Ha'aretz
Quel
genre d'assassinat ?
Amira Hass
"Deux
personnes prises au hasard pourraient déclarer être une cellule
d’un des nombreux regroupements des « Martyrs d’Al-Aqsa »
et la Sûreté générale [israélienne] pourrait déclarer de
trois membres du Fatah pris au hasard qu’ils sont une « cellule
de terroristes » et grossir le danger imaginaire qu’ils
représentent." (NdT)
Haaretz, 24 octobre 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/916296.html
Version
anglaise : Some
assassination plot
www.haaretz.com/hasen/spages/916341.html
Un
rang serré de policiers de la garde présidentielle palestinienne
se déploie dans les rues de Ramallah chaque fois que
l’entourage de Mahmoud Abbas y passe ou qu’un hôte de haut
rang vient en visite. Devant la dramatisation avec laquelle les médias
israéliens ont couvert, avant-hier, la « tentative
d’assassinat » visant le Premier ministre Ehoud Olmert, on
pouvait être amené à déduire que les comploteurs avaient été
retirés au dernier moment du rang de la garde présidentielle,
alors qu’ils étaient sur le point de tirer sur la voiture d’Olmert
en route pour aller goûter la cuisine de l’épouse de Sayeb
Erekat.
Cette
dramatisation israélienne a semé la confusion chez les
porte-parole palestiniens. Chacun a livré une version différente,
ce qui n’a fait que renforcer l’impression qu’il
s’agissait de l’arrestation d’assassins connus. De leur côté,
les porte-parole palestiniens ont immédiatement suspecté cette
dramatisation d’être destinée à faire échouer la conférence
d’Annapolis – comme si, sans cela, elle allait être une réussite.
Il
est vrai qu’il ne faut jamais croire les porte-parole officiels
et certainement pas ceux des services de sécurité quels qu’ils
soient. Il n’y a donc pas lieu de croire automatiquement aux détails
fournis par les Palestiniens : que les trois (ou les cinq)
avaient simplement échangé entre eux une « idée »
non encore mûrie, que l’arme prévue était un cocktail Molotov
et qu’ils ont été libérés après deux mois d’enquête par
la Sécurité préventive, celle-ci n’ayant pas découvert de
raisons suffisantes pour les inculper. Les deux qui ont été arrêtés
une seconde fois, vendredi passé, on supputait à Ramallah
qu’ils l’avaient été pour leur éviter une arrestation par
les Israéliens, et cela après que leurs camarades aient été
arrêtés à un barrage militaire. Dans la même mesure, il est
permis de se demander – il serait même bon de se demander –
s’il ne s’agit pas d’une hystérie et d’une inflation délibérées
de la part de la Sûreté générale (Shabak). « La Sûreté
générale sait parfaitement bien qu’il ne s’agit pas d’une
organisation sérieuse, sinon qu’est-ce qui aurait empêché
l’armée israélienne d’arrêter ceux qui avaient été libérés ? »,
s’étonne-t-on à Ramallah.
L’opinion
israélienne sur les services de sécurité de l’Autorité
Palestinienne est nourrie d’images et non par la réalité. Ce
sont précisément les détails de la réalité qui ont amené les
Palestiniens à dédaigner le dramatique compte-rendu israélien :
deux personnes prises au hasard pourraient déclarer être une
cellule d’un des nombreux regroupements des « Martyrs d’Al-Aqsa »
et la Sûreté générale pourrait déclarer de trois membres du
Fatah pris au hasard qu’ils sont une « cellule de
terroristes » et grossir le danger imaginaire qu’ils représentent.
De jeunes Palestiniens, pour la plupart sympathisants du Fatah,
ont rejoint les services de sécurité essentiellement pour le
salaire qu’ils proposent, en ces temps de chômage chronique.
Leur entraînement militaire et leurs aptitudes sont donc médiocres.
Les vrais mobiles de l’adoption du titre de « Martyrs d’Al-Aqsa »
sont liés aux emplois, aux honneurs et au pouvoir bien plus qu’à
la possibilité d’agir contre l’occupation. C’est la
fanfaronnade aux dépens du sérieux. Et à aucun des échelons
palestiniens, depuis les deux gouvernements jusqu’aux « cellules »,
on ne s’illustre par une particulière capacité de
planification – condition indispensable pour tout « complot
d’assassinat » comme pour toute lutte contre une
domination étrangère.
Les
porte-parole palestiniens se sont troublés non pas parce qu’Israël
les aurait « pris sur le fait » mais parce qu’une
fois de plus, Israël a offert un rappel trop criant de ses véritables
attentes à l’égard de l’Autorité Palestinienne :
servir d’aide au geôlier, de sous-traitant de l’occupation
israélienne. Depuis sa création, l’Autorité Palestinienne
n’a cessé d’osciller entre ces deux extrêmes :
satisfaire Israël et les Etats-Unis, et convaincre son peuple
qu’elle le conduit dans la direction de la fin de
l’occupation. Une fois, elle opère des arrestations et le
dissimule, une autre fois elle libère et le dissimule. Parfois
Abou Mazen blâme Israël et parfois il appelle les Israéliens
« nos voisins ». Sur base de ce voisinage imaginaire,
il a invité Olmert à une visite en retour dans son « Etat »
(Jéricho, pour les besoins de la cause).
Qu’il
s’agisse d’un plan ayant échoué (et s’il avait réussi ou
même seulement été mis à l’essai, on peut imaginer qu’il
n’aurait fait que durcir l’oppression israélienne) ou qu’il
s’agisse d’une fantaisie de jeunes gens frustrés, ce « complot
d’assassinat » sert lui aussi de rappel au gouvernement de
Ramallah : même ceux qui dépendent pour leur subsistance de
l’argent de l’Autorité Palestinienne n’oublient pas qu’Israël
n’est pas le voisin à l’ouest mais l’occupant assis dans
leurs maisons. Pour eux, le chef du gouvernement israélien
n’est pas un dirigeant invité chez eux mais le haut représentant
de l’envahisseur étranger.
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
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