Zbigniew Brzezinski lance une bombe politique
Un ancien conseiller américain à la sécurité déclare que Bush
cherche un prétexte pour attaquer l’Iran
Barry Grey
Washington, le 5 février 2007
Témoignant devant la commission sénatoriale
sur les relations avec l’étranger jeudi passé, Zbigniew
Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale dans le
gouvernement du président Jimmy Carter, a émis une
critique acerbe de la guerre en Irak et averti que la politique de
l’administration Bush menait inexorablement à la guerre avec
l’Iran, avec des conséquences incalculables pour l’impérialisme
américain au Moyen-Orient et internationalement.
Brzezinski, qui s’était opposé à
l’invasion de l’Irak en mars 2003 et qui a publiquement dénoncé
la guerre comme étant une erreur monumentale de politique étrangère,
a commencé ses remarques sur ce qu’il a nommé « le choix
de la guerre » en Irak en qualifiant cette guerre de
« calamité historique, stratégique et morale ».
« Entreprise sur la base de fausses
hypothèses, » a-t-il continué, « elle mine la légitimité
des Etats-Unis partout dans le monde. Ses victimes civiles collatérales
ainsi que certains abus ternissent la réputation morale des
Etats-Unis. Menée sur la base de principes manichéens et d’un
orgueil impérial démesuré, elle intensifie l’instabilité régionale. »
Brzezinski a raillé « la lutte idéologique
décisive » contre l’islam radical des discours de Bush
comme étant « simpliste et démagogique », et l’a
qualifiée de « récit historique mythique » utilisé
pour justifier une « guerre qui dure et qui est
potentiellement en expansion ».
« Argumenter que les Etats-Unis sont déjà
en guerre dans la région contre une menace islamique plus large,
dont l’Iran est l’épicentre, consiste à faire la promotion
d’une prophétie dont on provoque la réalisation. »
Ce qui est encore plus étonnant et inquiétant
c’est sa description d’un « scénario plausible de
conflit militaire avec l’Iran. » Cela impliquerait, a-t-il
suggéré, « le fait pour l’Irak de ne pas atteindre les
objectifs fixés, suivi d’accusations sur la responsabilité de
l’Iran dans cet échec, puis enfin par une provocation en
Irak ou par un attentat terroriste aux Etats-Unis attribué à
l’Iran, culminant en une opération militaire "défensive"
des Etats-Unis contre l’Iran qui plonge une Amérique solitaire
dans un bourbier toujours plus vaste et plus profond finissant par
englober l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan. »
[italiques ajoutés]
Voilà assurément un avertissement lancé au
Congrès américain, truffé de guillemets, dans lequel l’auteur
indique qu’il doute du caractère « défensif » de
l’action militaire en préparation et que l’administration
Bush cherche plutôt un prétexte pour attaquer l’Iran. Même
s’il ne l’a pas dit explicitement, Brzezinski n’était pas
loin de suggérer que la Maison-Blanche était capable de
concocter une provocation — comme un éventuel attentat
terroriste aux États-Unis — afin de fournir le casus belli
nécessaire pour la guerre.
Qu’une personnalité comme Brzezinski, qui a
des décennies d’expérience aux plus hauts échelons de
l’establishment des Affaires étrangères des États-Unis et qui
entretient des liens des plus étroits avec l’armée et les
services de renseignement, lance une telle mise en garde lors
d’une audience publique du Sénat américain est extrêmement sérieux
et significatif.
Brzezinski sait de quoi il parle, ayant lui-même
organisé des provocations de son cru alors qu’il était
conseiller à la sécurité nationale sous Jimmy Carter. À ce
poste, comme il l’a depuis admis publiquement, il avait élaboré
un plan secret à la fin des années 1970 pour mobiliser les
moudjahiddin fondamentalistes islamiques afin qu’ils renversent
le régime prosoviétique en Afghanistan et entraînent l’Union
soviétique dans une guerre désastreuse dans ce pays.
À la suite de son introduction, et en réponse
aux questions des sénateurs, il a de nouveau évoqué le risque
d’une provocation.
Il a attiré l’attention des sénateurs sur
un reportage du New York Times, paru le 27 mars 2006,
concernant « une rencontre privée entre le président et le
premier ministre Tony Blair, deux mois avant la guerre, et qui se
basait sur un mémorandum rédigé par le représentant
britannique présent à cette rencontre ». Dans l’article,
a affirmé Brzezinski, « on cite le président qui déclare
être inquiet du fait qu’il risque de ne pas y avoir d’armes
de destruction massive à trouver en Irak, et qu’il est nécessaire
de réfléchir pour trouver d’autres prémisses pour
entreprendre cette action. »
Brzezinski continue : « Je vais
juste vous lire ce qu’apparemment ce mémo disait, selon le New
York Times : “Le mémo affirme que le président et le
premier ministre avaient reconnu qu’aucune arme non
conventionnelle n’avait été trouvée en Irak. Confronté à la
possibilité de ne pas en trouver avant l’invasion prévue, M.
Bush avait parlé de plusieurs moyens de provoquer une
confrontation. »
« Il a décrit les différents moyens de
le faire. Je ne vais pas entrer dans le détail... Les moyens étaient
plutôt extraordinaires, du moins l’un d’entre eux.
« Si l’on considère que l’on a
affaire à un ennemi implacable qu’il faut écarter, cette ligne
de conduite, peut dans certaines circonstances, être tentante. Je
crains que si la situation en Irak continue à se détériorer et
que si l’Iran est perçu d’une manière ou d’une autre comme
étant impliqué voire responsable, ou bénéficiaire potentiel de
cette situation, cette tentation pourrait se présenter. »
A un autre moment, Brzezinski a fait une
remarque sur les méthodes de conspirateur de l’administration
Bush qu’il a presque décrit comme une cabale. « Je suis
perplexe, a-t-il dit, de voir que des décisions stratégiques
majeures semblent être prises par un cercle très restreint de
personnes — quelques-unes seulement, une poignée probablement,
peut-être pas plus nombreux que les doigts de ma main. Et ce sont
ces mêmes personnes, à une exception près, qui ont pris la décision
initiale d’entrer en guerre et ont utilisé les justifications
initiales pour entrer en guerre. »
Aucun des sénateurs présents n’a tenu
compte de l’avertissement absolument clair de Brzezinski. Les démocrates
en particulier, mous, complaisants et complices des conspirations
de guerre de l’administration Bush n’ont rien dit sur le
danger, clairement mentionné par le témoin, d’une provocation.
Suite à l’audience, le reporter du WSWS a
demandé à Brzezinski directement s’il suggérait que cette éventuelle
provocation pouvait émaner du gouvernement américain lui-même.
L’ancien conseiller national à la sécurité est resté évasif.
L’échange suivant a eu lieu :
Q : Dr Brzezinski, à votre avis, qui
conduirait cette éventuelle provocation ?
R : Je n’en sais rien. Comme je l’ai
dit, on ne peut jamais prédire ces choses. Cela peut être
spontané.
Q : Suggérez-vous qu’il y ait une
possibilité qu’elle émane du gouvernement américain lui-même ?
R : Ce que je dis c’est que toute cette
situation peut échapper à tout contrôle et toutes sortes de
calculs peuvent créer une situation dont il serait très
difficile de remonter aux origines.
(Article original paru le 2 février
2007)
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