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Massacres de Gaza
Gazernica, mon amour
Brahim Senouci
Photo L'Humanité
Dimanche 18 janvier 2009
Sans le célèbre tableau de Picasso, qui se souviendrait encore
de Guernica, de l’incendie qui la dévora et du millier de morts
qui en parsemèrent les rues en avril 1937 ?
L’œuvre du peintre l’a sertie pour l’éternité dans la mémoire de
l’humanité. D’autres massacres ont eu moins de « chance ».
Aucune plume, aucun pinceau n’ont pu rendre palpable le martyre
des enfumés d’Algérie, des mitraillés de Madagascar, des forçats
du train Congo Océan, des damnés quittant l’île de Gorée dans le
cliquetis de leurs chaînes.
Le massacre de Gaza tombera-t-il à son tour dans l’oubli ?
S’estompera-t-il, le visage de ces enfants aux bouches hurlantes
d’effroi devant un déluge de feu qu’ils ne comprennent pas ?
S’éteindra-t-il, le souvenir de ces femmes fouillant à mains
nues les gravats à la recherche de leurs proches ? Sera-t-il
revêtu du manteau de l’oubli, le spectacle des rues jonchées de
cadavres désarticulés entre lesquels serpente une vieillarde aux
joues sanglantes ?
- J’ai tout vu à Gaza, gémit l’enfant au regard vide.
- Non. Tu n’as rien vu à Gaza, lui répond le chœur
médiatique, le chœur politique, le chœur artistique, le chœur
sec.
- Est-ce cela, la guerre ? Le feu descendant du ciel, le feu
venant de la mer, les mères, les pères et les enfants terrés
dans des abris de fortune ? Si je suis sans défense, est-ce
encore la guerre ? , demande l’enfant.
- Oui, répond le chœur, vaguement agacé. Cela s’appelle la
guerre, le conflit. Tu apprendras que celui qui est plus armé
que toi est aussi plus moral. Tu apprendras à courber l’échine
en silence devant lui, à implorer son pardon pour les offenses
qu’il t’aura faites. Tu apprendras à mourir sans faire de bruit
pour ne pas troubler sa sérénité. Sache que s’il te tue, c’est
pour ton bien.
- Mais pourquoi ?
- Pour qu’à l’avenir, tu ne t’avises plus d’utiliser ton
bulletin d’électeur pour en faire mauvais usage. A Guernica, le
nom de code de l’opération était Rügen (réprimander, en
allemand). Il fallait punir les Espagnols pour avoir voté pour
le Front Populaire.
- Mais qui êtes-vous ?
- Nous sommes la communauté internationale, riche, blanche et
morale.
- Et moi, n’y suis-je pas ?
- Tu n’y penses pas, petit misérable, petit loqueteux ! Tu
insultes le paysage en y insinuant ton corps malingre et ton
visage tourmenté. Cela fait des siècles que nous te massacrons
et que nous te civilisons sans parvenir à en finir avec ton
engeance !
- Que dois-je faire ?
- Des concessions ! Concède tous les jours, tant qu’il te
restera quelque chose à offrir en échange de rien, un bout de
terre, un lambeau d’orgueil, le vague souvenir d’une splendeur
enfuie, tes rêves, tes désirs. C’est ainsi que tu arriveras à
nous complaire. Notre regard bienveillant sera ta récompense. Tu
accéderas au perron de nos demeures quand tu feras tienne la
haine que nous inspirent tes semblables.
L’enfant se tut. La nuit tomba sur Gaza. Le ciel se remit à
déverser ses flammes. Indifférent, il songea que, bientôt, il
n’aurait plus rien à concéder puisqu’il ne lui resterait rien.
Enfin, presque rien. Il lui resterait à offrir, en guise de
bouquet final, le feu d’artifice de son propre corps, le tableau
éphémère d’une myriade d’étoiles ensanglantées.
Brahim SENOUCI
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