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L'EXPRESSIONDZ.COM
LA DÉBÂCLE DU MONDE ARABE
L'Islam
est-il responsable ?
Pr Chems Eddine Chitour
Jeudi 22 octobre 2009
Le monde arabe, combien de divisions? Depuis
la chute de l’empire soviétique, il est apparu que la guerre
froide, n’ayant plus raison d’être, des idéologues américains
ont cherché et trouvé «un Satan de rechange». Ceci a
donné lieu, notamment après l’invasion de l’Irak et
l’incantation de Bush père de l’avènement d’un «Nouvel ordre
mondial» à des floraisons d’étude. Cela va de «La Fin de
l’histoire» de Francis Fukuyama, à Samuel Huntington avec Le
Clash des civilisations qui désigne le péril vert et le péril
jaune comme adversaires de la civilisation judéo-chrétienne.
L’Islam, «Le tiers exclu de la révélation abrahamique»
est le bouc émissaire des maux actuels de l’Occident. Il n’est
pas étonnant de ce fait, de soupeser le poids de l’adversaire en
le dimensionnant ce qu’a fait The Pew Forum on religion & public
life qui a publié, ce mois-ci, une étude détaillée sur les
musulmans du monde, intitulée Mapping the Global Muslim
Population. A report on the Size and Distribution of the World’s
Muslim Population.
Première leçon de cette étude, si l’on compte 1,57 milliard de
musulmans (23% de la population mondiale), l’Asie représente la
plus grande proportion d’entre eux, soit plus de 60% du total.
Les quatre pays les plus peuplés de musulmans sont, dans
l’ordre: l’Indonésie (202 millions), le Pakistan (174 millions),
l’Inde (160 millions) et le Bangladesh (145 millions). Le pays
arabe le plus peuplé de musulmans n’arrive qu’en cinquième
position, c’est l’Egypte (78 millions). L’Afrique du Nord et le
Proche-Orient ne comptent que 315 millions de musulmans (à peine
plus de 20% du total), suivis de l’Afrique subsaharienne (240
millions). 80% des musulmans habitent des pays où ils
représentent une large majorité.(1)
Les musulmans parlent
Dans le même ordre de la connaissance de l’Autre, un ouvrage
important écrit par John L. Esposito, un des meilleurs
spécialistes américains de l’Islam, et Dalia Mogahed, une
analyste travaillant pour l’institut de sondage Gallup: Who
speaks for Islam? What a billion muslims really think («Qui
parle au nom de l’Islam?»). Cet ouvrage est intéressant à
plus d’un titre, pour la première fois, à notre connaissance une
image de la situation des musulmans dans le monde est donnée.
Alain Gresh, qui le présente, écrit: «Cet ouvrage s’appuie
sur une très large enquête d’opinion, à travers plus de 35 pays
et représentant, selon les auteurs, plus de 90% des 1,3 milliard
de musulmans. L’idée est de faire parler les musulmans eux-mêmes
et pas les responsables ou les experts. Les auteurs résument
ainsi les principaux résultats de leur enquête.»
«Les musulmans n’ont pas une vision monolithique de
l’Occident. Ils jugent les différents pays en fonction de leur
politique, pas de leur culture ou de leur religion. Leur
principal rêve est de trouver du travail, pas de s’engager dans
le djihad. Ceux qui approuvent des actes de terrorisme sont une
minorité et cette minorité n’est pas plus religieuse que le
reste des musulmans. Ce que les musulmans admirent le plus dans
l’Occident, c’est sa technologie et la démocratie; ce que les
musulmans condamnent le plus en Occident, c’est la "décadence
morale" et la rupture avec les valeurs traditionnelles (dans des
proportions similaires à celles des... Américains). Les femmes
musulmanes veulent à la fois des droits égaux et le maintien de
la religion dans la société. La majorité ne veut pas que les
dirigeants religieux aient un rôle direct dans l’élaboration des
Constitutions, mais est favorable à ce que la loi religieuse
soit une source de la législation. Pour la majorité des
musulmans (plus de 90% dans certains pays), la religion est un
aspect essentiel de leur vie.» «Beaucoup considèrent la
religion comme un aspect primordial de leur identité. L’Islam
n’est pas, pour ses fidèles, ce qu’il apparaît aux ob-servateurs
étrangers, une simple carapace de règles contraignantes et de
punition. Pour beaucoup de musulmans, c’est une boussole mentale
et spirituelle qui donne un sens à la vie, les guide et leur
donne de l’espoir. Une proportion importante des personnes
disent que leur vie a un but important (90% pour les Egyptiens,
91% pour les Saoudiens).»(2)
«Les auteurs montrent les changements de la situation des
femmes depuis quelques décennies, avec leur intégration massive
dans l’éducation (notamment au niveau de l’université). Elles
veulent toutes plus de droits et notamment l’égalité juridique
avec les hommes, le droit de vote en dehors de toute pression
familiale, la possibilité de travailler à n’importe quel poste
en fonction de leur qualification (c’est notamment le cas de 76%
des Saoudiennes). Désirent-elles pour autant être "libérées par
l’Occident"? Pourtant, quand on leur demande si adopter les
valeurs occidentales ferait avancer leur cause, seules 12% des
femmes indonésiennes, 20% des Iraniennes et 18% des Turques sont
d’accord. Elles pensent que l’attachement à leurs valeurs
spirituelles et morales est un élément important dans les
progrès que leur situation doit connaître. "Travailler pour le
progrès des femmes en s’appuyant sur la charia plutôt qu’en
l’éliminant est un thème qui renaît dans les sociétés musulmanes
contemporaines."
Les femmes musulmanes veulent à la fois le respect de leur
religion et leurs droits; alors qu’elles admirent certains
aspects de l’Occident, elles n’adoptent pas toutes les valeurs
de l’Occident; la majorité des femmes musulmanes considèrent
avec suspicion les défenseurs occidentaux des droits des femmes.»(2)
De l’analyse rapide des deux études précédentes, on peut déduire
que l’essentiel de l’Islam est asiatique. Les pays asiatiques
semblent se développer dans l’ensemble, selon les règles de la
démocratie et connaissent des taux de croissance à deux chiffres
(Malaisie, Indonésie). De plus, l’alternance est consacrée
(Turquie, Malaisie, Inde, Pakistan). Il est donc faux
d’attribuer les problèmes des sociétés arabes à l’Islam qui est
de ce fait innocent des avanies que subissent les musulmans
arabes en son nom. Pourquoi alors, le monde arabe est-il dernier
partout comme le martèlent chaque année les Rapports du Pnud?
Pourquoi l’alternance se fait-elle toujours par l’émeute? Dans
les années 60, il était relativement mieux placé au niveau des
indicateurs de développement économiques et sociaux que
l’Amérique latine. En quarante ans, la régression est patente à
la mesure du désarroi des sociétés et des individus privés de
repères et de règles de jeu,soumis à un autoritarisme permanent,
asservis dans un climat de répression qui fait que l’impasse
paraissant durer mille ans [on a calculé qu’en moyenne un
potentat arabe restait au pouvoir une vingtaine d’années, le
record du Guinness est détenu sans conteste par El Gueddafi], le
désespoir gagne des couches sociales de plus en plus
importantes. Résultat des courses: les pays prennent un retard
qui n’est pas linéaire, mais exponentiel. On aurait pensé, écrit
Hicham Ben Abdallah El Alaoui, que sur le plan économique, les «ajustements
structurels» (y compris les privatisations et la réduction
des subventions étatiques), les accords de libre-échange,
l’appel aux investissements et les incitations à entreprendre
allaient enfin faire émerger de nouvelles classes moyennes.
(...) Vingt ans plus tard, le bilan de ces espérances dans les
différents domaines (politique, économique, idéologique et
relations internationales) est affligeant.(...) L’islamisme,
sous ses différentes formes, est arrivé à apparaître comme le
meilleur porte-parole des mécontentements et des exigences de
changement, même parmi des groupes traditionnellement de gauche
et laïques, comme les étudiants. Si les voix laïques et
islamistes font partie d’un même grand choeur exigeant la
démocratisation, les uns chantent la mélodie d’un ordre social
fondé sur le droit et sur les principes politiques modernes
universellement admis, les autres psalmodient les principes d’un
ordre politique fondé sur un ensemble de préceptes coraniques.
Bref, les «réformes» infligées à notre région depuis
quinze ou vingt ans - sous la pression de l’Occident - n’ont pas
conduit sur ce chemin qui mènerait inexorablement de la
libéralisation économique à la démocratie, en passant par la
modernisation et la sécularisation. (...) L’Etat fait feu de
tout bois, il crée ses propres médias, son propre simulacre
d’une société civile. Il s’agit d’une mise en scène, d’une
rationalisation limitée de l’ordre politique. L’Etat autoritaire
n’a pas été transformé par la démocratisation, il s’est affublé
de ses accessoires. On pourrait, par dérision, le nommer «autoritarisme
2.0». (...) Les facteurs géopolitiques pèsent sur ces
évolutions. (...) A partir de 2001, l’administration de M.George
W.Bush a opté pour une nouvelle lecture du pacte avec la région:
la priorité des Etats-Unis ne serait plus la stabilité, mais
l’instauration de la démocratie, au besoin par la force. Cet
abandon d’un vieux principe a effrayé nombre de régimes, mais
l’opinion arabe l’a vite senti: cette ferveur démocratique
n’était que le camouflage d’un programme d’interventions dans le
seul intérêt des Etats-Unis et d’Israël. Les régimes locaux ont
vite appris à déchiffrer les déclarations contradictoires venues
d’Occident et retrouvèrent leur confiance. Une façade
démocratique allait leur suffire, à condition d’apporter leur
pierre à la «guerre contre le terrorisme» et de ne pas
s’opposer trop vigoureusement à l’hégémonie des Etats-Unis ni
aux intérêts d’Israël.(3) Burhan Ghalioun, dans un premier
livre, explique le malaise des masses arabes à la fois par des
causes exogènes (les interférences multiples) et endogènes (la
chape du pouvoir). Dans le monde moderne, écrit-il, en perpétuel
changement, voué à la globalisation, à l’instabilité, à la
confusion, à la pauvreté, à la présence de menaces multiples,
les peuples cherchent dans leur patrimoine davantage des repères
qui manquent, un sens de l’enracinement dans l’histoire des
références, et un recours que des valeurs de piété.
Le véritable mal
Avec l’avènement de la modernité, la pensée politique arabe se
trouve tiraillée entre deux angoisses: d’une part, la peur que
les sociétés musulmanes soient exclues du processus de
modernisation, et d’autre part, la crainte qu’elles soient
obligées à renoncer à leur religion et donc à leur identité.
Ainsi, le débat politique s’est structuré en deux tendances
principales: l’une, d’inspiration religieuse, que l’on peut
appeler la tendance musulmane ou islamiste, et l’autre, à
caractère séculier, que l’on peut qualifier de moderniste ou
laïciste. A l’heure actuelle, alors que des désordres émergent,
plusieurs questions resurgissent: quel rôle joue la religion
dans la communauté nationale moderne? Quelle place doit avoir
l’État et quel rapport doit-il entretenir avec la religion?...
Le véritable mal dont souffrent les sociétés musulmanes ce n’est
pas l’Islam mais la gestion politique. «L’absence de
catéchisme dans l’Islam fait dépendre l’enseignement religieux
du pouvoir politique. Or les politiques culturelles ne sont
nulle part innocentes. Elles reflètent des stratégies de pouvoir
et répondent aux conditions de la reproduction des systèmes de
domination sociale. (...) La formation d’une pensée
déstructurée, qui est aujourd’hui la règle, est le fruit d’une
stratégie éducationnelle et au-delà, politique. Elle fait partie
de cette même entreprise qui voue le reste de la population à la
marginalisation et à la clochardisation. Ces politiques ne sont
pas séparables de l’ensemble des mécanismes sociopolitiques du
système en place qui sanctionne, l’honnêteté, l’esprit
d’initiative et la créativité. Il favorise le clientélisme,
l’hypocrisie et la soumission aux chefs. Bref, il faut chercher
la clé de la conscience déstructurée, désorientée, désaxée,
désemparée et déstabilisée qui tend trop à définir la conscience
musulmane d’aujourd’hui dans l’assujettissement de tout savoir,
de toute culture, de toute religion, de toute littérature, de
tout enseignement à la stratégie du pouvoir.»(4) Burhan
Ghalioun ajoute l’instrumentalisation de tous ces Etats arabes
dont le «tout-sécuritaire» est l’unique raison d’être,
font subir à la religion, d’une part (réduite au seul aspect de
la Shari’a) et au laïcisme proposé comme une nouvelle religion
étatique, d’autre part. Pendant de longues décennies, l’Islam
était considéré incompatible avec les valeurs de la démocratie.
Quel est l’impact réel de l’Islam dans l’évolution politique des
pays musulmans, en particulier les pays arabes du Moyen-Orient?
(...) Il est aussi faux de dire que l’Islam est incompatible
avec la démocratie que de soutenir le contraire. (..) Les
musulmans sont, comme dans toutes les sociétés, divisés entre
libéraux et radicaux, cléricaux et laïcistes, républicains et
monarchistes. (...) Quelle serait la Solution? «Les facteurs
qui favorisent une issue démocratique sont, à mon avis, poursuit
Borhan Ghalioun, quatre: la faillite des systèmes autoritaires
sur tous les plans: national, économique, politique et culturel,
l’émergence de la pensée critique, de nouveaux espaces de
sociabilité, de nouvelles forces politiques et civiles. L’éveil
de l’opinion publique, sous l’effet de la mondialisation des
médias et de la popularisation à travers Internet, des moyens
d’information, avec pour conséquence la naissance de nouvelles
aspirations et de fortes motivations pour la changement. (...)
L’incertitude quant à la possibilité d’obtenir un soutien
international cohérent et à long terme est avérée. En effet, il
n’est pas certain que les puissances euro-américaines qui
bénéficient d’une position privilégiée dans la région y croient
vraiment. D’où la volonté d’exercer une sorte de contrôle
continu sur l’évolution politique de systèmes et d’essayer
d’imposer aux sociétés de la région des équipes ayant de bons
rapports avec les puissances occidentales. (...)»(5)
Comment, en définitive, dépasser l’impasse majeure depuis
l’échec du réformisme: l’angoisse de l’exclusion de l’histoire
moderne et celle d’un abandon de valeurs et référents religieux
et culturels, cette fameuse double errance dont souffre en
particulier les Algériens ballotés entre une métropole moyen
orientale qui a montré ses limites et qui instrumentalise la
religion d’une façon rétrograde et un Occident tentateur qui ne
fait pas dans le détail pour broyer les identités grâce à la
puissance de ces «industries du plaisir» que «l’Unique»
pour citer son errance, tente d’imiter en programmant à la fois
Foursane el Kor’an et l’équivalent de la Star Ac erstatz
libanais de la Star Ac elle-même pâle imitation d’émissions de
variétés outre-Atlantique. On le voit, la «solution» ne
peut pas être exogène, au contraire, les interférences
occidentales font tout pour maintenir en l’état les masses
arabes.
1.Alain Gresh. Musulmans du monde - Le
Monde Diplomatique - 16 octobre 2009,
2.Alain Gresh: Que veulent les musulmans? Le Monde Diplomatique
- 1er avril 2008,
3.H.Ben Abdallah - Les régimes arabes modernisent
l’autoritarisme. Le Monde diplom. 04 2008
4.Burhan Ghalioun. Islam et politique. P.182. Editions La
Découverte 1997
5.Borhan Ghalioun
http://critique-sociale.blogspot.com/2005/islam-et-dmocratie-venise
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, Ecole d´ingénieurs Toulouse
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Publié le 22 octobre 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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