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La nucléarisation du Moyen-Orient
Denis Charbit

7 novembre 2007

Contrairement à tant de sujets à propos desquels le débat public est vif en Israël, il est significatif que sur la question nucléaire, la controverse reste voilée, discrète et restreinte.

Depuis le début des années 1960, la politique officielle d’Israël a consisté à nier la possession de l’arme atomique. Pour ne pas paraître inutilement provocateur, pour ne pas exciter les appétits et ouvrir ainsi la voie à la revendication des pays arabes, Israël a adopté une ambiguïté constructive qu’illustre fort bien la boutade prêtée à Moshe Dayan : « Nous ne serons pas les premiers à introduire l’arme nucléaire au Moyen-Orient, nous ne serons pas les seconds non plus ». Même les bourdes récentes du Premier ministre Ehoud Olmert et du chef de l’opposition, Benyamin Netanyahou n’ont pas véritablement affecté la discrétion générale qui entoure le sujet.
Il suffit pour Israël de jouir du monopole sans le claironner, et de pratiquer de fait une stratégie de dissuasion, qui s’est révélée très efficace. En effet, la capacité nucléaire israélienne eut un impact décisif sur la détermination de Sadate en 1977 à déposer les armes et à engager son initiative de paix. Le Président égyptien avait compris que l’arme atomique réduisait à néant le fantasme de la destruction d’Israël : toute victoire militaire arabe aurait été stoppée net par une menace de riposte nucléaire. Encore faut-il que la situation de monopole soit scrupuleusement maintenue. C’est la raison pour laquelle Israël n’a pas hésité en 1981 à détruire la centrale nucléaire installée en Irak qui risquait de bouleverser l’équilibre stratégique. Cette décision de Menahem Begin, que beaucoup tiennent pour la plus importante qu’il ait prise dans l’exercice de ses fonctions, pouvait bien avoir une dimension électoraliste -le bombardement eut lieu à quelques jours des élections-, il n’en reste pas moins vrai qu’elle signifiait à la face du monde la détermination active d’Israël à laisser le Proche-Orient hors du champ de la prolifération nucléaire. L’opération menée en Syrie il y a quelques semaines, se situe dans la continuité de cette politique : empêcher par tous les moyens, y compris militaires, l’escalade nucléaire, et contrecarrer tous les projets autonomes mettant en cause le statu quo. Israël a fait là d’une pierre deux coups : d’une part, il a lancé un grave avertissement à la Syrie, démontrant sa capacité de frappe et ses performances en matière de renseignement stratégique; d’autre part, l’opération israélienne a permis de dévoiler le double jeu de la Corée du Nord qui avait déclaré renoncer à son programme nucléaire et s’avère exporter son savoir-faire et sa technologie.

Une menace réelle
Depuis quelques années, l’attention s’est concentrée sur ce qui se passe du côté du Golfe persique. Ce fut d’abord l’Irak, soupçonné, à tort semble-t-il, d’avoir poursuivi ses efforts en matière nucléaire, puis l’Iran maintenant, de jouer les trouble-fête. Par la voix de son Président, l’Iran a fait du développement de sa capacité nucléaire l’axe principal de sa politique extérieure. Il aurait pu justifier sa prétention par des considérations stratégiques objectives : étant le seul pays à en être dépourvu parmi ceux qui l’entourent, il aurait pu démontrer que ce déséquilibre stratégique est contraire sinon fatal à ses intérêts. L’Inde a la bombe, le Pakistan a la bombe, et la Russie bien entendu. Comment et pourquoi l’Iran n’aurait-il pas la sienne ? Or, loin d’invoquer cet argument rationnel qui aurait pu, au demeurant, être entendu par la communauté internationale, Ahmadinejad s’est empressé de lier dans ses discours la capacité nucléaire de l’Iran au vœu d’effacer Israël de la carte. Autrement dit, l’arme nucléaire iranienne répond moins à des objectifs vitaux qu’au souci d’avancer ses pions au Moyen-Orient pour s’imposer finalement comme le leader du monde musulman, en plus de l’influence dont il dispose déjà auprès du Hezbollah et du Hamas. On comprend l’inquiétude israélienne : si l’on est coutumier de déclarations belliqueuses, c’est la première fois que le leader politique qui les profère est sur le point de disposer de l’arme de destruction massive susceptible de réaliser dans les faits le vœu pieux de destruction d’Israël. Que le Président de la République islamique ne dispose pas des pleins pouvoirs dans la structure de la mollarchie iranienne, bref que le nucléaire soit un enjeu de politique intérieure, ne change rien à l’affaire : la menace est réelle.

Une arme de dissuasion
Cette inquiétude s’aggrave du fait de la nature du régime qui règne en Iran : elle relance l’idée d’une dissuasion dite « du fort au fou », et donc l’éventualité de son usage. Or, la vertu de la bombe atomique est d’être restée une arme de dissuasion, non une arme prête à l’emploi. Il y a plus de vingt ans, un spécialiste israélien de l’Université de Tel-Aviv, Shay Feldman, défendait une thèse audacieuse : jugeant que la nucléarisation est à terme inévitable, il proposait qu’Israël accède aux revendications territoriales palestiniennes et déclare, aussitôt le retrait accompli, une politique de dissuasion nucléaire pour protéger le sanctuaire. Sur le papier, la théorie était séduisante. Cependant, il est à craindre que cette dissuasion échoue et aboutisse à son utilisation, ce qui, sur le papier, serait logique mais, dans la réalité, catastrophique. Voilà pourquoi il importe que dans le cadre d’un traité de paix global, en échange des concessions territoriales auxquelles Israël sera tenu de consentir, l’Etat hébreu exige et obtienne ce qui plus que toute chose lui confère sa sécurité : le monopole de l’arme nucléaire dans la région. L’accord devra également concerner la réconciliation israélo-palestinienne, l’entente avec le monde arabe et, par extension, l’aplanissement des tensions et des malentendus avec le reste du monde dont Israël a pâti depuis sa création, la reconnaissance de fait et de droit de l’Etat juif dans des frontières sûres et reconnues, la mise en place de dispositifs de sécurité, l’établissement de relations diplomatiques avec échange d’ambassadeurs à l’appui, et l’ouverture des frontières avec les retombées économiques et touristiques attendues. Rompant avec son attitude actuelle délibérément ambiguë, il pourra passer alors d’une dissuasion implicite à une dissuasion explicite, souscrire au Traité de non-prolifération nucléaire et accepter le contrôle des inspecteurs de l’Agence pour l’énergie atomique dont le siège est à Vienne. Et, plus tard, envisager son propre désarmement nucléaire. Non par principe, mais à la condition que la situation le justifie. Nous n’en sommes pas là. Aussi, pour la sécurité d’Israël, du monde arabe et du monde tout court, l’Iran doit rester à la porte du club des puissances nucléaires. Cela ne signifie pas nécessairement le recours immédiat et inéluctable à l’option militaire. La négociation n’est pas exclue. C’est à l’Iran de trancher.

***

Deux poids, deux mesures ?
On entend souvent de la part de ceux qui ne sont pas suspects de sympathie pour l’Etat juif l’argument suivant : pourquoi la communauté internationale devrait-elle interdire par la sanction économique, à plus forte raison par le recours à la force, ce qu’elle a toléré d’Israël sans jamais émettre la moindre condamnation ? Cette question a un sous-entendu consternant : l’arme nucléaire serait devenue, pour ainsi dire, un droit de l’homme, un droit de chaque Etat devant lequel on devrait s’incliner. Il y a là un cas très inquiétant de perversion de l’idée de démocratie et d’égalité. Aussi, il importe de ne pas esquiver l’objection et d’y répondre sans détour : si la communauté internationale a acquiescé à la détention par Israël de la bombe atomique, ce n’est pas par favoritisme ou par racisme anti-musulman, comme on le claironne stupidement, ou encore par complexe occidental vis-à-vis des Juifs depuis la Shoah. C’est tout simplement parce qu’Israël a démontré, depuis qu’il en a la maîtrise, que la bombe atomique n’est pas pour lui l’arme ultime dans la panoplie militaire qu’il a à sa disposition. Si le monde acquiesce au maintien du statu quo réclamé par Israël, c’est que sa détention n’a pas d’autre fin que la sanctuarisation du territoire national et la défense de ses intérêts vitaux. Or, ce n’est visiblement pas le cas de l’Iran qui, sans déclarer ouvertement en faire un emploi contre Israël, multiplie les liaisons et les allusions dangereuses de ce type. En outre, il est hautement probable que si l’Iran arrive à ses fins, c’est tout le Moyen-Orient qui serait à moyen terme nucléarisé. Cette perspective est dangereuse pour la stabilité de la région et aurait des effets redoutables sur l’équilibre des forces dans le monde arabo-musulman.

Voir l'interview de Dan Meridor, par Catherine Dupeyron.

Denis Charbit. Correspondant israélien

© CCLJ 2005
Publié le 10 novembre 2007 avec l'aimable autorisation du CCLJ



Source : CCLJ
http://www.cclj.be/...


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