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CCLJ
La course contre la montre
Denis Charbit
Tzipi Livni 10 octobre 2008
Suite à sa désignation à la présidence de Kadima, Tzipi Livni
remplacera Ehoud Olmert à la tête du gouvernement. Sa tâche sera
d’autant plus rude qu’elle ne dispose que de quinze mois
jusqu’aux prochaines élections générales prévues pour mars 2010.
Cela suffira-t-il pour gagner la confiance des électeurs ?
Une différence significative oppose Tzipi Livni à ses rivaux
Netanyahou et Barak : quand ils sont entrés en fonction, ils
disposaient d’un mandat complet de quatre ans pour gouverner,
même s’ils ont tous deux démissionné prématurément. Lorsqu’elle
sera intronisée au poste de premier ministre, Tzipi Livni aura
un chronomètre en main : quinze mois seulement pour gouverner.
Ce sera alors aux électeurs de trancher en mars 2010. Et comme
nous sommes coutumiers des élections anticipées, il est fort
probable que les quinze mois se réduisent à un an seulement.
Douze ou quinze mois, c’est objectivement peu de temps pour
laisser une empreinte durable dans l’Histoire (encore que Pierre
Mendes-France a accompli son action en sept mois et dix-sept
jours); c’est assez pour se faire une idée de son style de
leadership et de ses orientations, mais c’est aussi en politique
israélienne une éternité. Tout dépend du point de vue où l’on se
place : pour les partis membres de la coalition sortante, c’est
un temps précieux dont il ne faut perdre aucune seconde. C’est
le cas des Travaillistes qui sont au plus bas dans les sondages
et qui ont besoin de se refaire une virginité pour mobiliser
leur électorat. L’effet Barak qui avait opéré après la démission
d’Amir Peretz s’est usé : ce n’est pas son bilan à la Défense
qui est en cause, mais son comportement de chef de parti et de
leader politique. Bref, quinze mois, c’est toujours bon à
prendre pour redorer son blason et retourner en sa faveur une
opinion réservée sinon hostile. Pour Tzipi Livni, en revanche,
cette période est très courte, elle est donc tenue de faire ses
preuves tout de suite.
Compromis à l’israélienne
Par son action, Tzipi Livni devra gagner la confiance des
électeurs pour accomplir le reste. Elle pourra ainsi affronter
ses adversaires à armes égales : elle aura été tout comme eux un
chef de gouvernement sortant et si, à leur image, elle ne veut
pas être un premier ministre sorti, il lui faudra travailler dur
et montrer des premiers résultats tangibles. Faire de la
politique autrement : la cause est noble, la mise en œuvre
difficile. Les plus pessimistes, à moins que ce ne soient les
plus réalistes, estiment le défi impossible. Cela n’a rien à
voir avec son charisme, sa compétence ou son inexpérience; ce ne
sera ni la faute à Livni ni la faute au Shas, mais au système
qui repose sur le compromis. Et le compromis à l’israélienne, ce
n’est jamais très esthétique ni éthique. Tzipi Livni devra bien
mettre les mains dans le cambouis, et les négociations qui
s’ouvrent pour former un gouvernement seront un excellent indice
pour se faire une idée de son savoir-faire. A condition de ne
pas voir dans toute concession une défaite et dans tout refus
ferme de sa part une victoire. Une certaine souplesse est aussi
une vertu pour autant que les justifications qu’elle apporte à
ses choix soient crédibles. Dans le meilleur des mondes (qui
n’est pas le nôtre), elle aurait souhaité remplacer Olmert sans
que cela n’entraîne de remous. Or, la loi est formelle : la
démission du chef du gouvernement entraîne ipso facto la
démission de tous ses ministres. Il faut donc repartir à zéro,
et du fait que l’échéance électorale est proche, la constitution
d’un nouveau gouvernement est une formidable aubaine pour faire
valoir de nouvelles revendications.
Honnête, intègre et bosseuse
Il est à peu près sûr que Tzipi Livni soignera l’image qui émane
d’elle depuis le début de sa carrière : on ne la verra pas fumer
le cigare ostensiblement comme Netanyahou ni résider au dernier
étage d’une tour de luxe comme Barak, ni agrandir son
portefeuille immobilier comme Olmert. Elle tiendra à répondre et
à correspondre aux attentes de l’opinion après les dérives d’Olmert.
Honnête, intègre, bosseuse, elle ne devra paraître ni taciturne
ni bavarde. Mais faut-il s’attendre à des changements cruciaux ?
On sait d’où elle vient, mais peut-on deviner où elle souhaite
aller et où elle ira ? Son père, Eitan Livni, fut un des chefs
de l’Irgoun, puis un député du Herout, un fidèle parmi les
fidèles de Menahem Begin. Rejetant ce passé idéologique
substantiel, renonçant à la vaine épopée du Grand Israël, elle a
suivi Sharon et s’est convertie au réalisme politique. La gauche
est toujours ambivalente à l’égard de ses personnalités
politiques de droite qui comprennent tardivement ce qu’elle
avait soutenu depuis toujours, ou depuis longtemps. Auront-elles
l’esprit de compromis nécessaire pour aller jusqu’au bout de
leur mutation idéologique ? Bref, Tzipi Livni voudra-t-elle et
parviendra-t-elle à signer l’accord de paix tant attendu qu’Ehoud
Olmert n’a pas eu le temps de finaliser ?
Une tâche rude
Plus sérieusement, est-ce une question de temps ? Si l’on
additionne l’écart persistant entre les parties palestinienne et
israélienne, la faiblesse structurelle de Mahmoud Abbas à faire
respecter un accord éventuel face au Hamas (encore que l’on
sous-estime le renforcement immédiat de son autorité
qu’entraînerait la conclusion d’un tel accord), et la crainte,
enfin, que ne s’ouvre un front intérieur lorsqu’il s’agira de
passer à l’acte et d’évacuer les implantations promises à ce
sort, on a de bonnes et tristes raisons de se montrer prudent
sinon sceptique. Suffira-t-il de l’autre Barack (Obama) pour se
reprendre à espérer ? Où en serons-nous dans un mois, dans un an
? Le vrai clivage est aujourd’hui à gauche : les uns sont
persuadés qu’un leadership adéquat et un changement de
conjoncture (avec l’Iran notamment) sont des variables
déterminantes de l’action; les autres, désabusés, saturés de
quarante ans d’occupation et de vingt ans de processus de paix
cahotant estiment que les structures l’ont définitivement
emporté sur les hommes (ou les femmes) qui ne peuvent plus
grand-chose face à cette inertie dominante. Faut-il compter sur
des pas de géant ou bien s’en remettre à des petits pas en
commençant par alléger les conditions de vie quotidiennes en
Cisjordanie ? La tâche est rude. Douze ou quinze mois n’y
suffiront pas. Mais durant ce laps de temps, Tzipi Livni aura
peut-être fixé ses objectifs et commencé à concrétiser le
changement par des mesures immédiates. Ce sera, pour elle et
pour nous, le vrai test.
Une légitimité incontestable
En mainte occasion, le candidat placé en tête selon les
premières estimations des instituts de sondage s’est retrouvé le
lendemain à l’aube déchu de son titre. Shimon Peres en a fait
trois fois l’expérience. Pour les primaires de Kadima, Tzipi
Livni a failli subir ce retournement de situation impitoyable, à
400 voix près. Elle a été plus proche de Peres que de Golda Meïr
à laquelle on ne cesse de la comparer. A tort. Car tout les
sépare, mis à part le fait qu’elles auront bientôt en commun
d’être les deux seules femmes en Israël à avoir exercé la
fonction de premier ministre. Golda Meïr a été désignée à ce
poste au terme d’une très longue carrière politique tandis que
Tzipi Livni assumera ces nouvelles responsabilités neuf ans
seulement après être entrée en politique, ce qui est
effectivement très court lorsqu’on pense à Sharon ou Peres qui
ont attendu patiemment que l’échéance arrive comme un fruit mûr.
Le Likoud, qui a tiré parti de ce chiffre dérisoire pour
dénoncer l’inexpérience de Tzipi Livni, a toutefois la mémoire
courte. L’ascension de Netanyahou fut encore plus météorique :
cinq ans lui ont suffi pour passer de la délégation israélienne
de l’ONU à la tête du gouvernement. Le même Likoud souffre
visiblement d’une amnésie chronique : il conteste la légitimité
de Tzipi Livni en arguant du fait qu’elle n’a pas été élue au
suffrage universel mais par 50.000 électeurs de Kadima.
Pourtant, pas moins de cinq premiers ministres (Levi Eshkol
(1963), Golda Meïr (1969), Yitzhak Rabin (1974), Yitzhak Shamir
(1983) et enfin, Ehoud Olmert en 2006, sont parvenus au pouvoir
sans avoir été élus, y compris par le biais d’élections
primaires. La condition préalable et qui s’applique à tous est
le vote de confiance de la Knesset qui confère au premier
ministre la légalité et la légitimité.
Denis Charbit. Correspondant israélien ©
CCLJ 2005
Publié le 12 juin 2008 avec l'aimable autorisation du CCLJ
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