Opinion
Le président de
l'Egypte force le respect en se rendant
en Chine
Dmitri Kossyrev
Président
égyptien Mohamed Morsi - Photo: RIA
Novosti/© AFP/ Egyptian presidenсу
Vendredi 31 août
2012
Source :
RIA Novosti
Pour sa première visite en dehors de
sa région, le nouveau président égyptien
Mohamed Morsi s'est rendu en Chine: le
chef de l'Etat se trouve à Pékin de
mardi à jeudi. Puis, il se rendra en
Iran. Et seulement ensuite aux
Etats-Unis. Un ordonnancement qui
suscite la délectation chez les
connaisseurs de la diplomatie
internationale.
Par un simple geste, Morsi, à
première vue novice sur l'arène
internationale, donne un sens différent
et littéralement inédit à tout ce qui se
passe au "nouveau Moyen-Orient", en
influant sur la future politique
moyen-orientale de la Russie, des
Etats-Unis, de n'importe qui en fait.
Une question
à deux milliards
Depuis son arrivée au pouvoir le 30
juin, Morsi s'est rendu en Ethiopie
voisine, à la Mecque le 14 août, ainsi
qu'en Arabie saoudite pour la réunion de
l'Organisation de la coopération
islamique. Mais la Mecque est une
affaire sacrée dans tous les sens du
terme. Y compris parce que le nouveau
dirigeant de l'Egypte, de même que ceux
de la Libye et de la Tunisie, se sont
retrouvés au pouvoir non pas sans le
soutien des Saoudiens et autres
monarques du Golfe. Ainsi a-t-il rendu
visite à ses amis.
Mais cette visite en Chine est
inattendue. Et pas seulement parce
qu'auparavant, on n'entendait pas parler
de l'amitié sino-égyptienne (les
investissements chinois d'un
demi-milliard de dollars, les échanges
commerciaux d'environ cinq milliards de
dollars, rien d'exceptionnel).
Avant tout parce qu'on entendait
plutôt parler de l'amitié
américano-égyptienne. Et on a pu lire à
plusieurs reprises (dans la presse
américaine): les Frères musulmans
arrivent au pouvoir à travers le
Moyen-Orient, et alors? Peu importe si
les amis américains des monarchies du
Golfe bloquent la région à leur manière
sans demander la permission. Après tout,
il nous reste encore l'Egypte, et leur
nouveau président n'a nulle part où
aller sans les deux milliards de dollars
américains.
Il s'agit de la somme approximative
de l'aide américaine à l'Egypte, avant
tout militaire, sur laquelle reposaient
les relations particulières entre les
Etats-Unis et l'ancien régime de Hosni
Moubarak. Mais les gens comme les Etats
n'aiment pas se trouver dans la
situation où ils n'ont nulle part où
aller. Et l'Egypte a trouvé où aller –
en Chine. Et que représentent deux
milliards pour la Chine? Une goutte
d'eau dans l'océan. Il suffit d'une
raison. Or il y en a une.
L'art de
l'équilibre
En fait, l'aspect commercial de la
visite du président égyptien en Chine
s'est déjà achevé, et personne n'y a dit
ouvertement: nous, les Chinois, vous
rachetons aux Américains.
Aujourd'hui tous les pays dépendants,
au lieu d'échanger un monopole-donateur
au profit d'un autre, préfèrent les
avoir tous les deux sur chacun des côtés
de la balance, en les "équilibrant" l'un
à l'autre.
Et après son voyage en Chine, ce sera
au minimum plus plaisant et agréable
pour Morsi de se rendre aux USA. Sur ce
plan, son voyage en Iran y contribuera
également, même si dans ce cas, il est
question du sommet du Mouvement des
non-alignés, où il n'a qu'à transmettre
la présidence égyptienne à l'Iran, en ne
passant à Téhéran que quelques heures.
Mais cela perturbe également les
Etats-Unis.
Alors, que s'est-il passé en Chine?
Les communiqués sont plutôt minces.
Selon les informations disponible
mercredi, les parties ont signé des
accords dans le domaine des
télécommunications, de l'agriculture et
de l'environnement, et la Chine a promis
d'accorder au Caire un crédit de 200
millions de dollars. On a parlé de la
Syrie en tombant d'accord sur le fait
qu'il fallait stopper l'effusion de
sang, et ce, sans ingérence étrangère.
En d'autres termes, une visite tout
ce qu'il y a de plus ordinaire. Le
président chinois Hu Jintao a mentionné
que la Chine soutenait les efforts de
l'Egypte en matière de protection de la
souveraineté nationale et de
l'indépendance, et Morsi a remercié à
son tour la Chine pour sa compréhension.
A première vue, simplement des échanges
polis, mais celui qui souhaite peut en
tirer des conclusions.
Il faut comprendre pourquoi Pékin a
besoin de tout ça. En réalité, il en a
très besoin. Il y a quelques semaines,
dans la presse chinoise sont apparus des
commentaires disant qu'il fallait
changer l'ancienne politique trop calme
et souple au Moyen-Orient, sans donner
de détails par la suite.
Il était clair que les changements
dans la région ne réjouissaient pas
Pékin, que des régimes ayant
d'importants liens économiques avec la
Chine tombaient; on voyait que l'Iran,
également un partenaire clé de Pékin,
subissait également les attaques de ses
voisins arabes… Seulement, on ignorait
ce qu'on pouvait faire.
Le fait est que la Chine se trouve
dans une situation plus complexe par
rapport à la Russie lorsqu'il s'agit de
prendre position, par exemple, sur la
Syrie ou l'Iran. Parce que la Russie est
un pays exportateur de pétrole qui ne
dépend pas du Moyen-Orient (les
monarchies du Golfe), et qu'elle peut
appeler un chat un chat, alors que pour
la Chine, c'est le contraire. Elle
achète du pétrole et ce, au
Moyen-Orient. A l'Iran, mais avant tout
à l'Arabie saoudite et à d'autres.
A vrai dire, cela force le respect de
voir pendant combien de temps les
Chinois se retiennent de dire tout haut
l'évidence: qu'il n'y pas de lutte pour
la démocratie en Syrie, mais il y a deux
camps en conflit qui commettent des
atrocités, y compris la guerre
impitoyable de l'opposition armée, y
compris la population civile. Ils
déclarent (pas aussi ouvertement) que
cette guerre est dirigée depuis le
Golfe, y compris pour affaiblir l'allié
syrien qu'est l'Iran. Ils disent à voix
haute qu'ils adoptent un comportement en
conséquence à l'Onu.
Mais cette politique n'avait pas de
perspectives concrètes… jusqu'à
l'arrivée de Morsi. Bien sûr, jusque-là,
ce dernier était le symbole vivant des
changements désagréables pour Pékin.
Mais aujourd'hui, la Chine, si elle le
veut et si elle le peut, se fera un ami
parmi les "nouveaux" régimes au
Moyen-Orient, c'est-à-dire finalement
une certaine marge de manœuvre.
Apparemment, il faut s'attendre
également au même genre d'initiatives de
la part de Moscou, mais pas forcément à
l'égard de l'Egypte. Et la Chine, qui a
trouvé un terrain d'entente ave les
nouveaux maîtres du Moyen-Orient,
devient pour Moscou un partenaire encore
plus désirable dans la situation
régionale dans laquelle il se retrouve.
Et en même temps, accessoirement,
pour Pékin, c'est une occasion de rendre
à l'administration de Barack Obama la
monnaie de sa pièce pour plusieurs
années d'efforts obstinés et pas
toujours ratés dans le but de bousculer
la Chine dans les régions du monde où
elle commençait à se considérer comme
une force dominante. A savoir en Asie du
Sud-Est, et aujourd'hui en Afrique (d'où
revient tout récemment la secrétaire
d'Etat Hillary Clinton, qui n'a pas du
tout caché le caractère antichinois de
cette diplomatie).
Les
Etats-Unis et le second violon
Qu'est-ce que le rapprochement
sino-égyptien signifie pour les
Etats-Unis? Revenons aux deux milliards
de dollars mentionnée précédemment. Pour
une large part, comme le rappelle la
presse chinoise, il s'agit d'aide
militaire destinée aux achats
d'armements américains par l'Egypte.
Toutefois, à chaque fois, Israël
recevait des armes plus modernes. Et
d'une manière ou d'une autre, en Egypte
et chez ses voisins, on ressentait
toujours le rejet de la politique
proaméricaine menée par les deux
présidents précédents.
Quant à la Chine, comme vient de le
faire remarquer Clinton, elle a déjà une
expérience en matière d'exportations
d'armements vers la région voisine
(l'Afrique). Ainsi, si l'Egypte veut
réellement changer de fournisseur, ce
n'est qu'une question de détails – quels
sont les besoins des arabes.
Et quelles étaient ces rumeurs sur
l'intérêt de l'Arabie saoudite pour les
missiles balistiques chinois?
D'ailleurs, ici s'ouvre également la
possibilité que ce pays apaise les
tensions dans ses relations avec l'Iran,
non sans l'aide de Pékin… Et dans
l'ensemble, la Chine prendra du poids
dans la région. Et elle pourrait même
tenter d'apporter sa contribution pour
mettre un terme à la guerre syrienne.
Or, les Etats-Unis se retrouvent face
à la perspective de perdre une grande
partie de leur influence dans toute la
région. Et cette influence ne paraît
déjà pas si grande, et la Chine n'a rien
à voir là-dedans.
Par exemple, si dans les jours à
venir, le prix du carburant aux
Etats-Unis augmente, le président Obama
devra utiliser les réserves stratégiques
de pétrole pour éviter de perdre
l'élection présidentielle. Mais depuis
l'époque de Ronald Reagan, c'est
l'Arabie saoudite qui jouait le rôle
d'une telle réserve, en augmentant la
production dans ce genre de cas. Et si
elle ne l'augmentait plus?
Dans tous les événements tumultueux
dans la région que pratiquement plus
personne ne qualifie de printemps arabe,
on voit clairement que les Etats-Unis
jouent le rôle du second violon après
l'Arabie saoudite et autres monarchies.
Aussi bien à cause du pétrole qu'au vu
de l'absence de leviers de pression. Les
Américains se réconfortaient en disant:
nous avons accepté les changements de
régimes favorables pour les monarchies
(et certainement désagréables pour les
USA) – mais pourquoi pas si cela fait du
tort au détestable Iran, et si de
nouvelles relations particulières sont
établies avec le nouveau régime
égyptien? Mais là, le président
égyptien…
Le plus amusant, c'est que rien ne
s'est encore produit. Mohamed Morsi
s'est simplement rendu en Chine avant de
se rendre aux Etats-Unis et a signé des
accords plutôt modestes. Mais l'effet
est on ne peut plus grand.
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