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Ha'aretz
Que
se passe-t-il les jours de calme ?
Amira Hass
"En
Israël, puisqu’il s’agit d’une démocratie pour les Juifs,
une lourde responsabilité individuelle pèse et pèsera à
l’avenir sur tous ceux qui se croisent les bras et détournent
le regard de ce qui se fait, aujourd’hui, en leur nom." (NdT) Haaretz,
2 octobre 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/908840.html
Version
anglaise : Democracy is more than going to the polls
www.haaretz.com/hasen/spages/908880.html
« Moment
de calme dans la vague de protestation » : c’est dans
ces termes que divers rapports journalistiques israéliens décrivaient,
vendredi, la manière dont la junte militaire birmane avait réussi,
en recourant à une force importante, à vider les rues de ses
milliers de manifestants.
En
dépit de la sympathie naturelle à l’égard des insurgés,
plusieurs éditeurs ont opté pour le mot « calme »,
qui incarne le point de vue du pouvoir : la norme, c’est
une situation « calme » même si cela signifie une
violence gouvernementale permanente. Une protestation de masse
contre l’oppression constitue une atteinte à l’ordre, elle
est tumulte et confusion. Il y avait dans ce choix du mot « calme »
une traduction automatique de la manière dont la majorité des
Israéliens juifs (et leurs médias) traitent la situation
d’oppression permanente qu’Israël impose aux Palestiniens,
depuis 40 ans. C’est la situation habituelle, la norme, que
l’on évoque ici quand les Palestiniens rompent le cours
tranquille des choses.
L’oppression
du peuple palestinien est destinée à poursuivre sa dépossession
de sa terre et de ses droits dans le pays. Mais sur l’autre face
du régime d’oppression, il y a pour les Juifs une démocratie,
dont jouissent aussi les opposants à l’occupation. Sauf
exceptions, les opposants juifs ne mettent pas leur vie en danger,
ni leurs revenus, leur liberté ou leurs droits. Il est vrai que
manifester contre la clôture de séparation fait courir certains
risques – être détenu quelques heures, être blessé par une
balle tirée par un soldat, par un coup de crosse de fusil, subir
les gaz lacrymogènes – et on peut en cela parler d’une décision
personnelle courageuse de la part de chaque participant.
Accompagner des Palestiniens pour la récolte exige aussi du
courage car cela peut se terminer par un assaut de colons (pendant
que les représentants du pouvoir – les soldats – se tiennent
à l’écart). Il existe néanmoins des dizaines de modalités
d’action contre l’oppression, qui ne mettent pas en danger les
militants dévoués (essentiellement des militantes) qui y
prennent part.
Potentiellement,
des centaines de milliers d’Israéliens juifs pourraient
participer à l’action contre cette oppression aux multiples
visages : lois et décrets d’apartheid, offensives
militaires, dissimulation de l’information, blocus économique,
confiscation de terres, expansion de colonies, et autres. Pas un
cheveu de leur tête ne serait touché. Je veux parler de ceux qui
se déclarent favorables à une solution de paix, d’un Etat
palestinien à côté d’Israël. Mais visiblement, leur interprétation
de la participation à la démocratie consiste à se rendre aux
urnes toutes les quelques années et à protester mollement dans
son salon.
Mais
la démocratie, c’est aussi manifester une responsabilité
citoyenne par le biais d’un contrôle incessant exercé sur les
décisions et les actes politiques entre deux élections, pour
garantir que l’essence de la démocratie n’est pas altérée.
Ceux qui, sur leur témoignage, soutiennent une solution à deux
Etats feignent d’ignorer l’autre face de la démocratie-pour-les-Juifs,
c’est-à-dire le régime militaire qu’elle impose aux
Palestiniens. Ce régime crée sans arrêt sur le terrain des réalités
qui mettent en échec le dernier espoir qui reste à ladite
solution (dans sa version véritable : retrait total, avec
uniquement de légères modifications, sur les lignes du 4 juin
’67 et création d’un Etat palestinien). Les citoyens juifs,
qui jouissent de leur démocratie, ne sont pas personnellement
touchés par l’autre face de celle-ci. Au contraire, ils en
profitent : terre à bon marché et logement de qualité,
sources en eau supplémentaires, création d’une élite de
professionnels de la sécurité qui sont demandés dans le monde
entier, développement d’une industrie dans le domaine de la défense.
Telle est la situation de « calme » que même les
partisans – à leurs yeux – de la paix s’abstiennent de désorganiser.
Dans
l’empire soviétique, dans l’Afrique du Sud raciste – comme
aujourd’hui en Birmanie – l’opposition à l’oppression se
payait au prix fort et on peut dès lors comprendre les opposants
qui choisissaient de ne pas agir. En Israël, puisqu’il s’agit
d’une démocratie pour les Juifs, une lourde responsabilité
individuelle pèse et pèsera à l’avenir sur tous ceux qui se
croisent les bras et détournent le regard de ce qui se fait,
aujourd’hui, en leur nom. La responsabilité n’est pas
seulement celle des chefs d’état-major, des chefs de
gouvernement, des ministres et des généraux. Y ont part tous
ceux qui s’opposent théoriquement à l’oppression, à la
discrimination et à l’expulsion, mais ne participent pas
activement à la lutte et à l’émergence d’une insurrection
populaire permanente visant à faire tomber le régime
d’apartheid que nous avons créé ici et qui se développe.
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
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