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POUR EN FINIR AVEC CES COMBATS
D’ARRIÈRE-GARDE CONTRE L’ISLAM
La diversion par la burqa
Pr Chems Eddine Chitour
Photo L'Expression
Lundi 3 mai 2010
«La véritable mosquée est celle qui est construite au fond de
l’âme.» On se souvient que le débat sur le
voile avait, il y a une quinzaine d’années, secoué la classe
politique française et le ministre de l’Education de l’époque
François Bayrou avait même pris un arrêté interdisant le port du
voile à l’école. Bien plus tard, sous le premier septennat de
Chirac, une commission présidée par Bernard Stasi devait faire
des propositions quant à la place du voile dans la République.
Résultat des courses: une loi interdisant à l’école les signes
extérieurs. Dans ce même Rapport Stasi, il a été proposé la
reconnaissance pour les religions d’un jour férié: l’Aïd el
Kebir et le Yom Kippour. Ces propositions passèrent à la trappe.
2009. Le président Sarkozy pointe du doigt la burqa vue comme un
signe de domination de l’homme, d’humiliation de la femme. Bref
écrit comme rapporté dans l’éditorial du Monde du 27 avril: On
l’a déjà souligné, ici même, à plusieurs reprises: le débat sur
le port du voile intégral - burqa ou niqab - par des femmes
musulmanes est un piège. Un piège ouvert par le président de la
République lui-même, le 20 juin 2009. Ce jour-là, devant le
Parlement réuni en Congrès à Versailles, Nicolas Sarkozy
déclarait: «La burqa ne sera pas la bienvenue sur le
territoire de la République»; ce n’est «pas un problème
religieux», mais «de liberté et de dignité de la femme».(1)
En sus du dossier burqa, une autre affaire est venue accélérer
le processus. L’affaire débute, vendredi 23 avril, quand une
jeune femme de 31 ans, résidant à Rezé, près de Nantes
(Loire-Atlantique), a organisé une conférence de presse pour
contester une contravention de 22 euros, ayant sanctionné, le 2
avril, une conduite automobile, «dans des conditions non
aisées», en raison du port d’un voile intégral. Le soir, le
ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, alerté par la
préfecture, adresse un courrier à Eric Besson, ministre de
l’Immigration et de l’Intégration, lui demandant d’examiner les
conditions dans lesquelles le conjoint de cette femme, Liès
Hebbadj, présent lors de la conférence de presse, pourrait être
déchu de sa nationalité française, en raison, notamment, de
soupçons de polygamie. Une pratique interdite en France. Le
ministre de l’Intérieur reproche plusieurs choses à M.Hebbadj,
âgé de 35 ans: d’appartenir à une «mouvance radicale» de
l’Islam, le tabligh, de «vivre en situation de polygamie avec
quatre femmes dont il aurait eu douze enfants». Chacune de
ces femmes, en outre, «énéficierait de l’allocation parent
isolé», ce qui constituerait une fraude. Les conditions pour
«déchoir» une personne de sa nationalité sont très
strictes et régies par l’article 25 du Code civil. En
l’occurrence, seul un crime ou un délit tel que l’atteinte aux
intérêts fondamentaux de la Nation ou le terrorisme peuvent le
permettre.(2)
Le cynisme
politique
Pour l’histoire et durant ce même juin 2009,
le président Obama s’était interdit de «dicter aux citoyennes
comment se vêtir». Au lendemain de la déroute de son camp
aux régionales, poursuit le Monde, le chef de l’Etat évoquait, à
nouveau, une «loi d’interdiction conforme aux principes
généraux de notre droit». Hélas! pour les partisans de
l’interdiction générale, le Conseil d’Etat, consulté, a estimé
que celle-ci «ne pourrait trouver aucun fondement juridique
incontestable». Le Premier ministre, François Fillon, a même
prononcé, à cette occasion, une phrase proprement stupéfiante: «On
est prêt à prendre des risques juridiques parce que nous pensons
que l’enjeu en vaut la chandelle»! Parallèlement, le
vendredi 23 juin, une femme portant burqa se voit verbalisée car
recouverte d’un niqab, une tenue malaisée, selon le Code de la
route. Le 23 avril, Brice Hortefeux demande à son collègue de
l’Immigration, Eric Besson, d’étudier une éventuelle déchéance
de la nationalité française du conjoint de cette femme. Motif?
L’homme serait polygame et, via ses quatre ´´épouses´´ qui
touchent l’allocation de parent isolé, fraudeur aux aides
sociales. Comme dirait le Premier ministre, «on est prêts à
prendre des risques». Y compris celui de voir le piège de
cette polémique se refermer sur ses initiateurs. Y compris celui
de démontrer au grand jour, et sans précaution aucune, que
l’application future de la loi annoncée sera l’occasion
inévitable de dérapages incontrôlables. Y compris, quoi qu’en
disent en choeur le chef de l’Etat et ses ministres, celui de
stigmatiser la communauté musulmane dont la grande majorité
recommande de régler le problème par la pédagogie et la
persuasion. Y compris, enfin, celui de réveiller le jusqu’-au-boutisme
d’une infime minorité de musulmans ou de l’extrême droite. La
burqa est un piège. Un piège stupide. Un piège indigne. Si l’on
était aussi irréfléchi que M.Hortefeux, on demanderait
volontiers sa ´´déchéance ministérielle´´.(1)
Parlant de l’arrogance de Liès Hebbadj, Marie Lemmonier écrit:
Ce lundi, keffieh sur la tête, Lies Hebbadj, le compagnon de la
conductrice verbalisée pour niqab au volant, accusé de polygamie
et de fraude aux allocations familiales par Brice Hortefeux,
fanfaronnait devant les caméras. «A ce que je sache, les
maîtresses ne sont pas interdites en France, ni par l’Islam.»
S’il fallait déchoir de leur identité française tous les hommes
qui ont des maîtresses, cela ferait «beaucoup de Français»,
ironisait-il. (...) Nicolas Sarkozy a tranché pour
l’interdiction du niqab dans tout l’espace public, malgré l’avis
défavorable du Conseil d’Etat. Cette prise de position radicale
et risquée marque un tournant. Un moment qui n’est pas sans
rappeler celui du «mouton dans la baignoire» de la
campagne présidentielle de 2007. Retour en banlieue, mise en
avant des questions sécuritaires et controverses islamiques, le
cocktail est resservi à l’identique par un président au plus bas
dans les sondages. Surfer sur les peurs des Français (à 70%
favorables à l’interdiction du niqab), reconquérir l’électorat
d’extrême droite, reprendre la vedette à Jean-François Copé,
hyperactif sur la burqa, voilà qui aurait convaincu Sarkozy de
surenchérir. Seulement «cette focalisation obsessionnelle
crée un climat xénophobe qui ne peut qu’encourager les extrêmes
à passer à l’acte», s’inquiète le chercheur Vincent Geisser.
L’analyse a trouvé son illustration tragique ce samedi avec le
mitraillage de la mosquée d’Istres, criblée d’une trentaine
d’impacts, et celui d’une boucherie halal de Marseille, passée à
la kalachnikov.(3)
Pour Jacques Julliard, il y a des musulmans modérés qu’il faut
conforter, il s’inscrit en faux contre la maladresse de la forme
mais est d’accord sur le fond. Ecoutons-le: «Prendre prétexte
de la contravention reçue par une femme portant le niqab au
volant pour engager des poursuites contre son mari, c’est de
l’amalgame. Le soupçonner publiquement de polygamie et de fraude
aux allocations familiales avant d’en avoir réuni les preuves,
c’est de l’abus de pouvoir. Fixer la peine encourue, quand on
est ministre de l’Intérieur et non de la Justice, c’est de la
confusion des rôles. Enfin, déclencher une mêlée aussi confuse à
la veille du débat sur le voile intégral, c’est du sabotage. On
voudrait pousser l’ensemble des musulmans de ce pays dans les
bras de leur frange islamiste qu’on ne s’y prendrait pas
autrement. A quoi riment ces accusations gigognes, sinon à
suggérer que la communauté musulmane toute entière est une
communauté délinquante et qu’il suffit de tirer un fil pour que
l’écheveau vienne tout entier? Cette politique est absurde; elle
est criminelle. Car la grande majorité des musulmans et plus
encore des musulmanes de ce pays est monogame; elle est hostile
au niqab; il en va de même chez les intellectuels musulmans,
qui, comme le rappelle souvent Jean Daniel, nous conjurent de
rester fidèles à nos lois et à nos coutumes, et qui s’étonnent
de la trouble indulgence de beaucoup d’intellectuels d’origine
européenne à l’égard du communautarisme islamiste. Il faut bien
comprendre la situation vécue par la grande majorité de nos
compatriotes musulmans. Ils veulent s’intégrer à la communauté
nationale et beaucoup le sont déjà; mais ils sont soumis, de la
part des intégristes, au chantage permanent à la solidarité
d’origine, religieuse et même ethnique. Nous devons en faire nos
alliés, non des adversaires potentiels. (...) le progrès de la
civilisation a toujours impliqué certaines contraintes, un code
civil, qui n’a jamais empêché l’épanouissement de l’individu,
bien au contraire».(4)
Un bémol cependant dans cette belle unanimité antiburqa:
l’aspect «finances».
«Incommensurable, le cynisme politique venu d’en haut n’en
finit plus de faire tache d’huile en bas, disloquant en
profondeur l’unité sociale, le précieux Graal dont la France se
réclame à cor et à cri, et qu’elle désagrège dans une
condescendance qui agit comme le pire produit corrosif.
Dévastateur racisme anti-musulman, ensemencé par les laboureurs
en ordre de marche d’une oligarchie pour qui 2012 vaut bien tous
les sillons les plus tortueux et inflammables, détruisant la
belle harmonie vallonnée de la douce France, pour dessiner un
Hexagone aux contours dangereusement escarpés. Diabolisé, le
voile intégral est traqué dans une chasse aux sorcières
pathologique, où l’hallali résonne d’un projet de loi non
viable, que seules des considérations prosaïquement financières
pourraient adoucir...»(5)
Quelle valeur pour
l’être humain?
«Que prévoient en effet les experts en
communication, version coup de matraque, que sont les Sarkozy,
Besson, Hortefeux, Copé et consorts pour la clientèle haut de
gamme, et surtout pleine aux as, en provenance du Qatar, des
Emirats et de l’Arabie Saoudite, qui ne chemine que vers une
seule et unique voie royale: le Faubourg Saint-Honoré? Quelle
formule magique serviront-ils à ces touristes providentiels à
bichonner, habitués des palaces parisiens à 5000 euros au
minimum la semaine, dont près de 21% profitent de leur escale
d’affaires. Au fur et à mesure que le projet de loi antivoile
intégral persévère, les réactions en chaîne du monde arabe se
font jour, et la menace du boycott pourrait planer telle une
épée de Damoclès sur les arrondissements de luxe de la capitale.
Le cynisme politique ambiant n’a qu’un seul ennemi de taille: le
cynisme des affaires, pour lequel la dignité de la femme et
l’argument sécuritaire sont à géométrie très variable, une seule
règle d’or faisant foi: l’arithmétique!»(5)
Que faut-il en conclure? La montée des problèmes dans les
banlieues, dans l’école ou les transports, amalgamée à
l’actualité en matière de voile intégral et de fraudes
éventuelles font que plus de deux tiers de Français souhaitent
une loi pour interdire ce qui apparaît comme un anachronisme.
Mettons-nous à leur place...Ce vêtement est peut-être un nouveau
test pour sonder les capacités de résistance de la démocratie
française, dont les moindres failles sont exploitées. Certes, il
existe une peur de l’Etranger parmi la population ‘‘de souche’’,
mais cette peur est savamment exploitée dans les médias et par
certains «intellectuels» et des politiques. La solution
la plus souhaitable est donc que la communauté musulmane
elle-même agisse pour convaincre musulmanes et musulmans que tel
comportement heurte la société occidentale et en fin de compte,
nuit à l’Islam. Enfin, si le niqab n’est pas une question
religieuse mais culturelle, n’est-il pas raisonnable et sage
d’adopter la culture du pays où l’on vit?´´ Dans ce cas, il faut
condamner les pratiques vestimentaires qui amènent à vivre hors
de la société du pays d’accueil. Dans le cas contraire, il n’y a
pas de meilleur moyen que la provocation vestimentaire pour
braquer les Français non-musulmans. Car ceux-ci devinent
facilement la réaction des non-démocraties musulmanes face au
problème inverse.
Le monde actuel, écrit Thomas Abdallah Milcent, est caractérisé
par la tyrannie financière du libéralisme sauvage. La seule loi
réelle est la recherche de profit, ce qui se traduit au plan
financier par la volatilité des marchés, au plan industriel par
un permanent accroissement de la productivité. Les êtres humains
ne sont vus qu’à travers leur capacité de générer du profit, à
travers leur pouvoir d’achat ou à travers leur capacité à
menacer le système en se révoltant. Dans ce monde où seul le
profit règne en maître, l’être humain n’a plus de valeur en tant
que tel, il n’est plus jugé qu’en fonction de ce qu’il consomme.
La manière simpliste dont on nous présente est soit des
musulmans ´´modernes´´, ayant abandonné la pratique de leur
religion et qui sont ´´intégrables´´, soit des intégristes
refusant tout dialogue avec la modernité et appliquant des
règles incompatibles avec la civilisation occidentale et dont
l’exemple caractéristique est représenté par les taliban
afghans. La réalité est que l’Occident a besoin d’ennemis qu’il
diabolise et qu’il caricature. Les taliban, par leur ignorance
de l’humanisme de l’Islam, rendent ce grand service aux
dirigeants occidentaux. L’Islam met l’être humain au centre de
la société. Il existe une sourate à ce sujet: la Sourate 80: «Il
s’est renfrogné». Le Prophète discutait avec les notables
Qoraïchites non-musulmans. Un vieil aveugle musulman vient tirer
le vêtement du Prophète pour attirer son attention et lui poser
une question. A plusieurs reprises, le Prophète ne lui répondit
pas. C’est alors que fut révélée la Sourate N° 80. Ainsi, un
vieil aveugle, pauvre et socialement inutile vaut plus aux yeux
d’Allah et donc au regard des musulmans que les plus puissants
des seigneurs de La Mecque de l’époque.(6)
Pour imposer le béret qui représentait la laïcité contre la
religion au début du XXe siècle, le pouvoir colonial s’était
fait aider par Mohamed Abdou. Il leur fit une fewa sur
mesure...C’est dire si le pouvoir est coutumier de
l’instrumentalisation du sacré. Plus sérieusement, l’Islam du
coeur n’a rien à voir avec le paraître. On ne peut pas convoquer
l’Islam pour l’agrémenter au goût du jour pour assouvir des
passions en profitant de la générosité de la République. L’Islam
quoi qu’on dise n’est pas chez lui, ces actions qui sont
répréhensibles même en terre d’Islam ne doivent pas servir de
prétexte pour diaboliser les Français musulmans qui connaissent
leur limite. Mettre sur le même plan la pratique d’une sourate,
n’a rien à voir avec les petits calculs bassement matériels de
frauder à la Caisse de sécurité sociale si ce fait devrait
s’avérer exact. Il n’a rien à voir non plus avec la
diabolisation politicienne. Au risque de friser l’ingérence, il
semble que la République donne l’impression de caresser dans le
sens du poil ceux qui ont une capacité de nuisance comme les
institutions musulmanes autoproclamées représentatives de
l’Islam de France et donner la parole aux intellectuels «organiques»
au sens de Jules Benda, qui en rajoutent pour se faire bien voir
du pouvoir et des...téléspectateurs. Ces exégèses intronisées
par le pouvoir prônent un Islam sans aspérité devenu mondain et
donc loin du sens et des valeurs de cette religion. L’affaire du
voile est symptomatique d’un malaise qui est celui de la
visibilité de l’Islam.
L’instrumentalisation des extrêmes si elle sert un temps, est à
la longue, contre-productive.
1.Editorial: Déchéance politique. Le Monde 26.04.10
2.Pierre Jaxel-Truer et Elise Vincent: Voile intégral,
polygamie. Le Monde 26.04.10
3.Marie Lemonnier http://hebdo.
nouvelobs.com/097973/le-ministre-et-l-islamiste.html
4.Jacques Julliard http://hebdo.nouvelobs. com/097994/avec-les-musulmans-contre-le-niqab.html
5.Voile intégral: quand le cynisme politique. Site Oumma.com 27
avril 2010
6.Abdallah Thomas Milcent. L’islam et la mondialisation: Site
Oumma.com 16 octobre 2000
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 3 mai 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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