Avigail Abarbanel
Dimanche 14 mars 2010
http://kanan48.wordpress.com/2010/03/14/christianity%e2%80%99s-new-racism-by-avigail-abarbanel/
Au fil des ans, j’ai reçu moult messages de
chrétiens fondamentalistes pro-sionistes et j’ai toujours trouvé
leurs idées abracadabrantesques. Cet article me permettra de
mettre en ordre mes idées et mes sentiments, tout en leur
répondant. Récemment, j’ai écrit un
article dans lequel je comparais Gaza au ghetto de Varsovie.
Parmi les réponses que cet article a suscitées, il y avait, bien
sûr, la collection habituelle des messages chrétiens
fondamentalistes. Je ne commenterai pas leur croyance
littéraliste au Livre des Révélations, ni leurs idées sur
l’Armageddon et la fin des temps, qui nous pendraient au nez. Je
laisse cela aux sociologues et aux psychologues sociaux, qui
étudient les sectes religieuses et leur fascination par les
scénarios apocalyptiques de fin du monde…
Mais je suis réellement dérangée par ces
messages parce que plus que tout autre chose, ils montrent à
quel point ces factions croissantes du monde fondamentaliste
chrétien ont fait peu de progrès, depuis le Moyen Age. Je suis
née dans une famille juive. Je suis née en Israël, où j’ai passé
les vingt-sept premières années de ma vie. Je n’ai jamais
souffert personnellement de l’antisémitisme, mais l’on m’en a
parlé, et l’on m’a enseigné à quoi il avait pu aboutir, à savoir
la tentative délibérée et systématique d’anéantir tous les
juifs, partout. Depuis le Moyen Age, les juifs européens ont
souffert toutes sortes de maux, allant de la discrimination et
la ségrégation à l’expulsion, en passant par les pogromes. Et
cette haine systématique a atteint un sommet historique, durant
la Seconde guerre mondiale. Mes grands-parents maternels avaient
survécu à la Shoah, et en dépit de tous leurs efforts pour
reconstruire leur vie, après la guerre, je ne pense pas qu’ils
ne se soient jamais remis véritablement des horreurs qu’ils
avaient traversées.
La haine et la peur qu’avaient les
Européens des juifs, une haine débattue, prêchée, étudiée,
compilée et promue durant des générations, atteignit finalement
un crescendo durant les années 1930 et 1940. Vous ne pouvez pas
bâtir un bûcher et l’attiser ainsi sans qu’il ne finisse par
tout consumer. Après avoir été nourris d’un tel régime
d’antisémitisme depuis si longtemps, les nazis en conclurent que
le monde irait bien mieux sans juifs. Ils étaient persuadés que
les juifs étaient à ce point misérables, tellement inférieurs,
tellement différents d’eux qu’ils se sont chargés de
« nettoyer » le monde des juifs, de les exterminer de la manière
dont on le fait d’une vermine. Ils étaient persuadés que le
monde serait plus en paix et plus sûr sans juifs. Je sais que
l’idéologie nazie rejetait le christianisme, mais
l’antisémitisme était une création chrétienne, et c’étaient des
siècles d’antisémitisme chrétiens qui avaient conduit, en fin de
compte, à ce résultat hideux.
Aujourd’hui, je reçois des messages de
personnes qui se considèrent chrétiennes, et qui me disent que
lorsque je critique Israël, je ne sais pas ce dont je parle. Ils
affirment que les musulmans et les Arabes sont tous des gens
vraiment mauvais et que j’aurais bien mieux à faire que
critiquer la manière dont Israël maltraite les Palestiniens. Ils
disent qu’Israël est tout bon, tout noble, tout démocratique et
même sacré, comparé aux méchants pays musulmans et arabes qui
l’entourent. Ces généralisations sont confondantes. Des cultures
qui sont extrêmement différentes entre elles sont mises dans le
même paquet : le nouveau groupe des « mauvais » que tellement de
gens diabolisent aujourd’hui, le nouveau groupe des gens qui
n’ont pas l’heur de nous ressembler.
Cette sorte de généralisation indiscriminée
et ignorante est une des marques de fabrique du racisme
authentique. Je suis d’accord pour dire que tout pays qui ne
protège pas les droits humains de ses propres citoyens doit être
critiqué. Mais ce que l’on ne cesse de me dire, c’est qu’Israël
ne doit pas être critiqué, parce que les pays arabes sont
infiniment pires. Je réponds, à cela, au moyen d’une analogie :
« Supposons que votre enfant ait fait quelque chose de pas bien,
et qu’après que vous l’ayez houspillé, il vous rétorque que ce
qu’il a fait n’était pas si grave, après tout, parce que son
copain a fait pire : vous lui lâcheriez les baskets, sans rien
dire ? Vous laisseriez votre gamin échapper à une punition bien
méritée uniquement parce que son copain a fait pire ?
Cet argument est tellement absurde que je
pense qu’il s’agit, de fait, d’une manière de couvrir le
racisme. La question n’est pas que des pays arabes soient pires
qu’Israël. Il n’y a aucun pays innocent, dans le monde, et si
nous voulions réellement critiquer les pays violant les droits
de l’homme, la liste serait passablement longue. Il faudrait y
inclure les pays occidentaux qui violent de manière routinière
les droits humains de gens et de groupes, y compris au-delà de
leurs frontières.
Mais ce que ces gens qui m’écrivent veulent
vraiment dire, de fait, c’est que les pays musulmans et les pays
musulmans et arabes sont, d’une certaine manière, moins
civilisés que les peuples et que les sociétés de l’Occident. Ils
me disent que je devrais me tenir épaule conter épaule avec eux
et soutenir leur haine des musulmans, des Palestiniens et des
Arabes, de manière générale. Souvent, ils m’accusent de mentir,
au sujet de mes origines juives. Certains de ceux qui m’écrivent
ne peuvent concevoir l’idée que je puisse être née dans une
famille juive et soutenir les Palestiniens. Ils me traitent même
de Palestinienne (pour eux, c’est une injure…) Soit ils pensent
sérieusement que je devrais en être offensée, soit ils pensent
que je suis Palestinienne, en réalité, et que je ne fais que
prétendre être qui je suis.
J’imagine que ces étranges fanatiques
religieux pensent qu’Israël rend un service insigne au monde en
le débarrassant de gens appartenant au groupe qu’il est
aujourd’hui tellement à la mode et de plus en plus légitime de
haïr. Cela ne vous rappelle rien ? Je trouve incroyable que les
mêmes personnes qui, il n’y a pas si longtemps, prêchaient une
telle haine venimeuse des juifs, tournent aujourd’hui cette même
haine, ce même venin, contre d’autres personnes et peu importe,
à mes yeux, de qui il peut bien s’agir. Ces fondamentalistes
religieux sont en train de promouvoir la haine d’un groupe de
personnes dont ils sont persuadés qu’elles sont moins humaines,
ou moins précieuses, moins civilisées qu’eux-mêmes.
N’ont-ils rien retenu de ce à quoi la haine
et le racisme contre un groupe humain peuvent conduire ? Un
christianisme capable de penser comme eux ne diffèrent en rien
du christianisme qui, il n’y a pas si longtemps, accusait les
juifs d’avoir assassiné des bébés chrétiens afin d’en boire le
sang ; d’un christianisme qui torturait et brûlait les gens sur
des bûchers, qui, de manière routinière, massacrait ceux qu’il
n’aimait pas. Leur christianisme est un faux christianisme qui,
exactement comme ses faux prédécesseurs, a tout oublié du « Aime
ton prochain » C’est un christianisme sans compassion et sans
capacité à réfléchir à ses propres croyances ou à en voir les
prolongations logiques. Que veulent-ils, en réalité ?
Veulent-ils vraiment que les musulmans soient exterminés ? Si
tel est le cas, ils ont vraiment besoin de réfléchir à ce qu’ils
sont en train de promouvoir et à ce à quoi cela pourrait
conduire.
C’est une version du christianisme qui est
fondée sur la peur et sur la haine, et non pas sur l’amour et
sur l’inclusion. Ce christianisme-là n’apporte rien à la paix du
monde et à ce dont l’humanité a le plus besoin, la camaraderie,
le respect et la coopération, toutes ces qualités dont je suis
persuadée que Jésus les prônait. Le ton de certains des
courriers que je reçois me fait redouter qu’ils ne soient
frappés en retour par la haine et la peur qu’ils expriment. Ils
ont l’air d’aimer ça.
Je sais que beaucoup de juifs, en Israël,
trouvent très amusant et un peu stupéfiant que, tout soudain,
ils soient devenus la coqueluche de certaines branches du
fondamentalisme chrétien, alors qu’hier encore, ils étaient les
« déicides »… Les juifs israéliens ne comprennent pas vraiment
pourquoi ils sont ainsi soudainement aimés, mais ils comptent
les bénédictions qu’ils reçoivent, pour le moment, et ils en
profitent pour pousser un soupir de soulagement.
Voici qu’enfin, ils ont des alliés qui les
soutiennent dans leur occupation et dans leur destruction à bas
bruit du peuple palestinien. Et c’est génial, parce qu’ils
peuvent mettre en scène leur colonisation et leur occupation de
la Palestine à la lumière d’un combat entre « le bien et le
mal », entre « l’Occident civilisé » (dont ils sont persuadés
faire partie) et les « musulmans rétrogrades ». C’est ainsi
qu’ils parviennent à occulter la vraie réalité du conflit avec
les Palestiniens, qui n’a rien à voir avec un affrontement entre
le judaïsme et l’Islam, et tout à voir, en revanche, avec la
colonisation et l’épuration ethnique (j’ai une précision presque
amusante à apporter ici, qui est que l’identité juive est
tellement basée sur la peur de l’antisémitisme que lorsque des
chrétiens se mettent du jour au lendemain à aimer les juifs,
cela ne manque pas de poser problème à l’Etat juif…).
On a appelé cela anti-islamisme,
anti-arabisme, mais peu m’importe la manière dont les gens
choisiront de nommer ce phénomène. C’est exactement la même
haine que celle qui était dirigée contre les juifs. Elle a les
mêmes symptômes. C’est le racisme, fondé sur l’opposition entre
« eux » et « nous », avec sa diabolisation et son venin, et ce
racisme risque de conduire à un génocide.
Je suis très heureuse de savoir que de très
nombreux juifs, dans le monde et en Israël, sont en train de
prendre une position de plus en plus affirmée contre ce
phénomène et n’ont pas peur de critiquer Israël. Ils considèrent
qu’il est de leur devoir de s’insurger non pas en dépit, mais
bien à cause de ce que le peuple juif a subi.
Je souhaiterais simplement que toute
personne qui se considère juif (ou juive) puisse trouver en
elle-même le courage de faire ce qu’il convient de faire. Tous
les juifs doivent protester, tous ensemble, quand un nouveau
groupe de victimes est en train d’être créé sous nos yeux et
quand la haine et le racisme sont, à nouveau, prêchés et promus.
Soupirer de soulagement en disant :
« Merci, mon Dieu, cette fois-ci, ça n’est pas pour nous » set
immoral et irresponsable. Prendre le parti des fondamentalistes
chrétiens fomentateurs de haine – même si c’est « bon pour
Israël » - c’est choisir le mauvais camp.
« Plus jamais ça ! », ça ne veut pas dire « plus jamais
ça ! » pour nous, les juifs ; cela doit vouloir dire : « Plus
jamais ça ! Point barre ».
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier