de gaz, voire de potasse. Les
difficultés surgies entre eux dans les premières décennies
avaient été surmontées.
Le pays s’était ouvert à l’investissement étranger dans des
secteurs stratégiques comme la production et la distribution du
pétrole.
La privatisation avait touché de nombreuses sociétés publiques.
Le Fonds monétaire international jouait son rôle béatifique dans
la mise en place de ces opérations.
Bien entendu, Aznar ne tarissait pas d’éloges envers Kadhafi.
Et, à sa suite, Blair, Berlusconi, Sarkozy,
Zapatero et jusqu'à mon ami le roi d’Espagne défilèrent
sous le regard narquois du leader libyen. Ils étaient heureux.
J’ai l’air de me moquer, mais c’est faux. Car je me demande tout
simplement : pourquoi veulent-ils maintenant envahir la Libye et
traduire Kadhafi devant la Cour pénale internationale de La
Haye ?
On l’accuse du matin au soir d’avoir fait tirer contre des
citoyens désarmés qui protestaient. Pourquoi ne dit-on pas au
monde que ce sont les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres
hôtes illustres de Kadhafi qui lui ont fourni les armes et
surtout les équipements de répression sophistiqués qu’il
possède ?
Je m’oppose aux mensonges cyniques par lesquels on prétend
justifier l’invasion et l’occupation de la Libye.
Ma dernière visite à Kadhafi remonte à mai 2001. Quinze années
s’étaient écoulées depuis que Reagan avait attaqué sa résidence
plutôt modeste, mais il avait tenu à me faire constater les
grandes destructions qu’y avait causées la frappe directe de
l’aviation, laquelle avait aussi tué sa petite fille de trois
ans… Assassinée par Ronald Reagan ! Il n’y avait pas eu dans ce
cas d’accord préalable de l’OTAN, du Conseil des droits de
l’homme ni du Conseil de sécurité.
Ma visite antérieure datait de 1977,
huit ans après le début de la révolution en Libye.
J’avais visité Tripoli ; j’avais participé au Congrès du peuple
libyen à Sebha ; j’avais parcouru les zones agricoles où se
déroulaient les premières expérimentations à partir des eaux
tirées de l’immense mer fossile ; j’avais connu Benghazi où
j’avais fait l’objet d’un accueil chaleureux. La Libye était un
pays légendaire qui avait été le théâtre de batailles
historiques durant la dernière guerre mondiale. Elle ne comptait
même pas six millions d’habitants, et ses énormes réserves de
pétrole léger et d’eau fossile n’avaient pas encore été
découvertes. Et les anciennes colonies portugaises d’Afrique
s’étaient déjà libérées.
En Angola, nous avions lutté quinze années durant contre les
bandes mercenaires organisées par les États-Unis sur des bases
tribales, contre le gouvernement de Mobutu et contre l’armée
raciste de l’apartheid, bien équipée et bien entraînée.
Celle-ci, obéissant – on le sait aujourd’hui – à
des instructions des États-Unis, avait envahi l’Angola en
1975 pour empêcher son indépendance, et ses forces motorisées
étaient parvenues aux portes de Luanda. Plusieurs instructeurs
cubains moururent durant cette invasion brutale face à laquelle
nous dépêchâmes de toute urgence des ressources.
Une fois expulsées du pays par les troupes internationalistes
cubaines et les troupes angolaises jusqu'à la frontière de la
Namibie occupée par l’Afrique du Sud raciste, celle-ci reçut
pendant treize ans la mission de liquider la révolution en
Angola.
Elle mit au point l’armée atomique avec l’appui des États-Unis
et d’Israël. Et elle la possédait déjà quand les troupes
cubaines et angolaises mirent en déroute ses forces terrestres
et aériennes à Cuito
Cuanavale et, bravant les risques,
utilisant les tactiques et les moyens classiques, progressèrent
jusqu’à la frontière namibienne où les troupes de l’apartheid
prétendaient résister. Nos troupes ont, deux fois dans leur
histoire, couru le risque d’être attaquées par ce genre d’arme :
en octobre 1962 et dans le Sud angolais, mais, dans ce second
cas, même l’arme nucléaire n’aurait pas empêché la défaite de
l’Afrique du Sud qui marqua la fin de son système odieux. Tout
ceci se passait sous l’administration Ronald Reagan aux USA et
sous Pieter Botha en Afrique du Sud.
Nul ne parle de cette aventure impérialiste, ni des centaines de
milliers de vies qu’elle a coûtées.
Je regrette d’avoir à rappeler ces faits quand un autre grand
risque pèse sur les peuples arabes parce qu’ils ne résignent
plus au pillage et à l’oppression dont ils sont victimes.
La révolution dans le monde arabe, que redoutent tant les
États-Unis et l’OTAN, est la révolution de ceux qui n’ont aucun
droit face à ceux qui font étalage de tous les privilèges et
elle est donc appelée à être plus profonde que celle qui éclata
en Europe à partir de la prise de la Bastille en 1789.
Même Louis XIV, qui proclama :
« L’État, c’est moi ! », ne bénéficiait pas des prébendes du roi
Abdallah d’Arabie saoudite, encore moins de l’immense richesse
qui git sous la surface de ce pays
quasi désertique où les transnationales yankees décident de
l’extraction du pétrole et contrôlent donc les cours mondiaux de
ce produit.
Depuis que la crise a éclaté en Libye, l’extraction du pétrole
en Arabie saoudite a augmenté d’un million de barils par jour, à
un coût minime, de sorte que les revenus de ce pays et de ceux
qui le contrôlent s’élèvent, rien qu’à ce titre, à un milliard
de dollars par jour.
Mais que personne ne pense que le peuple saoudien baigne dans la
richesse. Les récits des conditions de vie de nombreux
travailleurs du bâtiment et d’autres secteurs, contraints de
travailler treize ou quatorze heures par jour pour des salaires
misérables, sont émouvants.
Effrayée par la vague révolutionnaire qui ébranle le système de
pillage en place depuis les faits dont les travailleurs ont été
les protagonistes en Égypte et en Tunisie, mais aussi par les
actions des jeunes chômeurs en Jordanie, dans les territoires
occupés de Palestine, au Yémen, et même au Bahreïn et dans les
Émirats arabes aux revenus plus élevés, la haute hiérarchie
saoudite vit sous l’impact des événements.
À la différence de ce qu’il se passait autrefois, les peuples
arabes reçoivent aujourd’hui des informations presque
immédiates, quoiqu’extraordinairement
manipulées, sur le cours des événements.
Le pire pour le statut des secteurs privilégiés, c’est que les
faits – qui sont têtus, on le sait – coïncident avec une hausse
considérable des cours des aliments et avec les retombées
dévastatrices des changements climatiques, tandis que les
États-Unis, le plus gros producteur de maïs au monde, utilisent
presque 40 p. 100 de ce produit subventionné et une part
importante de leur soja pour fabriquer des biocarburants
destinés aux moteurs de voitures. Lester Brown, l’écologiste
étasunien le mieux informé au monde sur les produits agricoles,
peut nous offrir sûrement une idée de la situation alimentaire
actuelle.
Le président bolivarien Hugo Chávez
tente un vaillant effort pour trouver un règlement en Libye sans
intervention de l’OTAN. Ses possibilités de succès
augmenteraient s’il parvenait – ce qui serait un exploit – à
créer un vaste mouvement d’opinion avant, et non après,
l’intervention, afin que les peuples ne
voient pas
se répéter dans d’autres pays l’atroce expérience de l’Iraq.
Je conclus ici ces Réflexions.
Fidel Castro Ruz
Le 3 mars 2011
Le dossier Libye
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