Ha'aretz
Se
faire tuer pour une illusion
Amira
Hass
Haaretz, 31
janvier 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/819613.html
Version
anglaise : Getting killed for an illusion
www.haaretz.com/hasen/spages/819666.html
Cela
fait des années que Gaza est identifié à des fusils brandis en
l’air, à des mères exprimant leur joie que leur fils se soit
suicidé dans un attentat contre des Israéliens, aux regards
implorants de celui qui n’a rien à manger chez lui. Les Israéliens
ne sont pas les seuls à tenir ce que montre la télévision pour
la réalité toute entière, mais les Palestiniens de Cisjordanie
aussi, eux qui ne se sont plus rendus à Gaza depuis sûrement 16
ans, depuis qu’Israël interdit l’accès libre à ce
territoire pauvre et surpeuplé.
Il
faut séjourner longuement parmi les habitants de Gaza pour
pouvoir ajouter d’autres couleurs à ces images télévisées.
L’esprit facétieux et les rumeurs, la capacité d’autodérision,
la capacité d’endurance alternant avec le fatalisme, la
franchise, la générosité, la capacité d’être tout à la
fois et dans le même temps sentimental et inflexible, le bon sens
acquis en 60 ans d’exil et de destruction, la clameur et le
silence, la douleur parce qu’autrefois l’éducation était
placée au-dessus de tout. Ce ne sont là que quelques-unes des
couleurs qui rendent les habitants de Gaza si chers à celui qui
les connaît de près.
Ce
sont ces couleurs-là qui ont été effacées, ces dernières
semaines, tandis que Gaza est identifié plus que jamais avec des
luttes intestines meurtrières entre hommes armés appartenant aux
deux mouvements politiques ennemis, avec des tueries mutuelles que
tout le monde qualifie de démentes sans parvenir à les arrêter.
Au
point qu’avant-hier, après l’attentat à Eilat, des habitants
de Gaza pouvaient souhaiter que l’armée israélienne entre dans
la Bande de Gaza, qu’elle attire à elle une partie des hommes
armés et chasse les autres des rues. Les signes clairs indiquant
que l’armée israélienne n’entend pas agir ainsi leur sert de
nouvelle preuve qu’Israël est intéressé par cette guerre
interne.
Malgré
le nouveau cessez-le-feu, signé hier au petit matin, on craint à
Gaza que de nombreuses familles ne cherchent encore vengeance pour
le sang de leurs fils et passent à l’acte à un moment donné.
Cette crainte reflète une autre évidence encore : qu’il
n’y a aucune chance de voir s’installer, dans un avenir prévisible,
une direction politique, nationale, capable de mettre un frein à
de dangereuses traditions liées aux clans.
Au
Fatah, on trouve intérêt à accentuer le danger d’une guerre
fratricide afin de miner la légitimité du gouvernement Hamas.
Pourtant, certains détails alimentent l’espoir que malgré tout
la guerre entre organisations ne dégénérera pas en guerre
fratricide généralisée. Quelqu'un a raconté qu’au sein
d’une maison typique, un des frères est chauffeur d’un haut
responsable des services de sécurité du Fatah pendant qu’un
autre est chauffeur d’un ministre du Hamas. Des membres du Hamas
et du Fatah, anciens copains d’école, sont assis ensemble au crépuscule
et discutent ouvertement de la gravité de la situation.
Voilà
qui contraste avec les années 80 où, lorsque les gens du
mouvement islamiste étaient en conflit avec les militants de la
gauche et du Fatah, ils ne se parlaient pas, mais se sentaient et
se comportaient comme deux peuples se haïssant l’un l’autre.
Aujourd’hui, les hostilités meurtrières opposent les hommes
armés des deux camps. Ceux qui ne portent pas les armes
continuent de soutenir leur propre courant politique et à
justifier le comportement des services de sécurités, mais pas au
prix de querelles personnelles. Tout le monde craint d’être
pris dans un échange de tirs, ou d’être atteint par une balle
ou une charge de RPG.
Ils
ont raison, les Palestiniens, lorsqu’ils font porter la
responsabilité générale de la situation sur l’occupation :
c’est elle qui fixe le cadre du blocus économique (présent déjà
avant l’Intifada et avant l’établissement d’un gouvernement
Hamas), elle qui emprisonne depuis 1991 les habitants de Gaza dans
un vaste enclos, sans perspectives personnelles ni espoir d’amélioration.
Cet emprisonnement est la cause d’une ignorance qui s’étend,
et le fait d’être coupé du reste du monde renforce les loyautés
claniques, y compris lorsqu’il s’agit de venger le sang versé,
parce qu’en l’absence d’espoir politique et économique, le
clan redevient le seul appui pour l’individu.
Mais
ils ont raison également, les Palestiniens qui en ont assez
d’entendre que l’occupation est le coupable. Une guerre entre
organisations et une guerre fratricide sont aussi le fruit de décisions
et d’ordres venant de ceux qui se considèrent comme des leaders
et qui doivent dès lors être conscients des conséquences de
leurs actes.
Ce
n’est pas la peine de demander « qui
a commencé ? » (c’est le Fatah qui a commencé
avec les provocations armées). De toute façon, cette querelle
meurtrière découle de deux maux communs aux deux adversaires.
L’un est le culte des armes et des hommes armés qui s’est
propagé dans la société palestinienne en faisant taire toute
tentative de discussion sur le tort énorme que le recours aux
armes a fait à la lutte contre l’occupation israélienne.
L’autre est l’illusion que le processus d’Oslo (ou des élections
« démocratiques » à l’ombre de l’occupation)
peut conférer une autorité gouvernementale à un parti
palestinien et qu’un parti palestinien peut accéder à la
respectabilité d’un gouvernement comme dans un Etat indépendant.
Les organisations armées du Fatah et du Hamas ont été envoyées
pour combattre, tuer et mettre en danger la paix de la population
toute entière, au profit d’une illusion d’autonomie sous un
occupant étranger, déguisé en voisin soucieux.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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