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Opinion
Le monde bouge, pas
Israël
Denis Sieffert
Denis Sieffert
Jeudi 2 juin 2011
Nous gardons tous en mémoire les images furtives,
sombres et saccadées, de l’assaut donné au matin du
31 mai 2010 par un commando israélien contre le
ferry turc Mavi Marmara, navire amiral d’une petite
flotte qui tentait de rallier Gaza. L’abordage
s’était soldé, on s’en souvient, par la mort de neuf
militants turcs. Effectuée en dehors des eaux
internationales, et d’une violence insensée en
regard de la nature du convoi, l’opération avait
soulevé l’indignation un peu partout dans le monde.
Elle a surtout ouvert une crise majeure entre Israël
et la Turquie. Plus encore que les mille cinq cents
morts de Gaza, en décembre 2008 et janvier 2009,
plus que les civils tués au Sud-Liban au cours de
l’été 2006, cette affaire avait contribué à dégrader
l’image d’Israël. Un an plus tard, une nouvelle
flottille s’apprête à prendre la mer pour apporter
une aide humanitaire dans l’étroit territoire
palestinien soumis au blocus depuis 2006.
Quinze navires devraient appareiller aux
alentours du 20 juin de plusieurs ports de la
Méditerranée, dont un de Marseille. Ils
transporteront des vivres, des médicaments et des
matériaux pour la reconstruction de quartiers
anéantis par les bombes israéliennes. Mais,
aujourd’hui, le contexte est très différent. Les
révolutions arabes ont bouleversé le paysage
politique. L’Égypte, d’ores et déjà, n’est plus pour
Israël cette alliée docile qui assurait le blocus
sur la frontière sud de Gaza. Depuis quelques jours,
la « nouvelle Égypte » a rouvert le terminal de
Rafah. Un filet d’air frais pour la population de
Gaza, et un espoir. Mais sûrement pas la fin d’un
blocus qui prive l’enclave de toute relation
commerciale et de tout débouché maritime. En outre,
nul ne sait ce qui va advenir en Syrie, où la plus
sanglante des répressions ne parvient pas à venir à
bout du mouvement insurrectionnel. Tout change. Les
deux principales composantes palestiniennes en ont
tiré les leçons. Le Fatah et le Hamas s’apprêtent à
former un gouvernement d’union en vue des prochaines
élections présidentielle et législatives. Le monde
bouge, pas Israël. Ou si ce pays fait mouvement,
c’est toujours dans le mauvais sens. Dirigé par un
gouvernement d’extrême droite qui ferait honte à
toute nation se prétendant démocratique, Israël,
plus que jamais, pense guerre, mur, enfermement,
appropriation violente, et expansion coloniale.
L’attitude de ce pays est un défi à la paix du
monde, comme au droit international. Deux exemples,
parmi tant d’autres : une commission d’enquête vient
tranquillement d’absoudre les responsables de
l’opération contre le ferry turc. L’armée régulière
de ce pays peut se conduire en pirate sans avoir de
comptes à rendre à qui que ce soit ! Plus
anecdotique, mais non moins significatif. En 2000,
à Ramallah, un soldat tire de sang-froid sur un
journaliste français atteint au poumon [1].
Onze ans plus tard, le 30 mai, une juge
d’instruction parisienne a rendu un non-lieu.
Motif : Israël a refusé d’exécuter la commission
rogatoire par laquelle la juge demandait à la
justice israélienne de poursuivre l’instruction sur
son territoire. Décidément, rien ne ressemble ici ni
à la pratique ni aux usages d’un pays qui prétend
appartenir au concert des nations.
Pas étonnant dans ces conditions que le Premier
ministre, Benyamin Netanyahou, ait prononcé la
semaine dernière le pire discours qui fût jamais
prononcé par un dirigeant israélien. Et cela, devant
le Congrès américain ! Comme un défi au président
des États-Unis, Barack Obama. « Non » au partage de
Jérusalem, « non » à une liaison entre Gaza et la
Cisjordanie, « non » au retrait israélien de la rive
occidentale du Jourdain, « non » aux frontières de
1967 internationalement reconnues. Le fond de la
pensée de M. Netanyahou tenant finalement dans une
formule : « Israël, a-t-il affirmé, est à peine
plus grand que le Rhode Island et le Delaware. »
Passons sur l’outrancière inexactitude de la
comparaison pour en juger l’intention. Si l’histoire
bouge, la géographie est immuable. Faut-il donc
attendre que les continents se dilatent pour espérer
la création d’un État palestinien ? « Il a craché
au visage de Barack Obama », a observé le
pacifiste israélien Uri Avneri. Plus grave encore
que les mots : chaque refus, chaque rejet a été
salué par une standing ovation par les congressistes
américains. Le même Uri Avneri a raison de souligner
que ce discours du refus ne faisait sans doute pas
l’unanimité, mais qu’il aurait été imprudent pour un
congressiste de rester assis quand ses collègues se
levaient.
C’est ici l’autre mâchoire du pouvoir de la
droite israélienne : l’aile la plus inconditionnelle
et la plus extrémiste du lobby juif américain
paralyse Barack Obama, quelles que soient les
convictions de celui-ci. Au point que le président
américain a déjà annoncé que les États-Unis
poseraient leur veto lorsqu’au mois de septembre
l’Autorité palestinienne sollicitera de l’assemblée
générale de l’ONU la reconnaissance d’un État de
toute façon virtuel. La nouvelle stratégie
palestinienne aura au moins l’avantage de placer
chaque pays devant ses responsabilités. Que fera la
France ? Que fera l’Union européenne ? Cela dépendra
largement des sociétés civiles. La flottille pour
Gaza s’inscrit précisément dans cette logique de
substitution à une communauté internationale
défaillante. Ne pas désespérer, malgré tout, de ce
monde qui bouge tant, et crée tant de situations
imprévues.
Notes
[1]
Notre confrère Jacques-Marie Bourget travaillait à
l’époque pour Paris Match.
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