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Ha'aretz
Pour les 60 prochaines années
Amos Schocken *
[Dans un an très exactement, Israël fêtera ses 60 ans.
L'occasion de se poser la question de la relation entre Juifs et
Arabes, de ce qu'est exactement le sionisme aujourd'hui, si le
moment n'est pas venu de changer de symboles et de "roman
national". Le peuple d'Israël, c'est quoi?" Le moment
est peut-être venu de se poser la question]
Ha'aretz, 19 avril 2007
http://www.haaretz.com/hasen/spages/850285.html
S'il existe un seul ministre au gouvernement d'Israël qui ne peut
pas chanter l'hymne national (1), alors, il serait peut-être
temps de repenser cet hymne.
La "Hatikvah" ("L'espoir") a été instituée
hymne du mouvement sioniste et du peuple juif par une résolution
du 18ème Congrès sioniste en 1933. Il constituait alors une
expression adéquate de l'aspiration des Juifs à être un peuple
libre sur sa terre, Sion. Avec la création de l'Etat, la Hatikvah
est devenue hymne national. Aux premières années de l'Etat,
quand son existence était encore fragile et incertaine, la
Hatikvah correspondait aux aspirations israéliennes. Aujourd'hui,
même si Sderot est encore soumise à des attaques, même si l'été
dernier il y a eu une guerre, il est clair que les aspirations des
Juifs se sont réalisées, et ce d'une manière impressionnante.
Malgré toutes les difficultés et les menaces, l'Etat d'Israël
est l'un des plus grands succès du 20ème siècle.
Que le rêve se soit réalisé, ce n'est pas une raison pour
changer d'hymne, mais la Hatikvah a un défaut évident : elle ne
s'adresse qu'aux Juifs. Ses premières paroles sont : Aussi
longtemps qu¹au fond du c¦ur, l¹âme juive vibre". Comment
un citoyen arabe peut-il s'identifier à pareil hymne?
Le fait de chanter l'hymne national est une expression de
solidarité avec les autres citoyens et avec le pays. Or, cela est
refusé aux Arabes israéliens, qui constituent un cinquième de
la population, et il est clair que les perdants sont à la fois l'Etat
et ses citoyens juifs.
L'Etat d'Israël est né en dépit du refus des Arabes, mais de
nombreuses années se sont écoulées depuis lors, et le
partenariat entre Juifs et Arabes en Israël est devenu un fait,
malgré toutes les difficultés, et même si l'égalité n'est pas
encore devenue réalité. Les citoyens arabes israéliens refusent
le plan méprisable du ministre des affaires stratégiques,
Avigdor Lieberman, qui consiste à transférer des villes et des
villages arabes israéliens sous la souveraineté du futur Etat
palestinien. Quand ils comparent les progrès réalisés depuis 60
ans par Israël, et par eux-mêmes en tant que partie prenante
d'Israël, à ce qui s'est produit ailleurs, au cours de la même
période, pour les Arabes et les Palestiniens, la comparaison est
flatteuse pour Israël.
Mais quand l'on réfléchit aux relations entre Juifs et Arabes
pour les 60 années à venir, il est clair qu'il reste beaucoup à
faire. Si, à l'occasion du 60ème anniversaire de son indépendance,
Israël adoptait un autre hymne, il aurait accompli un pas
symbolique important pour l'avenir des relations entre Juifs et
Arabes dans ce pays.
Au moment de son 60ème anniversaire, il serait souhaitable que
les citoyens arabes d'Israël ne ressentent pas d'aliénation par
rapport à cette célébration. Le moment n'est-il pas venu de
reconnaître que la création d'Israël n'est pas seulement
l'histoire du peuple juif, ou du sionisme, ou de l'héroïsme de
Tsahal, ou du deuil? C'est aussi l'histoire de l'effet du sionisme
et de l'héroïsme des soldats de Tsahal sur la vie des Arabes, la
Nakba, la catastrophe palestinienne, comme les Arabes nomment les
événements de 1948 : la perte, les familles séparées, les vies
bouleversées, les biens volés, la vie sous le gouvernement
militaire, et d'autres éléments encore de l'histoire partagée
par les Juifs et les Arabes, événements présentés le jour de
la fête de l'Indépendance ("Yom ha'Hatzma'out") de façon
entièrement unilatérale, et pas seulement ce jour-là.
L'un des numéros de mars du magazine britannique The Economist
traitait des difficultés qu'ont rencontrées différents pays qui
ont connu des versions alternatives, parfois critiques, de leur
histoire. Ce qui se passe en
Afrique du Sud, écrivait cet hebdomadaire, est un exemple positif
de création d'un nouveau "roman national", non lié à
des idéologies rigides, d'un côté ou de l'autre.
Il faut porter au crédit des colons de Hebron leur initiative de
réhabilitation de la synagogue Avraham Avinou et de création de
sites à la mémoire des Juifs de cette ville, massacrés par des
Arabes en 1929. Dans des conditions normales, l'Etat palestinien,
s'il avait été créé, aurait encouragé des projets de cette
sorte, leur aurait accordé des fonds et leur aurait donné une
place dans le discours et dans les manuels scolaires israéliens.
Nous acceptons facilement, quasiment comme une évidence, des
projets de réhabilitation de sites et de mémoriaux pour les
communautés juives qui ont été détruites en Europe.
Ce n'est pas toujours facile, parfois même très difficile, mais
néanmoins, Israël devrait se conduire de la même manière à l'égard
de l'histoire des Arabes qui vivent chez nous. Cela lui serait bénéfique
s'il marquait un bâtiment qui, par le passé, était une
institution arabe, ou une rue qui, par le passé, portait un nom
arabe (et peut-être restaurer le nom arabe pour au moins une
partie de cette rue, très certainement au moins où les Arabes
habitant aujourd'hui). Il est possible de marquer un endroit qui
était un village arabe, qu'il ait été abandonné, ou qu'un
village juif soit né à sa place. Et il est également possible
de mentionner des actes de cruauté commis par des Juifs contre
des Arabes.
Nous devons être certains de notre droit d'être ici, droit qui
ne dépend pas de l'accord des Arabes, mais qui ne dépend pas non
plus de notre ignorance de leur histoire. Ainsi, nous exprimerions
le fait que les Arabes d'Israël sont eux aussi des enfants de
cette terre, ainsi que l'égalité de leurs droits en même temps
que ceux des Juifs, concernant l'histoire de chacun des peuples.
Si la 60ème fête de l'Indépendance, dans un an, était la première
pour laquelle l'histoire des Arabes de ce pays faisait partie de
son contenu officiel, si cela était affirmé publiquement, ce
serait un pas important vers la création d'un dénominateur
commun pour les Juifs et les Arabes d'Israël. L'une des manières
de concrétiser cela pourrait être, par exemple, que le jour de
cette fête, le premier ministre d'Israël inaugure la réinstallation
des Arabes d'Ikrit et de Biram. Le sentiment de menace que représenterait
la réinstallation de ces gens en Israël n'a aucun fondement.
Rien à voir avec le droit au retour de Palestiniens qui ne sont
pas citoyens israéliens.
Si Israël se comportait envers les Arabes comme il attend
d'autres pays, où demeurent des biens juifs, qu'ils se conduisent
envers les Juifs, il devrait alors veiller à ce que le
"Gardien général des biens des absents" agisse réellement
comme le représentant des propriétaires de ces biens, et qu'il
mette en branle un processus pour rendre ces biens aux citoyens
arabes israéliens, quand cela est possible, ou pour indemniser
ces propriétaires quand cela n'est pas possible.
Le 60ème anniversaire de l''indépendance d'Israël serait une
date souhaitable et réaliste pour ce genre d'initiatives, qui
conduiraient au renforcement de la solidarité entre Juifs et
Arabes en Israël, et un gouvernement qui prendrait ces mesures y
contribuerait grandement.
*Amos Schocken est le fils du fondateur de Ha'aretz. La famille
Schocken en est toujours propriétaire.
(1) Voir : "Le ministre arabe et la Hatikvah, et plus généralement"
http://www.lapaixmaintenant.org/article1562
Traduction : Gérard
pour
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