Opinion
Le « bon
Palestinien »
Christophe
Oberlin
Jeudi 20 juin 2013
Ceux qui ont suivi les
épisodes de la guerre menée par Israël
contre Gaza en 2008 se souviendront de
ce médecin palestinien à la fois employé
dans un hôpital en Israël et rendant
chaque semaine visite à sa famille à
Gaza. Pendant les terribles
bombardements de décembre 2008, alors
qu’il est à Gaza, sa maison est touchée,
et le médecin appelle au secours un
journaliste de la télévision israélienne
qui lui répond en direct à l’antenne.
C’est à ce moment précis que trois
enfants du médecin sont tués.
Après avoir rencontré ce
médecin par hasard, Christophe Oberlin a
lu le livre que celui-ci a publié sous
le titre accrocheur de : « Je ne haïrai
point ». Il nous fait partager ici le
malaise grandissant avec lequel il a
découvert au fil des pages la
personnalité de son auteur, ses
apparentes motivations, et son étrange
parti pris pour Israël. [SC]
En mars 2009, six semaines après
l’attaque israélienne sur Gaza, je
retourne sur place avec une équipe
chirurgicale. Bloqué comme souvent à
l’entrée de la bande de Gaza sur le
parking d’Erez, j’attends avec mes amis
une hypothétique autorisation d’entrée
de l’armée israélienne. Il pleut par
intermittence. Sous un abri en tôle
quelques Palestiniens se protègent avec
nous des grains successifs. L’un d’eux,
nous ayant entendu parler, demande :
« Etes-vous Français ? Connaissez-vous
l’éditeur Laffont ? Est-ce un bon
éditeur » ? Je lui réponds que c’est
effectivement un éditeur à succès, et
j’engage la conversation :
- Êtes-vous écrivain ?
Sourire où pointe un rien de fierté sur
le visage de mon interlocuteur.
- Pas tout à fait…
- Vous écrivez des livres ?
- Je construis des ponts entre les
gens... Nouveau
voile de satisfaction.
En quelques questions je m’aperçois que
j’ai en face de moi le Dr Abu El Aish.
Six semaines après la mort de ses filles
et de sa nièce sous les bombes
israéliennes, il rentre sur Gaza et
évoque sans émotion apparente la
traduction française du livre de sa vie.
Etrange rencontre…
Nous sommes maintenant en 2011, deux
années plus tard : le livre est paru,
ainsi que sa traduction en français.
L’un de mes amis, ému à sa lecture, m’en
demande l’analyse. Décryptage.
On y trouve l’histoire de la vie d’un
homme courageux et obstiné, acharné à
apprendre, à enchainer les formations,
ce qui est bien difficile dans le
contexte du conflit israélo palestinien.
Un homme qui traverse indiscutablement
bien des épreuves, des frustrations, des
attentes, qui a subit bien des
injustices, sans apparemment trop en
porter grief à ceux qui les lui ont
imposées. Le personnage fascine, comme
le titre de son livre « Je ne haïrai
point ». A y
regarder de plus près, on y trouve aussi
des déclarations étranges. Voici, prises
chronologiquement dans le texte du
livre, toute une série de citations et
les réflexions qu’elles m’ont inspirées.
Après une formation à l’étranger, le Dr
Abu El Aish revient médecin en 1985 à
Gaza et « ne peut pas trouver de
travail », « alors que les besoins sont
si grands » ! Il ajoute : « pour trouver
du travail il fallait être le fils de
quelqu’un d’important, ou encore un
collaborateur des Israéliens » ! Je
connais pour ma part au moins trois
médecins formés en Egypte, rentrés à la
même période, et qui ont été
immédiatement embauchés dans les
hôpitaux du fait justement des besoins
criants de la population. Et ce
n’étaient nullement des collaborateurs
des Israéliens : l’un a été assassiné
par Israël et l’autre a fait l’objet de
multiples tentatives d’assassinat par
les mêmes ! Le Dr Abu El Aish concède
toutefois qu’on lui propose « finalement
un poste à l’hôpital Nasser de khan
Younes, mal payé, à 35 km de chez
moi » ! Il est vrai qu’à l’époque les
médecins et les fonctionnaires avaient
un salaire de misère, et ce sont donc
les plus motivés à aider leurs
compatriotes qui acceptaient ces postes.
Le Dr Abu El Aish n’en faisait donc pas
partie. « Il faudrait trouver vite autre
chose ! » nous dit-il. Il est alors
« transféré à l’hôpital Shifa dans un
établissement géré par des personnes non
compétentes mais bien connectées ». Mais
voilà que, plutôt que d’apporter sa
compétence dans un océan d’incompétence…
il démissionne et part pour Djeddah en
Arabie saoudite ! On s’imagine alors
qu’un salaire enviable l’attend là bas,
mais le docteur téléphone quand même
« pour en savoir plus sur la dureté de
la vie et du travail à Djeddah ».
Rassuré sans doute, il s’y rend et
trouve à « s’occuper de Palestiniens
dans une maternité de Djeddah » ! On
aimerait savoir qui sont ces
Palestiniens ? S’il s’agit de pauvres
Palestiniens dans un camp de réfugiés en
Arabie saoudite, c’est un scoop ! En
tous cas une lucrative manière d’aider
les Palestiniens. Deux ans passent
ainsi, de quoi envisager l’avenir plus
sereinement...
Surgit la 1ere intifada en 1987 qui
frappe notre docteur, car
« malheureusement elle commence dans mon
quartier » ! Le docteur est quand même
un peu déconnecté à l’époque, car il
déclare que « personne ne sait ce qui
l’a provoquée » ! En tous cas ce n’est
pas une raison pour s’attarder, et en
1988 munis d’une bourse saoudienne le
docteur part pour Londres. Retour un an
plus tard… pour l’Arabie saoudite. Sa
femme qui a passé 2 ans à Djeddah avec
lui rentre a Gaza en 1991, et y restera,
au propre comme au figuré.
A Gaza, ce n’est pas terrible : c’est
« l’intifada permanente, un bain de sang
fratricide, un millier de Palestiniens
accusés de collaboration avec les
Israéliens ont été exécutés ». ! Ce qui
est terrible, ce n’est donc pas la
guerre, c’est l’exécution des collabos !
Et il récidive : « A la signature des
accords d’Oslo plus de 2100 palestiniens
avaient trouvé la mort, un millier entre
les mains de leurs frères, 11OO par les
israéliens ». Beau souci d’équilibre !
Que fait alors notre héros ? Il ouvre
une clinique privée à Gaza ! « Pour
soigner les pauvres » (sic !) et cumule
avec un salaire de l’UNWRA (office des
Nations Unies pour les réfugiés
palestiniens) ! Mais
le Dr Abu El Aish ne se sent pas encore
assez utile à ses compatriotes. « A
Londres, j’avais remarqué que la plupart
des ouvrages de référence (il veut être
gynécologue) étaient écrits par des
professeurs israéliens » ! Quelle
coïncidence ! Et le voilà parti pour
quatre dures années à l’hôpital Soroka
de notoriété mondiale (si vous ne le
savez pas, c’est que vous êtes
ignorant). La suite est un conte de
fées : le Dr Abu El Aish est invité au
congrès mondial … à Jérusalem ! Séquence
émotion : il y retrouve sa famille
juive, celle pour laquelle il
travaillait à l’âge de 15 ans dans les
cages à poules ! A Soroka, son salaire
est de 2000 dollars, il loue un
appartement à Beersheba et commence sa
spécialisation en 1997. Il sauve alors
une femme palestinienne en l’envoyant se
faire soigner en Israël. Mais il ne nous
parle pas de toutes celles qui sont
mortes au check point sur le chemin d’un
hôpital… palestinien.
« Echec de Camp David et affrontements
initiés de part et d’autre ». Formidable
toujours ce souci d’objectivité ! 11
septembre 2001, il est de garde en
Israël. Il fait ensuite des séjours en
Italie et en Belgique (« invité par des
amis américains de l’université Ben
Gourion et de l’hôpital Soroka »).
Toujours les ponts… Et puis le voilà à
l’université de Harvard aux Etats Unis
où un recruteur talentueux lui aurait
déclaré sans rire : « vous avez une
connaissance de premier plan des
problèmes de santé publique qui se
posent dans un camp de refugiés » !! Et
c’est parti pour un an à Harvard en
2003. Ceci lui permet alors d’émettre
des critiques autorisées sur le système
de santé de Gaza : « Pour les cas graves
il faut sortir », « ce système ne répond
pas aux besoins de la population », « à
chaque changement d’administration il y
a une métamorphose qui dépend du nouveau
responsable et non pas des besoins de la
population ». Rentré
de Harvard, et après ces efforts
méritoires, il décide, suite logique,
d’entrer en politique, avec d’ailleurs
un programme sophistiqué : « Pour sortir
le peuple du chaos et des privations, il
faut un programme intelligent de santé
publique ». Il travaille alors comme
consultant pour l’US Aid (organisation
humanitaire d’état aux Etats-Unis), tout
en faisant campagne. Il connait le
terrain, car, nous dit-il, « j’avais
travaillé dans plusieurs hôpitaux de
Gaza ». Quelques semaines, effectivement
(voir plus haut). En tous cas les choses
sont claires, ce n’est pas par ambition
qu’il est entré en politique : « le
Fatah m’a demandé de me présenter aux
primaires d’octobre ». Ils ont même mis
le paquet : on lui a fait miroiter « un
poste de premier ministre adjoint » ! Ce
qui aurait, soit dit en passant,
nécessité une modification de la
constitution, une formalité ! Etant
pauvre, il « emprunte 35 000 dollars à
ses frères et amis » pour pallier à ses
frais de campagne. Malgré la finesse de
son analyse politique, et l’enthousiasme
de ses supporters, le résultat est
légèrement insuffisant « 79% des votes
sont allés au Hamas, aucun candidat
indépendant n’a gagné ». Là, je
m’inscris en faux : Jamal al Koudari a
été élu comme candidat indépendant.
En feuilletant les nombreuses photos qui
illustrent la carrière de notre héros :
on le voit tout sourire en 2001 au côté
d’Ehud Barak (celui de l’offre
généreuse). Le Dr Abu El Aish invite
aussi l’ancien chef de la police
israélienne au siège de la police de
Gaza avec Ghazi al Jabali, l’occasion
d’un bon cliché.
Bon, puisqu’on ne veut pas de lui au
niveau local, et que décidément rien ne
l’empêchera d’aider les Palestiniens, il
faut voir plus haut : le lendemain des
élections de 2006 il envoie son CV à
l’OMS, et file en Afghanistan ! Cela ne
l’empêche pas de suivre de près la
situation politique en Palestine. Il
commet alors une erreur factuelle, sans
doute liée à la médiocrité des journaux
afghans, en écrivant que « les deux
partis, Fatah et Hamas ont essayé de
former un gouvernement » : c’est faux :
le Fatah a refusé de participer à un
gouvernement majoritairement Hamas.
Il décrit ensuite à sa manière
l’affrontement Hamas Fatah. Il détaille
particulièrement un épisode douloureux :
celui de la blessure de son neveu
Mohamed « blessé aux genoux ». L’origine
est « un chaos guerrier entre des
factions tribales ». « Je ne savais pas
qui se battait contre qui ». Mais
heureusement « j’ai fait en sorte que
les blesses les plus graves, dont mon
neveu, soient transférés à l’hôpital
Soroka ». « Ses jambes ont été
sauvées ». On se demande ce qui est
arrivé au neveu, et le Dr Abu El Aish
donne les détails suivants : « étudiant
de 24 ans travaillant dans la garde
nationale pour venir en aide à sa
famille » : un pauvre étudiant,
contraint donc d’avoir un petit boulot.
Avec quelques camarades (étudiants
probablement), ils ont été « adossés a
un mur pour être abattus ». « Mais des
Palestiniens qui regardaient la scène
sont intervenus, ont poussé les jeunes à
terre pour empêcher le Hamas de leur
envoyer une balle dans la tête. Ces
balles ont touché les parties
inférieures du corps, les chevilles et
les genoux » ! Ainsi, pour empêcher un
massacre d’étudiants, des palestiniens
courageux se sont jetés sur le peloton
de tir au moment précis ou les tireurs
appuyaient sur la gâchette, déviant
ainsi le trajet des balles ! On en
conclue à l’évidence que les tireurs au
Hamas sont maladroits, et non
prévoyants : c’était leur dernière
balle. L’affaire se termine pas trop
mal : « Mohamed a eu les jambes sauvées
en Israël, mais quand même « bon nombre
de ses amis traités à Gaza ont été
amputés » ! Il faut dire que les
chirurgiens de Gaza sont nuls !
Mais l’épisode des tirs dans les genoux
mérite explication. J’ai pour ma part
été confronté plusieurs fois à des
blessés palestiniens blessés aux genoux
par d’autres Palestiniens, pendant les
bombardements de 2008-2009. Mon
entourage m’a dit qu’il s’agissait de
collaborateurs accusés de guider les
tirs israéliens. Il est clair que je
suis personnellement totalement opposé à
un tel châtiment, mais ce fait mérite
toutefois d’être mentionné. J’ajoute
que, pendant la guerre de 2008-2009, les
blessés graves qui étaient amenés dans
notre bloc opératoire de Khan Younes,
étaient toujours accompagnés de la foule
nombreuse des familles et des amis, qui
attendaient impatiemment à la sortie du
bloc pour avoir des nouvelles. Pour les
3 cas de blessures aux genoux que j’ai
été amené à soigner, il n’y avait
personne dans le couloir.
Et ça continue : après la prise du
pouvoir du Hamas (en juin 2007), « a
l’intérieur de la bande de Gaza les
souffrances allaient croissant », (ce
qui est vrai), « et il en allait de même
des attaques de roquettes sur les villes
israéliennes », (ce qui est faux : le
Hamas justement avait décrété une trêve
unilatérale, trêve qui a été rompue par
une attaque meurtrière d’Israël quelques
semaines avant l’attaque généralisée sur
Gaza, en décembre 2008).
En 2007 le bon docteur« continue à
traiter des patients a Gaza » tout en
« donnant des cours a l’université Ben
Gourion » et « en travaillant comme
consultant pour l’Union Européenne » !
Il s’intéresse aussi à la génétique car
les « problèmes sont assez courants » et
ajoute « les patients et leur famille ne
reçoivent pas l‘aide dont ils ont
besoins ». Et donc, toujours pour
continuer à aider les Palestiniens, le
docteur se fait embaucher … à Tel Aviv !
En 2008 il cherche sans doute à soigner
des Palestiniens au Kenya, en Ouganda et
en Belgique. Ecoutons le Dr Abu El Aish
qui revient sur son passé : « J’avais
consacré ma vie d’adulte à vouloir
améliorer la santé et l’éducation dans
la bande de Gaza ». Mais c’est le père
aussi qui s’interroge : « Je pouvais
emmener mes enfants dans un endroit sûr,
ne devrais je pas écouter mon cœur ? »
Mais l’observateur scrupuleux des
malheurs de son temps reste présent :
« L’envie d’en découdre entre Israéliens
et Palestiniens remonte au lendemain de
la victoire du Hamas aux élections de
juillet 2007 ». Il y a là une erreur
factuelle : ce n’est pas en juillet 2007
mais en février 2006 que le Hamas a
remporté les élections. Le Dr amalgame
donc la victoire électorale de 2006 au
coup de force de juin 2007 qui a suivi
une année d’affrontements entre le parti
qui a perdu les élections (Fatah) et
celui qui les a gagnées(Hamas). Nuance.
« Le 25 décembre 2008 les Israéliens ont
ouvert 2 points de passage frontaliers
et ont laissé passer plus de cent
camions chargés d’aide humanitaire
destinée au territoire assiégé ». Il
oublie de dire que les besoins
quotidiens sont de 300 par jour (la
population de Gaza équivaut à la moitié
de la population de Paris), et surtout
qu’il ne s’agit en rien d’une aide
« humanitaire : « les conventions de
Genève obligent la partie occupante,
Israël, à prendre en charge les civils
victimes du conflit, et notamment les
besoins essentiels, subsistance et
santé. Par ailleurs il faut savoir
qu’Israël prélève 17% de taxes sur tous
les produits entrant a Gaza (produits
achetés par ailleurs par les
Palestiniens). Non seulement ce qui
entre à Gaza ne coute rien à Israël,
mais ça lui rapporte ! Donc rien
« d’humanitaire ».
Le 27 décembre 2008, ce qui l’inquiète,
ce ne sont pas les attaques massives
israéliennes : « il avait entendu dire
que des gens vivant seul étaient tués ».
« Je suis resté dans ma maison parce que
je j’ai pensé que tout le monde savait
que c’était la mienne » ! Qui est ce
« tout le monde » ? S’il pense que les
Israéliens avaient prévu d’épargner sa
maison, le docteur aurait du convoquer
au moins les voisins et les amis pour
les faire bénéficier de cette
protection ! « Je crois que les soldats
israéliens ont été poussés à tuer par la
peur sans fondement née de tant d’années
d’hostilités et de préjugés ». Tel
« professeur d’action sociale à Tel Aviv
qui a mené des recherches avec moi sur
les effets du stress post conflit sur
les enfants palestiniens à Gaza et sur
les enfants israéliens à Sderot » lui
donne quelques conseils après la
décimation de sa famille… Toujours ce
souci d’équilibre.
Concernant l’appel du Docteur Abu El
Aish en direct à la télévision
Israélienne alors que ses filles étaient
tuées, le journaliste israélien qui
était en communication avec lui dira
plus tard : « je pense que ces 5 a 7 mn
de télévision ont conduit au cessez le
feu ». Finalement c’est grâce à la
transparence et l’indépendance bien
connues de la télévision israélienne que
l’horreur s’est arrêtée !
Après la guerre, le docteur nous dit :
« l’école a repris fin janvier, et après
avoir passe 10 jours avec moi, les
enfants sont rentres a Gaza où ils ont
vécu sous la garde de mes proches » !
Quel père affectueux ! Pour le compte
des morts palestiniens le bon docteur,
par soucis d’équité, donne les chiffres
« selon les deux camps » : 1166 à
1417 ! » On peut se demander sur quels
éléments les Israéliens ont pu faire
leur statistique. On peut se demander
aussi ce qui se passe, par exemple, dans
la tête d’un manifestant revenant d’un
défilé de la Bastille à la République,
qui citerait les chiffres de la police !
« D’après ce que je sais la grande
majorité des Israéliens et des
Palestiniens furent horrifiés devant les
actes commis pendant cette guerre de 3
semaines ». Il ne dit pas que ces actes
ont été commis par Israël. Et il oublie
les sondages qui montraient que 80% des
Israéliens soutenaient l’attaque (tout
en sachant qu’en Israël les Palestiniens
Israéliens sont exclus des sondages).
Mais le docteur voit toujours le bon
côté des choses : « l’une des
conséquences de cette tragédie est que
j’ai pu voyager encore plus en Europe en
Amérique du Nord, en Asie, pour parler
de la vie telle quelle est a Gaza » ! Le
docteur obtient le « Prix Niarchos pour
la survie 2009, en compagnie d’une
habitante de Sderot » ! Et pour clore le
tout : « le secrétaire d’état du
parlement belge Jean Marc Delizee a
proposé mon nom pour le prix Nobel de la
paix 2010 » ! Le
docteur évoque ensuite un sujet plus
technique qui est celui des petits
Palestiniens atteints de malformations
cardiaques congénitales. Il cite le
docteur Zeev Rotstein, cardiologue
israélien : « avant 1ere intifada, je
faisais des diagnostics de cardiopathie
congénitales chez les enfants de Gaza et
Cisjordanie. J’allais une fois par
semaine les ausculter et les dirigeais
vers un hôpital adéquat. Mes pensées
vont vers ces enfants qui ne peuvent
plus obtenir le traitement dont ils ont
besoin…. » Il ajoute : « un enfant peut
être soigné en Israël, mais, quand il
rentre chez lui il n’a ni soutien ni
suivi médical » ! C’est ici l’occasion
de parler ici de la Fondation Perez.
Shimon Perez dirige en effet une
fondation destinée notamment à faire
opérer en Israël des enfants
palestiniens. Cette fondation est
largement alimentée par des fonds
notamment institutionnels. C’est donc
une bonne action, et aussi une bonne
affaire, financièrement parlant, qui
fait tourner une équipe de chirurgie
cardiaque israélienne. Mais dans le même
temps l’hôpital palestinien Makassed à
Jérusalem Est, où opèrent des
chirurgiens cardiaques palestiniens et
étrangers, est progressivement
étranglé : pas de concurrence !
Ecoutons encore le docteur : « Je
continue de voir des gens qui sont
choqués qu’un médecin palestinien puisse
soigner des patients juifs ». Dit comme
cela, il est assuré de susciter
l’approbation du lecteur… En fait, il
faut savoir que les Palestiniens
désignent souvent les Israéliens par le
terme de juifs (cela peut se comprendre,
car les Palestiniens israéliens ne sont
pas leurs ennemis, et c’est au nom du
judaïsme et de l’état juif que les
palestiniens sont persécutés). Est-il
anormal d’être surpris qu’un médecin
palestinien soigne presque exclusivement
des Israéliens alors que le même se
lamente sur le manque de soins apportés
aux Palestiniens ? Qui plus est, qu’il
ait à Gaza une pratique complémentaire
exclusivement privée, c’est-à-dire
payante ? Il est
intéressant de lire la description par
le docteur de ses aller et venues
incessants entre Tel Aviv et Gaza : « Je
suis un des très rares Palestiniens à
avoir un permis de travail en Israël ».
On aimerait un commentaire. Le docteur
passe chaque semaine 2 jours à Gaza, 5 à
Tel Aviv. Il nous parle du terminal d’Erez,
entre Israël et Gaza, « construit pour
le passage de 25 000 personnes par jour,
de journalistes par dizaine,
d’humanitaires… qui est maintenant
désert ». Il dit y rencontrer « des
travailleurs humanitaires qui ont l’air
de s’ennuyer » ! Est-ce parce qu’ils
attendent ici depuis 1, 2 ou 3 jours,
comme je l’ai fait moi-même, leur permis
d’entrée de l’armée israélienne ? Le
docteur ne précise pas. Le docteur
décrit ensuite le fleuron de ce terminal
gigantesque : « Une clinique pour
accueillir les urgences médicales de
Gaza » ! Les médecins et les hôpitaux de
Gaza étant nuls, il vaut bien mieux
accueillir les patients ici, le
dispatcher dans les hôpitaux israéliens
et faire payer l’Autorité
Palestinienne ! Suit
alors la description, étrange, du
passage vers Gaza, que seuls peuvent
apprécier à sa juste valeur ceux qui la
connaissent. On suit un corridor puis on
est accueilli par des « porteurs
ronchons »qui pratiquent des tarifs
exorbitants (2 euros par bagage) ».
« Vous êtes à Gaza ». Le lecteur
comprend donc que la partie israélienne
a été franchie. Les porteurs
« ronchons » sont du côté palestinien,
il n’y a pas de porteurs du coté
israélien. On est bien arrivé à Gaza,
puisque le docteur nous dit être alors
« sous le regard courroucé du Hamas ».
Pourquoi ce regard courroucé ? C’est
bizarre, pour être moi-même passé une
trentaine de fois par ce chemin, je n’ai
jamais essuyé un seul regard courroucé
du côté palestinien, bien au contraire !
Le docteur poursuit : « autre
interrogatoire », « fouille »,
« mouvement du menton pour indiquer la
direction à suivre, il faut porter ses
bagage à bout de bras » et là le docteur
développe une confusion coupable en
amalgamant coté israélien et
palestinien : l’ordre chronologique a
disparu : il fait croire que « hauts
parleurs, écartez les jambes ! levez les
bras ! » se situe du coté palestinien,
alors qu’il s’agit du côté israélien
(les Palestiniens n’ont pas de
scanners !). « Les policiers
antipathiques du Hamas vous laissent
rôtir au soleil » : c’est du côté
israélien qu’il m’est personnellement
arrivé de rôtir 3 jours sur un parking
sans eau ni toilettes ! « ils indiquent
de la tête la porte menant au no mans
land », « feux rouges, cabines fermées,
instructions aboyées » : tout ca est en
fait du coté israélien, alors qu’il nous
le place du coté palestinien !
« Personne, palestinien, israélien ou
étranger ne comprend l’ensemble de la
procédure » : là il semble ignorer qu’il
est interdit par la loi israélienne à
tout Israélien d’entrer à Gaza : Jeff
Halpert est allé en prison (en Israël)
pour çà ! Il n’y a donc que des
Palestiniens ou des étrangers.
Le docteur a une vision très schématique
de l’Histoire de Gaza : « la majeure
partie de l’histoire de Gaza vient des
récits du Coran, de la Bible et de la
Torah » ! C’est effectivement ce que
disaient les sionistes au début du
siècle dernier. Le travail des
historiens et notamment de ceux que l’on
appelle les « nouveaux historiens
israéliens » a bien montré l’énorme
fossé qui existe entre les textes sacrés
et les preuves matérielles que nous
fournit l’archéologie.
« Le roi israélien David a conquis
Gaza » : faux, archi-faux ! Les
hasmonéens ont administré Gaza pendant
36 ans en tout et pour tout, 10 siècles
après la vie supposée de David (dont on
ne sait à peu près rien, le texte
biblique écrit 3 siècles après sa mort
étant invérifiable).
« Depuis 1948 Israël s’est déclaré une
nation ». Faux la nationalité
israélienne n’existe pas.
Ce sont des « rumeurs de tueries » qui
auraient poussé son grand père à fuir en
48 ! « La guerre des
6 jours opposa Israël à l’Egypte, la
Jordanie et la Syrie aidés de l’Irak,
l’Arabie Saoudite le Soudan, la Tunisie,
le Maroc et l’Algérie » ! Pour que ceci
soit clair, il l’écrit 2 fois en 5
pages ! La guerre de 56 est présentée
curieusement : il parle pudiquement des
« belligérants » sans précision ! Alors
qu’Israël, la France et l’Angleterre
avaient tout simplement décidé de
reconquérir le canal de Suez nationalisé
par le vilain Nasser !
Le récit d’un épisode de la guerre de 67
me laisse songeur : dans le camp de
réfugiés où il vivait à Gaza, les
soldats israéliens ont fait un appel par
hauts parleurs : « tous les résidents
doivent se réfugier au centre du camp ».
« J’étais sûr qu’on allait être tués ».
« Tout ce que les soldats ont fait fut
d’arrêter quelques jeunes hommes que je
ne connaissais pas pour les conduire en
prison. Les soldats nous ont dit ensuite
de rentrer chez nous et d’obéir aux
lois » ! J’ai eu pour la part d’autres
récits d’autres Palestiniens, qui sont
bien connus des observateurs : des
milliers de jeunes gens, en gros entre
15 et 50 ans, ont été chargés dans des
autobus et déportés à la frontière
égyptienne. Les Egyptiens et les
organisations internationales les ont
alors pris en charge. Par ailleurs en
décrivant les quelques personnes qui ont
été arrêtées « que je ne connaissais
pas » nous dit le bon docteur, il
suggère par là qu’il s’agissait de
personnes étrangères au camp, sans doute
des terroristes qui se cachaient
lâchement au milieu de paisibles
habitants ! Après
1967 le docteur parle avec ravissement
de l’arrivée « des touristes
israéliens » dont il portait les
commissions ! Quand à la guerre de
2008-2009, il s’agit d’une
« incursion » ! On
est émus par l’évocation de son frère
Noor « disparu en1983 ». « Il avait été
incarcéré en Israël en 1983 à l’âge de
18 ans, car il travaillait pour le
Fatah ». Et le docteur, au lieu de
manifester un minimum de compassion,
nous dit « il fut séduit par un groupe
d’amis peu recommandable et se mis à
vendre du haschich ». Exit le frère !
L’évacuation des colonies israéliennes
de la bande de Gaza en 2005 est
commentée sobrement : « en septembre
2005 les colons israéliens ont été
expulsés de Gaza en vertu d’une promesse
du gouvernement israélien de confier le
contrôle du territoire aux Palestiniens.
Ce ne fut pas vraiment une réussite » !
Les Palestiniens qui travaillent dans
les tunnels sont de « passeurs », donc
des exploiteurs travaillant en toute
illégalité. Au fond il faudrait mieux
accepter le siège…
Bien entendu « Shalit a été capturé par
des militants islamiques » : alors que
le soldat Shalit se promenait
pacifiquement dans un tank sûrement
désarmé ! Il dénie le droit des
Palestiniens de faire un soldat
prisonnier ? Le docteur dit que le
blocus en est la conséquence : non le
blocus a été mis en place après la
victoire du Hamas, pas après la capture
de Shalit ! Le stéréotype raciste est
aussi présent : les camps de réfugiés
sont « sales et bruyants ». A qui la
faute ? « L’élection
du Hamas a augmenté la fréquence des
tirs des roquettes ». C’est faux, le
Hamas a institué une trêve
unilatéralement les Israéliens refusant
à s’engager à ne plus lancer d’attaques
sur Gaza. Le docteur nous dit que « les
roquettes Qassam sont les plus chères du
monde » du fait… des représailles
qu’elles provoquent ! Donc la faute est
aux Palestiniens qui devraient rester
tranquilles ! Ils sont formidables ces
Israéliens : le docteur Abu El Aish est
fier « d’être le premier médecin
palestinien employé par un hôpital
israélien ». Mais le docteur Abu El Aish
a du tout de même faire sa médecine… au
Caire ! Mais ce qu’il nous dit là est
quand même intéressant : il suggère que,
parmi les 1,5 millions de Palestiniens
Israéliens, pas un seul ne serait donc
employé comme médecin dans un hôpital
israélien ? On espère vivement qu’il se
trompe. Combien ont pu faire leurs
études de médecine en Israël ? La
question est posée.
Conclusion
Après cette longue énumération de
citations commentée dans l’ordre
chronologique de leur apparition,
comment peut-on résumer le livre et le
personnage ? Le
personnage tout d’abord : au mieux un
mélange de syndrome de Stockholm
(attirance perverse de la victime pour
le bourreau) et de syndrome de Deir
Yassin (pendant la guerre de 48, le
massacre de la population de Deir Yassin,
qui a ému le monde entier, a été reconnu
avec noblesse par Israël… jetant un
voile pudique sur les plus de trente
massacres équivalents et les 400
villages rasés au cours de la même
période). Quand au
fil du livre, quel est-il ? Le conflit
israélo-palestinien est un problème de
sentiments. Il est urgent d’attendre que
la haine s’apaise. Evacué le problème
politique, juridique, moral. Trouvons
d’abord des « saints » des « 2 cotés »,
et oublions le reste. Les supporters du
statu quo on trouvé dans le docteur Abu
El Aish leur meilleur allié. Son
message ? La paix ne serait qu’une
question d’hommes. Et malheureusement
ceux-ci ne sont pas aussi bons que le Dr
Abu El Aish, accueilli maintenant au
Canada. S’il y avait d’avantage de
personnes qui pensent comme lui, des
deux côtés, la paix serait possible.
Mais comme il n’y a que trop peu de
personnes qui pensent comme lui, la paix
n’est pas possible. Il faudra du temps,
des deux cotés, avant que la barrière
psychologique ne s’efface.
Soutenons en tous cas cet homme
remarquable dans son périple médiatique,
cela nous évitera de penser aux
Palestiniens. Le docteur Abu El Aish est
un « bon palestinien », d’ailleurs il
pense comme nous ! Et proposons-le pour
le prix Nobel de la paix, où il se
retrouvera en compagnie d’autres
illustres faiseurs de paix…
Christophe Oberlin
16 juin 2013
Chirurgien des hôpitaux et professeur à
la faculté Denis Diderot à Paris,
Christophe Oberlin enseigne l’anatomie,
la chirurgie de la main et la
microchirurgie en France et à
l’étranger. Parallèlement à son travail
hospitalier et universitaire, il
participe depuis 30 ans à des activités
de chirurgie humanitaire et
d’enseignement en Afrique
sub-saharienne, notamment dans le
domaine de la chirurgie de la lèpre, au
Maghreb et en Asie. Depuis 2001, il
dirige régulièrement des missions
chirurgicales en Palestine,
particulièrement dans la bande de Gaza
où il a effectué près d’une trentaine de
séjours. Christophe
Oberlin a écrit de nombreux ouvrages.
Il
est notamment coauteur avec
Jacques-Marie Bourget de
Survivre à Gaza, (éditions Koutoubia,
2009) la biographie de Mohamed al-Rantissi,
le chirurgien palestinien frère du
dirigeant historique du HAMAS assassiné
par l’État d’Israël.
Auteur
de Chroniques de Gaza,
2001-2011, (éditions Demi-Lune,
2011)
Coauteur
avec Acacia Condes de
Bienvenue en palestine, destination
interdite. (éditions Encre d’Orient,
2012)
http://www.encredorient.com
Il
est également le traducteur de
Gaza, au carrefour de
l’histoire du journaliste anglais
Gerald Butt, (éditions Encre d’Orient,
2011).
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