Algérie
Après les
élections législatives :
Le Changement c'est maintenant
Chems
Eddine Chitour
Pr Chems
Eddine Chitour
Samedi 12 mai 2012
«La différence
entre le politicien et l'homme d'Etat
est la suivante: le premier pense à la
prochaine élection, le second à la
prochaine génération.»
James Freeman Clarke (Extrait d'un
Discours)
Un sursis, c'est ainsi que l'on peut
qualifier le score des élections. La
participation a atteint 44,38% sur le
territoire national, alors qu'elle n'a
été que de 14% pour les Algériens de
l'étranger, a précisé le ministre de
l'Intérieur, Daho Ould Kablia. Dans la
capitale, Alger, l'abstention a atteint
69,1% des électeurs. Les militaires et
les policiers ont, quant à eux, voté en
masse ce jeudi. Le chef de la mission
des 150 observateurs de l'Union
européenne, José Ignacio Salafranca, a
jugé que le vote s'était déroulé dans
des conditions «généralement
satisfaisantes sauf de petits incidents
très limités». La Commission nationale
de surveillance des élections
législatives (Cnsel) a pourtant
répertorié 150 plaintes d'irrégularités
du scrutin, dont une trentaine relevant
du pénal. Deux de ces dernières
impliquent directement deux ministres en
exercice, candidats à la députation.
A quoi
sert et servira l'Assemblée législative?
Petit retour en arrière pour expliquer
le manque d'engouement des Algériens
malgré un matraquage audiovisuel
important. L'APN a une très mauvaise
image chez les Algériens. Pour eux,
c'est une assemblée asservie et sans
épaisseur; elle n'est ni plus ni moins
qu'une source de rente et une voie pour
l'affairisme. (...),surtout que les
députés, toute honte bue, se votent leur
propre scandaleux salaire. On comprend
dans ces conditions pourquoi les chefs
des partis politiques se placent en
première position pour continuer d'une
façon insatiable à sucer la rente pour
une valeur ajoutée...négative. Le
ridicule ne tue certes pas les
candidats, mais il révolte fortement les
Algériens Cette révolte s'exprime,
d'abord, en tournant en dérision la
campagne électorale qui découvre des
hommes et des femmes qui ont jailli du
néant, certains en position de combat ou
avec, la barbe ou le foulard marqueur
identitaire, sans programme cohérent,
promettre le capitalisme, le socialisme,
l'islamisme, la laïcité, le travail, les
entreprises, la liberté d'expression, la
fermeture des bars, la baisse des prix
des produits de consommation, une prime
pour le mariage..., voire 100% aux
résultats du baccalauréat si on vote
pour eux.
Pourtant, le pouvoir a tout fait pour
mobiliser. «Ma génération a fait son
temps.» C'est par cette phrase, répétée
à trois reprises, qu'Abdelaziz
Bouteflika, président algérien depuis
1999, a encouragé mercredi les 21
millions d'électeurs à se déplacer en
masse pour élire leur nouvelle Assemblée
nationale. (...) Le pétrole et le gaz,
abondants dans le pays, permettent
d'acheter la paix sociale et de se
maintenir en place au pouvoir depuis
cinquante ans. Pendant ce temps,
l'Algérie demeure le pays le moins
diversifié économiquement au monde.
«(...) Pour le ministre algérien des
Affaires religieuses, le vote serait
ainsi «un devoir religieux». participer
peut également traduire une volonté,
compréhensible aussi, des Algériens de
rejeter les appels à la division et
opter pour un changement pacifique et
non violent, contrairement à ce qui est
le cas dans certains pays voisins.» (1)
Pour le journal Le Monde rapportant les
écrits de journaux algériens:
«Participer et se risquer à se faire une
nouvelle fois abuser par le pouvoir,
mais avec la satisfaction d'avoir dit
son mot, ou boycotter et rester en
retrait de cet avenir commun qu'il nous
faudra pourtant construire ensemble...»
Si cette élection semble revêtir plus d'
importance que les précédentes, c'est
aussi parce que le Printemps arabe est
passé par là. «Elle attire sur le pays
les regards du monde qui, depuis janvier
2011, s'interroge sur la voie qui
s'ouvre à l'Algérie après les
bouleversements opérés dans le
voisinage». (...) Si ces législatives ne
sont «pas comme les autres», c'est parce
qu'elles «font partie du package des
réformes politiques annoncées dans le
discours [de Bouteflika] du 17 avril
2011 dans l'espoir d'endiguer le souffle
du Printemps arabe qui venait déjà de
balayer comme un fétu de paille le
régime de Ben Ali». Dans son éditorial,
le quotidien Liberté tranche: face aux
promesses de changement et aux
«réformes» menées, un «boycott» des
élections sonnerait comme une
disqualification totale du gouvernement.
Bref, dans ces élections, «le pouvoir
joue son va-tout». A l'inverse, un taux
de participation raisonnablement fort
pourrait traduire «une volonté,
compréhensible aussi, des Algériens de
rejeter les appels à la division et
opter pour un changement pacifique et
non violent, contrairement à ce qui est
le cas dans certains pays voisins»,
estime El Watan».(2)
Le poids
des islamistes
Quel est le poids réel des islamistes
qui promettent le paradis sur terre pour
les «fidèles»? Inspirés par les succès
de leurs confrères dans les pays
voisins, trois partis islamistes ont
formé une redoutable coalition appelée
le mouvement Algérie verte. Principale
formation de cette alliance, le
Mouvement de la société pour la paix
(MSP) espère profiter du désamour
populaire envers le parti historique du
Front de libération nationale (FLN).
Ainsi, son chef, Bouguerra Soltani, se
dit «certain» de sa victoire, «que ce
soit par K.-O. ou aux points». Pourtant,
à la différence de la Tunisie ou de
l'Égypte, le MSP participe au pouvoir
depuis 2007, avec quatre ministres au
gouvernement. «L'important pour eux est
de continuer à exister, et participer
ainsi à la répartition des richesses du
pays.» Grand vainqueur des législatives
en 1991, un autre parti islamiste.» (1)
«Si l'Algérie, écrit Mourad Slimani, n'a
pas eu sa part de «printemps arabe»,
elle pourrait bien connaître lors du
prochain scrutin la même issue que celle
des dernières élections qui ont eu lieu
en Egypte, en Tunisie et au Maroc. (...)
Près de vingt ans après l'émergence du
FIS en Algérie, les islamistes profitent
encore de soulèvements populaires,
auxquels ils n'ont pas forcément
participé, pour gagner des élections, en
Tunisie et en Egypte. (...) La mouvance
islamiste et ses nombreux avatars
plaident et jouent la modération. (...)
Ce que le parti perdait en influence
politique, il le gagnait en entrisme,
obtenant à chaque fois des postes de
ministre, favorisant par vocation le
réseautage d'affaires (travaux publics,
tourisme...)».(3)
Le scrutin pourrait effectivement se
solder par un bon score des islamistes,
note Hasni Abidi, directeur d'un Centre
de recherche en Suisse d'autant qu'il
est boycotté par plusieurs partis de
l'opposition, qui réclament des
changements plus fondamentaux et
prédisent également des fraudes. «(..)
En Algérie, il s'agit en quelque sorte
d'islamistes «domestiqués», et ces
partis à référence religieuse n'ont
jamais tenu un discours de rupture par
rapport au pouvoir, ce qui nuit à leur
crédibilité.» Reste que ces législatives
ne devraient avoir qu'un impact limité
sur la marche du pays au cours des deux
prochaines années: «Tant qu'Abdelaziz
Bouteflika sera en poste, rien ne
changera, estime Hasni Abidi. Les
Algériens le savent. «Il faudra attendre
2014 pour espérer une véritable
transformation», renchérit Tarik Ghezali.
Qui nourrit l'espoir que, d'ici là, une
relève électorale crédible, issue de la
société civile, aura émergé. «Il y a une
place à prendre pour une personnalité
capable de faire la synthèse entre les
tendances conservatrices et les
aspirations au renouveau de la société
algérienne.» (4)
Beatrice Khadige rapporte les propos de
Soltani qui dit craindre un bourrage des
urnes - qui n'a pas eu lieu -: «Nous
sommes certains de notre victoire que ce
soit par K.-O. ou aux points», déclarait
Bouguerra Soltani, chef de file du
Mouvement de la société pour la paix
(MSP), principale formation de
l'»Alliance Algérie verte»» (5)
Que sera
2014?
Pour le politologue Rachid Grim qui
pense que l'élection de 2014 est
ouverte: «Il me semble que [Bouteflika]
accorde une très haute importance à
l'Assemblée qui résultera de ces
élections. Il veut que ce soit une
Assemblée qui fasse évoluer la
Constitution, mais comme il le veut. Et
cela, dans l'optique de préparer sa
succession.» «Je ne pense pas que le
Président se représentera pour un
quatrième mandat. Seulement, il veut
sortir en beauté et il fera en sorte
qu'on ne touche pas à son clan»,
poursuit l'universitaire. (...) Certains
envisagent une recomposition de
l'échiquier politique à l'Assemblée
nationale. Elle pourrait bien passer par
un émiettement des voix, qui
favoriserait les petits partis, et
affaiblirait par là même celui qui
domine la scène politique depuis des
décennies, à savoir le FLN (Front de
libération nationale). (6)
Pour Tayeb Belghiche rédacteur en chef
d’El Watan, le Président avait, par le
passé, parlé de passage de témoin sans
suite. «Le discours prononcé par le
Président Bouteflika mardi à Sétif, dans
lequel il a appelé la génération de
Novembre à remettre le flambeau aux
nouvelles générations pour la gestion du
pays, aurait pu faire date si la même
profession de foi n'avait pas été déjà
faite par le passé, sur le même ton et
le même mode, qui confinait chaque fois
à penser que la décision allait être
exécutée séance tenante. (...) Parce que
la décision est éminemment politique
compte tenu des enjeux que renferme
cette épineuse question identitaire du
pouvoir, lequel a toujours tiré depuis
l'Indépendance sa légitimité de la
Révolution, il serait naïf de croire que
l'appel de Bouteflika, fût-il sincère
cette fois-ci, serait accueilli par «la
famille révolutionnaire» avec
enthousiasme et une égale fièvre
militante que par le passé». (7)
Nous ne devons pas nous couper de nos
invariants. A ce titre, la Glorieuse
Révolution de Novembre devrait être pour
nous un repère au quotidien que nous
devons nous réapproprier maintenant
qu'elle est disponible et que ceux qui
l'ont séquestrée ne peuvent plus
entretenir la flamme. Pour nous, le
parti FLN historique ne doit pas
disparaître, il doit être délivré de
ceux qui l'instrumentalisent au nom
d'une légitimité qui ne leur appartient
plus. Si le Président ne règle pas le
problème de sa succession, ce sera le
chaos, les députés ne serviront à rien
et ils risquent de ne pas terminer leur
mandat. La nouvelle Constitution ne
rentrera vraisemblablement en vigueur
qu'en 2014.
Il est vrai que le manque de maturité
politique de la jeunesse qui verse dans
le nihilisme est un facteur d'inquiétude
d'autant que la «famille
révolutionnaire» va tout faire pour
freiner des quatre fers. Pourtant à
l'ère du Web 2.0, de Facebook, de
Twitter, à l'ère de la conquête de Mars,
du drone prédator qui permet d'éliminer
des populations par le simple maniement
d'un joysticks à 10.000 km de là à
partir d'une salle climatisée, les
rodomontades du personnel politique
actuel et les vieilles recettes, voire
les morales à l'ancienne n'ont aucune
prise sur les jeunes. On dit que les
Jeunes sont manoeuvrables du fait de
leur immaturité politique et les partis
politiques ne s'en privent pas; mais ce
sont des grenades dégoupillées, si on ne
les tient pas en main, elles vous
explosent à la figure. Personne ne
connaît les dynamiques profondes des
jeunes du fait qu'il n'existe pas
d'enquêtes dignes de ce nom. On
continue, 50 ans après l'Indépendance, à
privilégier les méthodes qui ont fait
tant de mal au pays! Celle du népotisme,
de l'accabya- hmarna khir amn oudhoum»,
«Notre âne est mieux que leur cheval».Si
on y ajoute la manipulation du sacré
-les partis islamistes ne s'en privent
pas, notamment à l'intérieur du pays, où
on promet l'enfer si on vote pour les
partis mécréants- nous avons tous les
ingrédients d'une anomie qui renvoie aux
calendes grecques la remise sur rail du
pays.
Qu'on se le dise! C'est la rente qui
nous donne cette fausse assurance
d'invulnérabilité! Le pouvoir actuel
gagne du temps mais donne par la
distribution de la rente, de mauvaises
certitudes, à savoir qu'il ne faut pas
travailler, qu'il faut gaspiller,
puisque on importe pour 10 milliards de
$ de nourriture, 4 milliards de $ de
voitures et 2 milliards de $ de
bavardages via les portables. Ce n'est
pas cela le développement!
Qui peut alors sauver l'Algérie -
pendant qu'il est encore temps - et lui
permettre encore une fois d'aller vers
une transition apaisée? Les 57,1%
d'abstentionnistes délivrent un message.
Pour eux, les législatives ne sont pas
la solution à la crise que traverse
l'Algérie depuis de nombreuses années.
La légitimité discutable de la future
Assemblée, qui sera appelée à rédiger la
nouvelle Constitution du pays, devrait
inciter le Président de la République à
opter pour le référendum comme mode
d'adoption de la future Constitution
afin de permettre à tous les Algériens
de s'exprimer. Avant toute chose, la
Constitution doit, une bonne fois pour
toutes, indiquer ce que nous sommes. A
savoir des Amazighs - qui ont émergé à
l'histoire il y a de cela trois mille
ans - qui ne sont ni proches, ni
moyens-orientaux, ni Gaulois à tête
ronde, mais simplement des Algériens qui
revendiquent la civilisation et la
langue arabe - bien dans leur peau avec
leurs forces et leurs faiblesses,
baignant dans un continuum religieux de
l'Islam fait de tolérance et d'empathie
vivant leur spiritualité sans en faire
un fonds de commerce tant il est vrai
que c'est aussi l'un des invariants de
notre personnalité.
Ceci étant accepté, il nous paraît de la
plus haute importance d'aller rapidement
vers une Assemblée constituante. Point
n'est besoin de la charger, il suffit de
prendre exemple sur les autres
Constitutions de par le monde. Nous
devons inscrire dans le marbre les
conditions suivantes: la liberté, la
démocratie pleine et entière,
l'indépendance de la justice,
l'équilibre des pouvoirs, l'alternance
après au maximum deux mandats de
président et à tous les échelons, et
enfin la nécessité, quel que soit le
responsable, de rendre compte au besoin
au pénal de sa gestion des deniers
publics et de son activité.
En définitive, le Président a justement
un autre chantier; celui de préparer
cette alternance sereine, qui remettra
enfin ce peuple au travail après le
mirage soporifique de la rente. Le
changement se prépare ici et maintenant.
Notre sursis à la fois en termes
d'aisance financière et politique doit
nous inciter sans délai à aller à marche
forcée vers le futur. La citation de
James Freeman Clarke est plus que jamais
d'actualité.
1. Armin Arefi Algérie: A quoi riment
les législatives? Le Point.fr 10/05/2012
2.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/05/10/participer-ou-boycotter-le-dilemme-des-elections-algeriennes_1699234_3212.html
3. Mourad Slimani. Le printemps des
islamistes arrive El-Watan 15.03.2012
4. Sandra Moro: Les élections
législatives en Algérie, Le Temps.ch mai
2012
5. Béatrice Khadige AFP 10 mai 2012
Législatives en Algérie: participation
en hausse par rapport à 2007
6.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/
2012/05/10/participer-ou-boycotter-le-dilemme-des-elections-algeriennes_1699234_3212.html
7. Tayeb Beghiche El Watan 10. 05. 2012
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 13 mai
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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