Opinion
L'affaire Aminata
Traoré:
Une honte pour la France !
Demba
Moussa Dembélé
Aminata
Traoré
Jeudi 9 mai 2013
La France aurait interdit l’entrée
sur son territoire à Madame Aminata
Dramane Traoré du Mali ! Le prétexte
en serait sa critique de
l’intervention française dans la
crise que vit son pays depuis plus
d’un an. Mais une analyse des causes
profondes de cette crise permettra
de comprendre le bien-fondé des
positions de Madame Aminata Traoré.
Les origines de la crise malienne
En effet, la France et les pays
occidentaux portent une lourde part
de responsabilité dans la crise que
vit le Mali. Ses causes immédiates
sont l’agression impérialiste de
l’OTAN, sous la houlette de la
France, des Etats-Unis et de la
Grande Bretagne, contre la Libye qui
a abouti à l’assassinat du Président
Kadhafi. Car les hordes du Mouvement
de « Libération de l’Azawad » (MNLA)
sont venues de Libye avec leurs
armes lourdes et des équipements
sophistiqués, avec la complicité et
l’appui des puissances occidentales.
Et ce sont ces forces qui ont
déclenché les hostilités contre
l’Armée malienne pour assurer «
l’indépendance » d’une partie du
Nord du Mali. Le MNLA, qui avait le
plein soutien de la France de
Sarkozy, continue d’en bénéficier
sous Hollande, comme le montre la
collaboration entre les éléments de
ce mouvement avec les militaires
français sur le terrain. En effet,
le MNLA interdit l’entrée de Kidal à
l’Armée malienne et refuse de
désarmer. Les déclarations très
vagues des ministres français des
Affaires étrangères et de la Défense
visent à conforter le MNLA dans son
attitude de refus. Et certains de
ses dirigeants étaient logés
–peut-être le sont-ils encore ?- à
Ouagadougou sous la protection de
Blaise Compaoré, devenu une des
pièces maîtresses des basses œuvres
de la France en Afrique de l’Ouest,
comme on l’a vu dans les crises
ivoirienne et guinéenne.
C’est le MNLA qui a ouvert la voie
aux autres groupes, comme Ansar Dine
et le MUJAO. La facilité avec
laquelle les hordes du MNLA et ces
groupes ont pu venir à bout de
l’Armée malienne s’explique par la
déliquescence de l’Etat malien,
malmené et détruit comme la plupart
des Etats de la sous-région par les
cures d’austérité imposées par la
Banque mondiale et le Fonds
monétaire international (FMI) dans
le cadre des plans d’ajustement
structurel de triste mémoire.
Soumaïla Cissé, ancien ministre des
Finances du Mali sous la présidence
de Alpha Oumar Konaré, disait dans
une interview à un quotidien
sénégalais que pendant des années le
budget consacré aux domaines de
souveraineté - Forces Armées,
Affaires étrangères et Justice- ne
dépassait guère 3% du budget
national! Dans ces conditions, on
comprend pourquoi l’Armée malienne
–tout comme celles des autres pays
de la sous-région – est dans un état
de dénuement, voire de délabrement,
total.
Cet état de délabrement de l’Armée
malienne est le reflet de l’état de
décomposition avancée de l’Etat
malien lui-même quand on sait que
l’Armée est une des composantes
essentielles de l’Etat. Et cette
déliquescence de l’Etat malien est
l’une des illustrations éclatantes
de la faillite du modèle néocolonial
et du paradigme néolibéral inauguré
par les politiques désastreuses
imposées par la Banque mondiale et
le FMI il y a de cela plus de trois
décennies.
Intervention contre le « terrorisme
» ou la tentation de la
recolonisation ?
Comme on le voit donc, la
responsabilité de la France et des
pays occidentaux est entière dans ce
qui arrive au Mali. Tout comme celle
de qu’on appelle « la classe
politique » malienne dont la plupart
ont épousé les thèses néolibérales
et se sont interdit de réfléchir par
eux-mêmes sur le devenir de leur
pays. Par ailleurs, la complicité de
la France avec le MNLA ne peut que
conforter les soupçons les critiques
de celles et de ceux qui pensent que
les vraies raisons de son
intervention n’ont rien à voir avec
la présentation qu’en fait la
propagande officielle, à savoir une
action visant à « sauver le Mali »
des groupes « terroristes » M.
Laurent Fabius, ministre français
des Affaires étrangères, aurait même
dit que «
sans
l’intervention de la France, il n’y
aurait plus de Mali ».
Une affirmation grotesque et
mensongère qui en dit long sur
l’attitude de la France à l’égard de
ses anciennes « colonies ». En
réalité, la propagande officielle
sur cette intervention, qui aurait
été faite à la « demande des
autorités maliennes », a été mise à
mal par l’hebdomadaire français, «
Le Nouvel Observateur »
en date du 7 février 2013. Selon cet
hebdomadaire, cette intervention
était programmée pratiquement dès
l’installation de François Hollande
à l’Elysée en mai 2012. L’avenir des
intérêts français au Mali et dans la
sous-région, avec notamment
l’uranium du Niger exploité par
AREVA, est l‘aiguillon principal de
cette intervention. Donc, celle-ci
est essentiellement motivée par la
nécessité de protéger les intérêts
stratégiques et économiques de la
France!
D’ailleurs, l’intervention est en
train de prendre l’allure d’une
véritable entreprise de
recolonisation du Mali. En effet,
François Hollande a dit qu’il serait
« intraitable » avec les « autorités
» maliennes pour l’organisation
d’élections –une farce grotesque
dans les conditions actuelles- début
juillet pour doter le Mali
d’institutions « légitimes » ! Mais
« légitimes » aux yeux de qui : de
la France ou du peuple malien? Ce
risque de recolonisation est
renforcé par l’annonce de
l’ouverture d’une « base militaire
permanente » au Mali au nom de la «
lutte contre le terrorisme »! Ce que
le Président Modibo Keïta avait
refusé à de Gaulle Hollande va
l’obtenir les « autorités »
maliennes!
La France s’est déshonorée
Les révélations du «
Nouvel Observateur », la
complicité des militaires français
avec le MNLA et les déclarations de
François Hollande et de ses
principaux ministres ne font que
confirmer les analyses de Madame
Aminata Traoré et des autres
patriotes maliens qui n’ont pas
succombé à la propagande officielle
française relayée par certains
médias africains et les « dirigeants
» de la CEDEAO. La « faute » de
Madame Aminata Traoré est d’avoir
exposé les véritables raisons de
l’intervention française et les
risques de recolonisation de son
pays. Sans doute, beaucoup de gens
ne manqueront pas de se demander ce
que la France espère gagner en
prenant une décision aussi stupide
contre Madame Aminata Traoré. La
France ne peut que ternir davantage
son image auprès des intellectuels
et citoyens africains. N’est-ce pas
François Hollande qui voulait «
corriger » le désastreux « discours
de Dakar » de son prédécesseur,
Nicolas Sarkozy, qui avait soulevé
l’indignation générale en Afrique ?
Avec cette décision honteuse et
insensée de barrer l’entrée sur son
territoire à Madame Aminata Traoré
c’est raté. Car Aminata Traoré est
une des figures de proue de
l’intelligentsia africaine engagée
et un des symboles puissants d’une
Afrique debout, fière et digne.
Avec cette décision, la France s’est
déshonorée, en interdisant son
territoire à une intellectuelle de
cette envergure. La patrie de
Jean-Paul Sartre, le philosophe qui
a dominé son siècle et a été de tous
les combats pour l’émancipation des
peuples opprimés, a définitivement
perdu son lustre et son rayonnement
intellectuel. Oui, la France est
vraiment tombée très bas, avec la
montée inexorable de la xénophobie
et du racisme. Une France où l’on
ose célébrer « les bienfaits de la
colonisation » ! Aimé Césaire, ils
n’ont manifestement pas lu ton
magistral et mémorable «
Discours sur le Colonialisme
» !
La réalité est que la France,
empêtrée dans des problèmes
économiques et sociaux insolubles,
est tentée par le démon de la
recolonisation. C’est pourquoi elle
redoute la critique, l’opposition,
en particulier de la part
d’intellectuels africains, surtout
quand son entreprise de
recolonisation se présente sous le
manteau de la « lutte contre le
terrorisme » ! Le « tort » d’Aminata
Traoré et de ceux qui partagent ses
analyses, c’est d’avoir déconstruit
ce discours « anti-terroriste » en
dénonçant l’intervention française -
et celles des autres pays
occidentaux- au Mali et ailleurs en
Afrique, comme faisant partie d’une
stratégie globale visant à contrôler
les ressources des pays africains
pour tenter de sortir de la crise du
capitalisme que d’aucuns assimilent
à une « crise de civilisation ».
Mais Hollande, Fabius, Valls et les
autres doivent savoir qu’il y a des
milliers d’Aminata Traoré en Afrique
et dans la Diaspora. Des Africaines
et Africains qui ont pu s’arracher à
l’idéologie néocoloniale et qui se
battent pour construire une «
Afrique libre et digne », comme
l’appelait de ses vœux Thomas
Sankara!
Demba Moussa Dembélé
Vice-président du Réseau
international Frantz Fanon
Ligue internationale de la lutte des
peuples
Dakar, Sénégal
Le dossier Afrique noire
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