Opinion
Le 11-Vendémiaire
de la Sainte-Révolution syrienne
Fida
Dakroub

Mardi 4 septembre
2012
Généralités
Il est certainement beau de bien
servir sa patrie, mais le mérite de bien
dire n’est pas non plus à dédaigner. En
politique comme en littérature, sur la
barricade comme sur l’écran d’un
ordinateur, on peut se rendre illustre ;
et ceux qui font de belles actions,
comme ceux qui les écrivent, obtiennent
des louanges. Or, selon moi, bien qu’il
ne revienne pas à celui qui écrit
l’histoire la même gloire qu’à celui qui
la fait, sa tâche n’en est pas
moins fort difficile. Dans ce sens, il
ne suffit pas que le récit historique
réponde à la grandeur des actions
historiques, mais il faut qu’il s’élève
aussi à leur rang d’apothéose ; sinon
vos lecteurs taxent vos écrits de
prosaïsme et de simplisme. Ceci exige,
ici, un besoin de présenter, dans un
récit glorieux, un événement aussi
majestueux que celui du 11-Vendémiaire
[1] de la Sainte-Révolution syrienne,
soit le deuxième jour du mois d’octobre
2011. Ce jour fut honoré par la
naissance d’un pacte de principes
constitutionnels, qui aurait dessiné
pour ainsi dire les contours de la Syrie
de demain.
En préambule, la plupart de mes
lecteurs me posent deux questions qui me
sont devenues familières. Ceux qui
lisent régulièrement mes articles sur la
Syrie, me demandent pourquoi quand je
parle de la soi disant « révolution »
syrienne, d’un côté, et de la «
coalition » qui s’est établie entre
l’impérialisme occidental, l’islamisme
califal turc et le despotisme
obscurantiste arabique, de l’autre côté,
j’emploie des désignations qui ne
s’échangent pas au marché médiatique,
telles que la « Sainte-Révolution » et
la « Sainte-Alliance ».
La réponse à la première
interrogation n’implique pas
nécessairement un recours aux schémas
métaphysiques ni aux équations
géométriques abstraites. Il suffit, dans
ce contexte, d’examiner le discours
politique des dirigeants atlantiques et
arabiques sur la Syrie, depuis le début
des événements en mars 2011, pour
remarquer la « Couronne de lumière » qui
entoure leur tête, et saisir la «
Sainteté » qui y rayonne.
En ce qui concerne la deuxième
interrogation, il faut préciser s’il
s’agit vraiment d’une alliance ou d’une
simple coalition, comme celle qui se fut
établie lors de la deuxième Guerre du
Golfe (1990 – 1991), lorsque les
puissances impérialistes principales et
leurs subordonnées arabiques furent
entrées en une coalition mondiale,
limitée dans le temps et dans l’espace,
dont les buts et les objectifs furent
bien précis : détrôner le dernier roi de
Babylone, Nabuchodonosor [2] Saddam
Hussein, brûler son temple, et prendre
son peuple en captivité. Cette coalition
atteignit sa fin, une fois elle eut
accompli ses objectifs. Pourtant, dans
le contexte syrien, la réalité des
choses est différente de celle du cas
ci-devant ; il ne s’agit pas, ici, d’une
coalition d’intérêts
conjoncturels, limitée dans le temps et
dans l’espace, mais bien plutôt d’une
alliance d’intérêts
structurels, enracinée dans le temps et
dans l’espace, et qui rassemble, sous la
Sainte-Robe [3], toutes les puissances
impérialistes et colonialistes
principales, d’un côté, et leurs
subordonnées, de l’autre côté, tels que
l’islamisme califal turc, le despotisme
obscurantiste arabique et leurs
manifestations islamistes wahhabites.
Autrement dit, le Saint-Esprit de la
réaction mondiale.
Ainsi, la Démocratie démocratique, si
élevée qu’elle se sût au-dessus de la
Masse arabe, ressentit pour elle une
infinie pitié. Tant la Démocratie
démocratique aima la Masse arabe qu’elle
envoya son Fils unique – le Printemps
arabe –, afin que tous ceux qui
croyaient en lui ne fussent pas perdus,
mais qu’ils eussent la vie démocratique.
Visite de Davutoglu à Damas,
et le message qu’il livra
En effet, dès le premier jour de la
guerre impérialiste contre la Syrie, je
conçus le projet d’écrire, par morceaux
détachés, l’histoire de la
Sainte-Révolution syrienne, en
choisissant des événements qui me
paraissaient digne de mémoire. Pourtant,
vue l’intensité de la propagande
impérialiste contre la Syrie, et
l’insolence renouvelée des médias de
l’ordre, je dus attendre quelques mois
pour que la conjuration se précisât et
les conjurateurs se démasquassent, avant
que je pusse recueillir des données
pertinentes.
Or, au début du mois d’août 2011, la
démarche de la guerre impérialiste
contre la Syrie prit une ampleur
différente, avec la visite à Damas du
chef de la diplomatie turque, Ahmet
Davutoglu, qui fut arrivé à la capitale
des Omeyyades porteur d’un message
«déterminé», selon l’expression du
premier ministre turc, Recep Tayyip
Erdogan. Deux mois plus tard, une foule
d’opposants se réunirent à Istanbul,
baptisée La Mecque de tous ceux qui
dissimulaient la rancune envers le
gouvernement syrien, pour créer une
vitrine politique, derrière laquelle se
cachaient les vrais scénaristes et
metteurs en scène de la
Sainte-Révolution syrienne. Ainsi naquit
le CNS.
À mon avis, cet événement marqua un
détour décisif de la guerre impérialiste
contre la Syrie, car après la naissance
césarienne du CNS, les conjurateurs ne
cacheraient plus leur rôle dans le cycle
de violence, et l’ingérence
arabo-atlantique dans les affaires
intérieures de ce pays deviendrait
désormais officielle et directe. C’était
précisément cet événement significatif
qui me poussa à mettre en œuvre mon
projet et à élaborer son vouloir-dire :
traiter brièvement, et le plus
fidèlement que possible, de la guerre
impérialiste contre la Syrie.
Dans quelle détresse le CNS
fut élevé au rang des Archanges
Au préalable, il faut préciser que la
création du CNS et la déclaration du
pacte « de la dignité et de la liberté
», comme il plut aux messies du CNS de
l’appeler, fut proposé à l’ensemble des
oppositions de l’extérieur, les
coordinations locales de l’intérieur,
les Frères musulmans, les partis kurdes
et assyriens, et une foule de formations
politiques et tribales. Ainsi, fut l’«
Ascension en Ciel » du Conseil national
syrien (CNS), qui rassemblait, sous la
même burqa, des islamistes salafistes,
des nationalistes chauvinistes, des
soi-disant communistes, des bourgeois
libéraux et, sans doute aucun, des
arrivistes ; évidemment. Parmi cette
foule, nous vîmes d’abord des salafistes
wahhabites diabolisant l’Occident et ses
structures sociales et culturelles,
rejetant le peuple comme source de
pouvoir légitime, car pour eux le Ciel
fut la seule source de tout pouvoir ;
nous y vîmes ensuite des libéraux
bourgeois et petit-bourgeois fascinés
par l’achèvement de la démocratie
bourgeoise occidentale, par ses
institutions politiques et sociales,
croyant à l’expérience occidentale comme
une forme ultime du paradis terrestre,
ce qui les mit, naturellement, face au
composant précédent, les Frères
musulmans ; puis nous y vîmes des soi
disant marxistes « révolutionnaires »,
désespérés et dispersés aux quatre coins
du monde, résidus de la Guerre froide et
sous-produits du démembrement de l’Union
soviétique, ils démarquèrent
idéologiquement et discursivement face
aux islamistes et aux libéraux ; nous y
vîmes enfin des nationalistes
chauvinistes arabes, kurdes et assyriens
; parmi ceux-ci nous entendîmes d’un
côté les cris des chauvinistes arabes
nassériens, semi-socialistes
semi-islamistes, appelant à la
Grande-Nation panarabe dont
l’établissement exigerait nécessairement
l’écrasement des minorités ethniques de
la Syrie, surtout les Kurdes ; parmi
ceux-là nous entendîmes de l’autre côté
les nationalistes kurdes célébrer la
Naurouze et hurler Hourra le Grand
Kurdistan, dont l’établissement
menacerait, certainement, l’unité de la
Grande-Nation panarabe ; parmi
ceux-ci et ceux-là, nous entendîmes
aussi les minorités ethniques
assyriennes déplorer la
Sainte-Assyrie et sa divinité
tutélaire, Assur, véritable
maître de Ninive [4], dont les racines
mythiques remontèrent loin dans
l’histoire du deuxième millénaire avant
notre ère commune. Bref, c’était un
mélange extraordinaire de contradictions
dont l’impossibilité de se rencontrer
sur un seul point idéologique commun ne
demeurait pas inaperçue, même pour un
plébéien [5] replié sur son Aventin [6].
Or, c’était précisément cet amalgame
alchimique, expérimenté dans les
alambics des centres de pouvoir
impérialistes, qui exhaussa les
adversaires de la Syrie à un niveau plus
élevé, à un stade suprême de l’évolution
des idées et pratiques révolutionnaires,
celui de la Sainte-Révolution syrienne.
Certainement, ces bourgeois
gentilshommes [7] de la CNS
partageaient deux points communs assez
fragiles: 1) l’hébergement en Occident,
2) l’absence d’un programme de réforme
précis. Par contre, ils se rencontraient
sur un seul objectif: renverser le
président Assad à tout prix, et après
lui qu’il fût le déluge ; peu importe le
chaos, peu importe la destruction du
pays !
En effet, cette montée en puissance
du CNS, cet héroïsme vaniteux de ses
membres dénoués de toute modestie, cette
ascension au rang des Archanges, ce
triomphe momentané de la force brutale
du terrorisme « universel », béni par
l’Empire et ses vassaux, tout [8] est
payé par l’anéantissement de toutes les
illusions et chimères de la soi disant «
révolution » syrienne, par la
désagrégation de tout le discours
impérialiste « philanthrope » sur sa
nature pacifique ainsi que sur sa
légitimité révolutionnaire. Par contre,
cette nouvelle créature à la
Frankenstein, cette Cerbère [9] n’aurait
été utile que dans le contexte de
l’accroissement des agressions contre la
Syrie.
Ce qui advint du CNS et
comment il se transforma en Cerbère
C’était précisément à ce moment
critique du développement de la guerre
impérialiste contre la Syrie que le CNS
se transforma en Cerbère, que ses
révolutionnaires printaniers décidèrent
de déclarer un « pacte de la liberté et
de la dignité » en évoquant
craintivement les esprits des grandes
révolutions européennes du XIXe
siècle et de l’apparition de l’islam à
La Mecque du VIIe siècle,
qu’ils leur empruntèrent leurs noms,
leurs mots d’ordre, leurs discours
philanthropes, leurs slogans politiques
et sociaux, même leurs costumes, pour
apparaître ainsi sur la nouvelle scène
de l’histoire sous ce déguisement
respectable, digne à tout «
révolutionnaire » qui croyait à l’Esprit
des lois de Montesquieu, au
Contrat social de Rousseau et à
La justice sociale en Islam de
Sayyid Qutb, certainement avec ce
langage emprunté à la première
Révolution française.
Burhan Ghalioun, Bassma Kodmani,
Abdel Basset Sayda, tous les 190
mousquetaires du CNS, de même que des
partis nationalistes kurdes, une masse
de tribus et de clans bédouins du Désert
syrien, ainsi que les Quarante-quatre
d’Ali Baba, tout accomplit dans le
costume de la première Révolution
française, et en se servant d’une
phraséologie empruntée aux philosophes
de l’Aufklärung [10],
la tâche de l’achèvement des idées
révolutionnaires, à savoir le pacte du
11-Vendémiaire ; ainsi, Abdel Basset
Sayda s’identifia à Robespierre, Bassma
Kodmani s’habilla en Danton et Burhan
Ghalioun joua le rôle de Camille
Desmoulins.
Par ailleurs, en lisant les principes
de la déclaration du CNS, il devenait de
plus en plus difficile de nous
débarrasser de l’idée insistante que les
auteurs de ce pacte « historique »,
comme l’appela monsieur Ghalioun, eurent
l’intention de commencer la rédaction
par un concerto de piano en si bémol
mineur [11], aussi glorieux que
l’événement lui-même dont le pacte fut
issu, la Sainte-Révolution syrienne.
Or, tout observateur moyen, même sans
avoir suivi pas à pas le périple de la
Sainte-Révolution syrienne dans les
coulisses des puissances impérialistes,
se doutait que la révolution allât à une
déconfiture inouïe. Il eût suffi
d’entendre, dans ce sens, les
glapissements de triomphe dénués de
toute modestie, avec lesquels ces
messieurs du Conseil national syrien
(CNS), alors présidé par Burhan
Ghalioun, se félicitaient l’un-l’autre
des effets miraculeux du 11-Vendémiaire,
soit du deuxième jour d’octobre 2011.
Laïcisme, matérialisme,
islamisme, et ce qui advint du pacte du
CNS
Certainement, en annonçant leur
unification au sein du CNS, les
oppositions syriennes eussent atteint
une étape décisive vers la subordination
complète aux puissances impérialistes.
Il suffisait que le CNS eut reçu, le 10
octobre, l’appui de son confrère libyen,
le Conseil national de transition (CNT),
pour que nous construisissions une idée
première de l’avenir prévu de la Syrie ;
le soir même, le CNS reçut aussi la
bénédiction de l’Union européenne (EU)
qui se précipita à saluer « les efforts
de la population syrienne pour établir
une plateforme unie et appela la
communauté internationale à faire de
même » [12].
D’abord, dans ce pacte grandiose,
l’inévitable déclaration des libertés
publiques (liberté personnelle, liberté
de la presse, de la parole, de
l’expression, d’association, de réunion,
d’enseignement, des cultes, etc.), se
présenta en un uniforme constitutionnel
qui le rendit invulnérable. Ce pacte, si
subtilement rendu inviolable, qui eût pu
être l’issu de l’évolution historique
des idées révolutionnaires, était
cependant, comme Achille, vulnérable en
un point, non pas au talon, mais à la
tête, ou plutôt aux trois têtes dans
lesquelles il se perdait : 1) le
discours libéral bourgeois de monsieur
Burhan Ghalioun ; 2) le discours
islamiste des Frères musulmans ; 3) le
discours socialiste de quelques résidus
de la Guerre froide. Ensuite, comme
résultat de cette tripolarité
discursive, chacune de ces libertés fut
proclamée comme un droit absolu
du citoyen syrien, mais avec cette
réserve constante qu’elle ne
contredirait pas la révélation
divine, telle que manifestée dans
le credo islamique de l’époque
de Sahifa [13]. Ensuite,
l’ouverture grandiose de ce pacte
commença par une insistance sur
l’importance historique de la «
révolution » syrienne qui, selon les
auteurs du pacte, mettrait la Syrie au
même niveau que celui des nations
civilisées. Enfin, le pacte se termina
par une escroquerie à l’égard de
l’aspect universelle cosmopolite de la
Sainte-Révolution syrienne, fidèle aux
âmes immortelles des ses martyrs.
Prenons, à titre d’exemple, le premier
principe du pacte :
« Le soulèvement-révolution en
Syrie constitue un tournant radical dans
l’histoire de la société et de l’État
syriens. Elle porte en elle, comme
toutes les révolutions du “printemps
arabe”, un saut qualitatif, un message
humain et un ensemble de valeurs
universelles, représentant le
dénominateur commun des aspirations du
peuple syrien et la reconnaissance au
sacrifice de ses martyrs» [14].
À notre sens, les auteurs du principe
ci-dessus prêtaient beaucoup
d’importance à montrer leur « réalité »
comme un résultat logique et normal de
l’évolution des luttes révolutionnaires
en Syrie, tout en empruntant leur
langage à l’héritage marxiste,
précisément au matérialisme historique.
Ceci se révéla dans l’emprunt de
l’expression « un saut qualitatif
» dû, évidemment, à un long processus
d’accumulation de petits sauts
quantitatifs. Pourtant, ce principe
emprunté au matérialisme historique fut
suivi directement par un autre dont
l’effet de contraste ne put pas demeurer
inaperçu même pour un révolutionnaire
stagiaire ; car il nous jeta du haut de
l’époque de l’Aufklärung
jusqu’en bas de l’époque Hégire.
Soudain, nous nous trouvîmes dans un
environnement disharmonieux, celui de La
Mecque du VIIe siècle (ÈC).
Lisons dans le principe suivant :
« Depuis le pacte de la Sahifa
établi par le Prophète à son arrivée à
Médine aux déclarations des droits de
l’Homme des temps modernes, les pactes,
accords et contrats ont constitué les
règles de la vie commune entre les
citoyens d’un même pays. Leur contenu
représente le jalon nécessaire et
indispensable, notamment dans les
périodes de changement, de transition et
de construction. Leurs règles
constituent les repères auxquels se
réfère la société dans ses différentes
composantes, et les bases d’un État
défendant les libertés fondamentale et
assurant la souveraineté. Ces règles
sont immuables, quel que soit la
majorité électorale, politique ou
sociale. Aucune ne peut être omise ou
fractionné » [15].
Sans nul doute possible, en prenant
la Sahifa comme point de départ
historique, le pacte du CNS ne portait
pas seulement en lui les germes de sa
propre misère, mais il annonçait aussi
son râle avéré.
Avant toute chose, qu’est-ce que le
pacte de Sahifa ? C’est un
traité de paix entre les musulmans, les
arabes non-musulmans et les juifs de
Médine. Le traité fut mis par écrit et
ratifié par toutes les parties, vers
l’an 622 (ÈC). Cependant avec la
présence de plus en plus envahissante
des musulmans, les tribus juives
commencèrent à s’irriter. C’était le
début d’un conflit violent et sanglant
entre les deux communautés.
À l’évidence, la référence à la
Sahifa laissa l’allégeance de la «
deuxième République », telle que promise
par le CNS, ambiguë ; et des questions
se révélèrent ici : d’où recevrait cette
République sa légitimité, du peuple
ou de la loi divine ? Ici,
l’amalgame ne pouvait pas être accompli,
car l’un niait l’autre, au moins que les
auteurs de ce pacte eussent voulu mettre
en application les principes de la
Dialectique de la Nature [16].
Mieux encore, si la « deuxième
République » recevait sa légitimité du
peuple, cela devrait entraîner,
sous entendu, un État laïque n’adhérant
à aucune religion précise, qu’elle fût
majoritaire ou minoritaire. Dans ce cas,
les Frères musulmans, fidèles au
credo islamique se trouveraient en
démarcation face à la société et à
l’État, ce qui entrainerait, évidemment,
à un nouveau conflit, cette fois-ci plus
violent et plus sanglant, entre les
islamistes et les mousquetaires de la «
deuxième République ». Par contre, si la
« République » recevait sa légitimité de
la loi divine, tel que voulu
par l’inclusion de la Sahifa,
ici tout le discours sur les droits de
l’homme, les libertés publiques,
l’égalité parmi les différents
composants de la société syrienne ne
serait qu’un bavardage futile, un
dialogue de perroquets ; car dans une
situation pareille, tout groupe ayant un
credo différent de celui issu
de la loi divine perdrait l’une
ou l’autre des libertés et des dignités
promises dans le pacte « de la liberté
et de la dignité » du CNS. En plus, les
droits de la personne et celles des
groupes minoritaires (qu’il s’agit des
minorités religieuses, ethniques,
linguistiques, sexuelles ou affectives)
n’eussent pas pu demeurer à l’abri de
l’oppression de la Loi divine.
Le sort des minorités chrétiennes en
Irak, au lendemain de l’occupation
américaine, éliminées massivement et
systématiquement par de groupes
fanatiques, ainsi que les attaques
quotidiennes contre les chrétiens coptes
en Égypte, constituèrent un bon exemple
de ce que pourrait être l’avenir des
minorités ethniques et religieuses de la
Syrie, dès que le CNS, avec sa
tripolarité discursive, eût pris le
pouvoir.
Ainsi, Damoclès leva la tête et
s’aperçut qu’une épée était suspendue
au-dessus de lui, et n’était retenue que
par un crin du cheval de Denys [17].
Suite des malheurs du CNS
En définitive, la création du CNS
avait un rôle précis, mais différent de
celui déclaré sur la Proskènion [18]. Il
ne fut pas secret, ici, que la
déclaration du 11-Vendémiaire visa à
augmenter la pression sur le régime
syrien et à prendre la campagne contre
la Syrie à un niveau plus avancé. La
création du CNS visa aussi à fournir la
Sainte-Alliance d’une vitrine politique
locale, derrière laquelle se cacheraient
les vrais conjurateurs. D’ailleurs, la
Sainte-Alliance se rendit compte, dès le
début, que la Sainte-Révolution
demeurerait étrangère au peuple syrien,
et qu’elle se dirigerait, certainement,
vers sa propre déconfiture ; ceci créa
un besoin de faire sortir la
Sainte-Révolution de l’impasse où elle
se trouva, après qu’elle eut échoué à
s’enraciner dans le paysage syrien. En
faisant ceci, la Sainte-Alliance
augmenta, en effet, la pression contre
la Syrie, et créa le noyau d’un futur
gouvernement d’asile qui recevrait la
reconnaissance des pays impliqués dans
la Sainte-Alliance, en tant que « seul
représentant légitime du peuple syrien
».
Pourtant, en un an et demi de la
campagne impérialiste, la Syrie se tient
toujours solide et résistante dans
l’arène de l’affrontement, plus
déterminée que jamais à mener une
victoire décisive, malgré l’atrocité et
la barbarie de la conjuration.
Fida Dakroub, Ph.D
Pour communiquer avec l’auteure :
www.fidadakroub.net
Notes
[1] Le jour de
Vendémiaire est le premier jour du
calendrier républicain français. Il
correspondait à quelques jours près
(selon l’année) à la période allant du
22 septembre au 21 octobre du calendrier
grégorien. Ainsi, le 11 vendémiaire
correspondrait au 2 octobre.
[2]
Nabuchodonosor II était le roi de
Babylone entre 604 av. È.C. et 562
av. È.C. Il doit sa renommée au fait
qu’il a régné sur le plus vaste
empire qu’ait dominé Babylone, à la
suite du très rude Siège de
Jérusalem. Il prit la ville, brûla
le temple bâti par Salomon et la
maison du roi et fit la conquête du
royaume de Juda. Il emmena le peuple
hébreu en captivité à Babylone. Ceci
est relaté dans la Bible, au
deuxième livre des Rois.
[3] Galbien (Galbios)
et Candide (Candios), deux
patriciens constantinopolitains
auraient effectué un pèlerinage en
Terre-Sainte. Ils se reposèrent chez
une vieille femme juive nommée Anne,
qui avait en sa possession la robe
de Marie, qui l’avait légué
elle-même à sa servante le jour de
la Dormition.
[4] Ninive est
une ancienne ville de l’Assyrie,
dans le nord de la Mésopotamie. Elle
était un important carrefour de
routes commerciales traversant le
Tigre. Elle occupait une position
stratégique sur la grande route
entre la mer Méditerranée et le
plateau iranien, ce qui lui a
apporté la prospérité, de sorte
qu’elle est devenue l’une des plus
grandes cités de toute la région.
[5] La plèbe
(du latin
plebs, plebis)
est une partie du peuple (populus)
romain, c’est-à-dire les citoyens
romains, distincts des esclaves. La
plèbe — les plébéiens — se définit
par opposition aux patriciens ou
plus tard à la
nobilitas
: c’est la partie du peuple qui
s’oppose à l’organisation
oligarchique de la cité. Dans le
langage courant, la plèbe désigne la
population.
[6]
L’expression fait allusion à un
épisode des débuts de l’histoire
romaine, en 494 av. ÈC., durant les
rivalités entre patriciens et
plébéiens. Elle est rapportée par
Tite Live. Aujourd’hui, on dit d’un
homme vexé, qui se désintéresse
d’une situation qu’il ne contrôle
plus, ou qui se drape dans sa
dignité après un échec, qu’il se
retire sur l’Aventin.
[7] «
Le Bourgeois
gentilhomme
» est une comédie-ballet de Molière,
en cinq actes, représentée pour la
première fois le 14 octobre 1670,
devant la cour de Louis XIV, au
château de Chambord par la troupe de
Molière. Étant un bourgeois, M.
Jourdain entend acquérir les
manières des gens de qualité. Il
décide de commander un nouvel habit
plus conforme à sa nouvelle
condition et se lance dans
l’apprentissage des armes, de la
danse, de la musique et de la
philosophie, autant de choses qui
lui paraissent indispensables à sa
condition de gentilhomme.
[8] Usage
classique du pronom indéfini «
tout
» qui est
employé pour reprendre et résumer
une série de noms de personnes
employés précédemment.
[9] Cerbère
était le fils d’Échidna, au corps de
serpent et au visage de femme, et de
Typhon, considéré parfois comme un
monstre cracheur de flammes qui
serait craint des dieux olympiens
même. La description courante de
Cerbère dans la mythologie grecque
et l’art veut qu’il ait trois têtes,
une crinière de serpents similaire
aux cheveux de Méduse et une queue
de serpent.
[10] L’Aufklärung
est un courant de pensée qui s’étend
approximativement des années 1720 –
1730 aux années 1775 – 1785, durant
lesquelles se développera le Sturm
und Drang. Ce courant intellectuel
est souvent identifié aux Lumières.
[11]
Le Concerto pour
piano n° 1 en si bémol mineur,
op. 23, de Piotr Ilitch Tchaïkovski
fut composé entre 1874 et février
1875. La partition est revue durant
l’été 1879, et à nouveau, en
décembre 1888.
[13] Le pacte
de Sahifa
déclaré
par le Prophète à son arrivée à
Médine.
[16] Friedrich
Engels projetait d’écrire un grand
travail sur la dialectique dans la
nature. La première idée d’Engels
était de montrer, sous la forme
d’une critique du matérialisme
vulgaire et sur la base de la
science la plus moderne, la
contradiction entre le mode de
pensée métaphysique et le mode de
pensée dialectique.
[17] Damoclès
est le personnage-clé d’un épisode
de l’histoire grecque antique auquel
l’on peut se référer comme la
légende de
L’Épée de
Damoclès.
De cette légende, est née
l’expression « Avoir une épée de
Damoclès au-dessus de la tête »,
utilisée pour signifier qu’« un
danger constant peut nous “tomber
dessus”, telle l’épée de l’histoire,
à tout moment; que la situation est
périlleuse ».
[18] La
Proskènion est l’estrade sur
laquelle les acteurs du théâtre grec
antique jouaient.
Docteur en Études françaises
(UWO, 2010), Fida Dakroub
est écrivaine et chercheure, membre
du « Groupe de recherche et d’études
sur les littératures et cultures de
l’espace francophone » (GRELCEF) à
l’Université Western Ontario. Elle
est militante pour la paix et les
droits civiques.
Publié sur
Mondialisation.ca
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