Le premier octobre prochain, les Palestiniens
de 48 (qui vivent dans l’entité sioniste) organisent une grève
générale, à laquelle ont unanimement appelé les forces
politiques palestiniennes présentes dans le Haut comité de suivi
des masses arabes. Cette grève signifie essentiellement que les
régions demeurées majoritairement arabes (Galilée, Triangle et
des parties du Naqab) seront entièrement paralysées, y compris
dans la partie arabe des villes « mixtes ». Il s’agit d’abord de
commémorer le martyre de 13 Palestiniens tombés début octobre
2000, lorsque notre peuple de l’intérieur s’est soulevé, pour
contribuer à l’intifada al-Aqsa, déclenchée quelques jours plus
tôt.
Il a fallu huit ans pour que les Palestiniens
de 48 arrivent à proclamer cette grève, historique dans
l’histoire du mouvement palestinien de l’intérieur. En effet,
après la terrible répression en octobre 2000 contre les
Palestiniens de 48, descendus dans les rues pour protester
contre les massacres commis par l’armée sioniste en Cisjordanie
(al-Quds y compris) et la bande de Gaza et pour participer à la
révolte de notre peuple contre la colonisation et l’occupation,
dans l’Intifada al-Aqsa, les Palestiniens de 48 ont célébré,
entre 2001 et 2008, la commémoration annuelle en organisant
diverses manifestations, dans certaines villes, soit en Galilée
soit dans le Triangle.
Commission Ur : manœuvre israélienne
Depuis 2001, plusieurs voix et forces
politiques réclamaient la grève générale, mais en vain. Certains
partis essayaient de « calmer » les masses, préférant discuter
avec les institutions sionistes, attendant un geste de leur
part, une sorte de « regret » pour les massacres commis ou « des
excuses » pour la répression, les actes et les paroles racistes.
En vain !! L’institution sioniste, civile, militaire ou
sécuritaire, n’a pas bronché, au contraire. La commission
israélienne Ur qui avait été formée juste après la révolte pour
soi-disant examiner et évaluer les événements (manifestations
pacifiques et répression sanguinaire) n’a abouti qu’à faire
porter la responsabilité des faits aux dirigeants palestiniens
eux-mêmes, accusant sheikh Raed Salah et dr. Azmi Bishara d’être
les fauteurs de troubles, parce qu’ils avaient prononcé des
discours jugés « extrémistes » par les responsables israéliens.
De plus, les militaires et policiers ayant tiré sur les
manifestants, tuant 13 civils et blessant près de 500 civils
palestiniens, ne seront pas inquiétés, malgré les preuves
évidentes de leur implication dans les meurtres intentionnels.
Il a fallu le rapport de cette commission, paru en 2005, pour
que certains dirigeants comprennent enfin que l’établissement
colonial sioniste ne peut aller au-delà de cette manœuvre qui
vise à faire croire qu’Israël est un Etat de droit et que tous
ses citoyens sont égaux, puisque les Palestiniens de 48
« jouissent » de la citoyenneté israélienne.
Depuis octobre 2000 : accentuation du racisme
colonial
Le massacre d’octobre 2000 n’a été que le
début d’une vague répressive, coloniale et raciste, populaire et
officielle, civile, militaire et sécuritaire, contre les
Palestiniens de 48 et leur direction politique.
Depuis octobre 2000, les institutions
israéliennes ont accentué leur politique d’apartheid envers ce
qu’elles considèrent comme la « minorité arabe israélienne » :
outre les confiscations des terres (en Galilée et dans le
Triangle), les démolitions des maisons (en Galilée et surtout
dans le Naqab, partie sud de
la Palestine),
les pratiques de nettoyage ethnique dans les villes devenues
« mixtes » du fait de la colonisation (Yafa, Ramleh, Lidd, Akka
et Haïfa) et dans des régions comme le Naqab, outre les actes et
les déclarations racistes d’officiels, d’universitaires ou de
journalistes israéliens, les masses palestiniennes et leurs
directions politiques et civiles sont soumises à l’arbitraire et
la répression : arrestations, fouilles et confiscations de
matériels et documents, exil forcé, interdictions diverses (de
voyager, de se déplacer, etc..). Mais trois faits marqueront la
mémoire collective palestinienne, après le massacre d’octobre
2000 : le massacre de Shefa ‘Amr commis par un soldat-colon en
août 2005, le pogrom de Akka commis en septembre 2008 et la
tentative d’invasion par les colons de Umm al-Fahem, début 2009.
Ce qui distingue ces faits de tous les autres, c’est l’impunité
officielle envers les colons, responsables de toutes ces
attaques. Il est désormais clair, pour ceux qui hésitaient
encore, que l’institution officielle israélienne ne peut que
soutenir et protéger ses propres colons, à cause de l’idéologie
coloniale et raciste officielle.
D’un apartheid de fait à un apartheid
légalisé
Il est devenu courant de désigner la
politique israélienne par apartheid, concernant la Cisjordanie
(y compris al-Quds) et de la désigner par racisme concernant les
Palestiniens de 48, comme si la politique israélienne envers les
Palestiniens de 48 relevait d’un racisme semblable à
la France
ou à d’autres pays européens. Mais quiconque étudie
minutieusement la pratique institutionnelle sioniste envers les
Palestiniens de 48, depuis l’occupation de
la Palestine
en 1948 et la fondation de l’Etat sioniste, réalisera qu’elle
est caractérisée par un véritable apartheid auquel s’ajoute une
politique de nettoyage ethnique et religieux. Cette distinction
entre les deux régimes (Cisjordanie et Palestine occupée en 48)
est le fait de ceux qui croient à la légalité et la légitimité
de l’Etat d’Israël, croyance qui les empêche de voir le visage
hideux du colonialisme dans cette partie occupée en 48 : ils ne
voient que la partie superficielle, le racisme envers une
catégorie de la population « israélienne ». Mais dans les faits,
l’apartheid sioniste s’exerce avant tout envers les Palestiniens
de 48, dans tous les détails de vie courante. Il est vrai que
les Palestiniens de 48 votent pour des élus à
la Knesset,
mais ce n’est qu’une façade, qui risque d’ailleurs de tomber ces
prochaines années. Mais même concernant ces élections, il faut
rappeler que suite à l’expulsion des Palestiniens de leur
patrie, en 1948-49, ceux qui sont restés sont devenus une
minorité affaiblie, sans direction politique, économique et
intellectuelle, face à l’établissement sioniste (ce qui n’était
pas le cas des Africains dans l’Afrique du sud). Donc, pour les
sionistes, il valait mieux leur accorder ce droit de vote et la
citoyenneté, puisqu’ils ne pouvaient représenter aucun danger, à
l’époque.
Concernant la citoyenneté israélienne, de
plus en plus nombreux sont les Palestiniens de 48 qui la
remettent en cause, comme le dit Ameer Makhoul, directeur de
l’Union des associations civiles arabes (Ittijah), dont le siège
est à Haïfa, dans un article récent :
« la citoyenneté ne protège pas le Palestinien, elle
n’est pas une médaille israélienne pour le Palestinien, mais un
outil de domination et de domptage entre les mains de l’Etat,
alors que pour le mouvement national palestinien de l’intérieur,
elle est un outil pour demeurer et défendre la patrie, et y
défendre les droits de notre peuple. Quoiqu’il en soit, elle
n’est pas un choix palestinien mais une contrainte
israélienne ».
L’apartheid israélien de fait pratiqué depuis
1948 est en passe d’être légalisé, avec les lois de plus en plus
nombreuses que l’établissement officiel sioniste instaure. Il
n’a pas fallu attendre, contrairement à ce que croient beaucoup,
l’arrivée au pouvoir de la droite dure pour ce faire,
c’est-à-dire février 2009. Dès l’Intifada al-Aqsa, plusieurs
lois adoptées par la knesset ou proposées par des groupes
parlementaires divers, rejettent les droits des Palestiniens,
limitent leur accès à une égalité même de surface, encerclent
leur direction et leur présence dans leur pays. Les récentes
lois proposées, discutées ou adoptées ne font qu’entériner ce
que la gauche sioniste avait envisagée, à demi-mots. C’est cette
accentuation de la sionisation musclée, à visage découvert, qui
a finalement convaincu ceux qui hésitaient à proclamer la grève
générale, à le faire sans hésiter.
L’accumulation des confrontations antérieures
Si les Palestiniens de 48 sont parvenus à
proclamer la grève générale, le 1er octobre prochain,
de manière unanime, c’est aussi et surtout à cause de
l’accumulation des luttes qu’ils entreprennent depuis octobre
2000 contre l’institution sioniste, sous toutes ses formes.
C’est dans la confrontation que les outils ont été mis au point
et ajustés pour arriver à ce stade, reprenant la tradition de la
journée de la terre du 30 mars 1976, mais avec une conscience
politique plus aguerrie de ce qu’ils sont, de ce qu’ils veulent
et de ce à quoi ils aspirent. Il ne s’agit plus seulement de
protester contre les confiscations des terres, qui sont
d’ailleurs presque entièrement confisquées, plus de trente ans
après, mais de s’affirmer palestiniens, et en tant que tels, de
contribuer au combat palestinien pour la liberté, contre le
colonialisme, l’apartheid et le nettoyage ethnique israéliens.
Et parmi ces outils de lutte forgés dans la
confrontation, il y a le haut comité de suivi des masses arabes
qui a « osé » proclamer la grève générale. Organe de liaison
fondé au début pour contrôler les masses arabes, il est devenu,
au fur et à mesure que les luttes s’intensifiaient, un organe
partagé entre les nationalistes et les « modérés », pour devenir
finalement un cadre portant les aspirations nationales du peuple
palestinien de l’intérieur. Bien évidemment, la lutte à
l’intérieur du haut comité n’a pas encore entièrement tranché la
question, mais des voix de plus en plus nombreuses réclament
actuellement l’élection des instances dirigeantes de cet organe
par les masses palestiniennnes de 48, alors qu’elles sont
jusqu’à présent formées par un consensus très éloigné de la
réalité sur le terrain.
La principale contestation de ces élections
réclamées émane de certains partis qui craignent que le haut
comité ne remplace dorénavant leur représentativité à la knesset,
tout comme ils craignent qu’un tel organe, uniquement
palestinien, ne franchisse le cap d’une séparation de fait avec
la société coloniale israélienne, balayant tout appui ou toute
illusion envers la gauche sioniste ou alternative israélienne.
Pour ceux qui réclament ces élections, il s’agit de bâtir un
véritable outil palestinien représentatif, de liaison et de
coordination des luttes face aux menaces de plus en plus
évidentes de la part de l’institution sioniste. Il s’agit, non
pas de remplacer les partis participant aux élections de
la Knesset,
mais d’aller au-delà, en tenant compte qu’une part grandissante
de la population palestinienne de l’intérieur ne participe plus
ou n’a jamais participé, à ces élections. La proclamation de la
grève générale par le haut comité de suivi est un pas dans ce
sens. Elle vient couronner le débat interne qui dure depuis des
années et qui se poursuivra après la grève.
La grève générale du premier octobre prochain
est la poursuite de la mobilisation exemplaire et la
participation massive des Palestiniens de 48 lors de la guerre
génocidaire contre la bande de Gaza. Elle est la poursuite de la
mobilisation remarquable lors de la guerre de juillet-août 2006
contre la résistance au Liban, comme elle est la poursuite de la
mobilisation populaire contre l’invasion de Umm al-Fahem, contre
le pogrom à Akka et surtout, contre la judaïsation de la ville
d’al-Quds, devenue de fait sous leur protection, puisque ni les
Palestiniens de Cisjordanie ni ceux de la bande de Gaza ne
peuvent y accéder et la défendre. Une lourde responsabilité pèse
aujourd’hui, comme elle a toujours pesé, sur leurs épaules.
C’est pourquoi il est important que les amis
du mouvement palestinien de libération se mobilisent pour
soutenir le combat des Palestiniens de 48, non pas seulement
lorsqu’ils participent au combat palestinien à Gaza ou en
Cisjordanie, mais aussi et surtout lorsqu’ils se mobilisent et
affrontent, les mains nues, l’institution sioniste, civile,
militaire, politique ou sécuritaire, pour protester contre le
racisme colonial qui cherche soit à les israéliser soit à les
expulser.
Dans la pratique, il est possible de
contribuer au soutien de leurs luttes en les faisant participer
à tout débat organisé sur la cause palestinienne, et non
seulement sur leurs propres luttes, en les invitant aux côtés
des autres Palestiniens, réfugiés ou de Cisjordanie et de Gaza.
Ensuite, faire connaître leur situation, leurs luttes et leurs
analyses, en évitant de les intégrer dans « les affaires
internes israéliennes » et en les dissociant des Israéliens,
quelle que soit la nature de ces Israéliens, gauche,
extrême-gauche ou autres. Puis, finalement, en tentant de porter
la présence des Palestiniens de 48 dans leur propre pays
colonisé devant les instances internationales, même si ces
dernières sont encore timides ou franchement pro-sionistes.
Défendre la présence et le droit des Palestiniens de 48 devant
les instances internationales a une double portée : d’abord
médiatique, mais surtout politique, puisqu’il s’agit de frapper
l’Etat sioniste au cœur, lui qui considère les Palestiniens de
48 comme étant une affaire interne et que toute revendication de
ce type, une intervention dans ses « affaires internes ». C’est
à ce niveau que l’Etat sioniste peut être affaibli et démantelé,
progressivement, tout en permettant à notre peuple de
l’intérieur de s’affermir, d’être une épine mortelle dans le
cœur de l’entité israélienne.