La télévision d'état passe au hidjab
Morsi réislamise
l'Egypte par la presse
Djamel Bouatta
Photo: Al
Manar
Mercredi 5
septembre 2012
Les Egyptiens n’en
revenaient pas dimanche. Sur l’écran de
leur télé publique (Channel 1), une
présentatrice du journal en hidjab !
Fatma Nabil a présenté les informations
revêtue d’un hijab comme sur la chaîne
qatarie d’al-Jazeera mais sans les
couleurs chatoyantes de ses animatrices.
L’Egyptienne s’est mise aux couleurs des
Frères musulmans : coiffe crème et
tailleur sombre. Une première dans
l’histoire de la télévision publique
égyptienne, créée dans les années 1960
par Nasser. Sous le colonel Nasser, puis
les généraux Sadate et Moubarak, la
télévision publique avait toujours
respecté une stricte règle de laïcité.
Les femmes, qui souhaitaient porter le
voile, ne pouvaient apparaître à l’écran
pour présenter les informations sur la
chaîne nationale. Elles devaient se
conformer à un code esthétique moderne
établi par les femmes de pouvoir,
notamment Jihane al-Sadate et Suzanne
Moubarak qui arboraient des tenues
occidentales strictes et un brushing
sans faute. Mais à présent, à l’image de
la femme voilée du président issu des
rangs des Frères musulmans Mohamed Morsi,
Naglaa Ali Mahmoud, le port du hijab
vient d’être porté à l’écran. Plus qu’un
symbole, l’intrusion du vêtement
charaïque dans la télé publique consacre
la volonté des Frères musulmans
d’asseoir leur pouvoir. "Finalement, la
révolution a touché les médias
officiels", s’est réjoui Fatma Nabil
dans une interview à " Justice et
liberté ", le quotidien des Frères
musulmans. L’apparition d’une femme
voilée à la télévision d’Etat divise les
féministes en Égypte. "Pour être tout à
fait impartiale, je dois admettre que
les présentatrices voilées subissaient
une forme de discrimination. Beaucoup de
femmes qui avaient toutes les
qualifications requises n’apparaissaient
pas à la télévision parce qu’elles
portaient le hijab", explique Sally
Zohney, membre d’un mouvement de défense
des droits des femmes, Baheya Ya Masr,
créé après la révolution du 25 janvier
2011. Pour de nombreux Egyptiens, le
port du voile à la télé était attendu
d’autant que la grande majorité des
Égyptiennes porte le voile dans la rue.
L’absence de hijab à l’antenne faisait
office d’exception. Les féministes
laïques qui acceptent la fin de la
discrimination qui frappaient les
présentatrices voilées, craignent son
excès inverse, estimant que le voile à
la télé publique devienne la norme.
Au-delà du voile, ce qui inquiète
vraiment les modernistes égyptiens et
ils sont encore assez nombreux, c’est
l’influence croissante des Frères
musulmans dans les médias. Les
journalistes sont nombreux à dénoncer la
pression exercée par les Frères
musulmans au travers des mêmes
instruments qu’ils ont eux-mêmes
dénoncés durant la révolution : la
télévision d’État, qui s’était
discréditée durant le mouvement
populaire de l’hiver 2011 en traitant
les manifestants de la place Tahrir d’
"étrangers" et de "voyous", avait fait
campagne, durant l’élection
présidentielle, contre le candidat des
Frères musulmans, Mohamed Morsi. Depuis
son arrivée au pouvoir, le nouveau raïs
Morsi souffle le chaud et le froid en
matière de liberté des médias. Les
rédacteurs en chef de la presse
nationale sont désormais élus par une
commission parlementaire, et non plus
nommés directement par le gouvernement.
Une cinquantaine de nouvelles têtes sont
ainsi apparues dans les rédactions
depuis le mois d'août. Ce mode de
nomination, pour démocratique qu’il
soit, ne laisse cependant pas de doute
sur le profil recherché : favorable aux
Frères musulmans. Le titre d’un grand
journal public égyptiens est parlant de
cette mainmise : "la révolution prend
son envol", au-dessus d'une image de
Morsi sur un cheval, en posture de
conquête! Ses journalistes rapportent
que leurs articles, peu favorables aux
Frères musulmans, ont été censurés par
leur rédacteur en chef. Au mois d’août,
des journaux indépendants ont fait
montre de leur inquiétude en publiant
une zone vide, sans article, avec cette
phrase surmontée de la photo et du nom
d’éditorialistes connus : " Cette
colonne est blanche en signe de
protestation contre les tentatives des
Frères musulmans de contrôler la presse
nationale et les médias publics comme le
faisait le parti du président déchu".
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Publié le 6 septembre 2012 avec
l'aimable autorisation de Liberté.
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