Opinion
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau
Sahelistan ?
Des mensonges flagrants à l'ingérence
directe (9e partie)
Ali El
Hadj Tahar
Jeudi 14 février
2013
Tous les discours des
autorités françaises, anglaises et
américaines sur la nécessité d’une
intervention à «visage africain» et sur
une intervention urgente se sont
révélées n’être qu’une couverture
cynique pour préparer une action
occidentale directe au Mali, le plus
tardivement possible, lorsque les
mercenaires auront complètement achevé
leur mission.
La France disait vouloir seulement jouer
«un rôle de facilitateur. Pas question
d'envoyer des troupes au sol». Le
président François Hollande a même
promis aux médias français qu'il y
n'aurait «aucune présence française sur
le terrain» au Mali. Or, selon certaines
sources, des troupes spéciales
françaises (environ 200 hommes) étaient
sur le terrain malien tout comme celles
des États- Unis, déjà présentes au Mali
par le biais de l’Africom, avec 400
militaires, et ce, bien avant
l’intervention. La diplomatie disait
non-ingérence sans l’accord onusien mais
les faits attestaient le contraire. Lors
de la conférence sur le Sahel, le 27
septembre 2012, l’ex-secrétaire d’Etat
étatsunienne, Hillary Clinton, avait
estimé que «seul un gouvernement
démocratiquement élu aura la légitimité
pour parvenir à une résolution négociée
au nord du Mali, mettre un terme à la
rébellion et restaurer l’Etat de droit».
C’est clair, net et précis. Le
gouvernement intérimaire de Bamako
n’avait aucune légitimité à défendre son
pays, et l’ONU n’avait pas à l’aider.
C’est le message que décodera Ban Ki-moon
ou qui lui sera signifié en clair. Le 11
novembre 2012, les chefs d’État et de
gouvernement de la Communauté économique
des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao)
ont entériné un plan d’action qui
définissait les grands axes de
l’intervention militaire dans le nord du
Mali afin de restaurer «le
rétablissement de l’autorité de l’État
sur toute l’étendue du territoire».
L’Algérie y a participé en qualité
d’observateur et réitéré sa position sur
la question, soit le refus de
l’intervention tant qu’existaient encore
des chances d’aboutir à une solution
pacifique. Le plan d’action décide de la
création d’une force, appelée Mission
internationale de soutien au Mali, sous
conduite africaine (Misma), chargée de
restaurer la souveraineté de l’Etat
malien sur ses territoires. Mais Ban Ki-moon
dit vouloir favoriser le dialogue
politique tout en estimant qu’une
intervention militaire au Mali
comportait beaucoup de risques et
qu’elle était «nécessaire à un moment
donné, en dernier recours». Il reporte
l’intervention pour l’automne 2012 ! Une
manière de discréditer la Misma, en
renvoyant son action aux calendes
grecques. Ban Ki-moon est la voix des
membres du Conseil de sécurité, dont la
France fait partie. En public, elle
exigeait une intervention rapide, mais,
en coulisses, elle essayait de saborder
la Misma pour pouvoir agir selon son
propre plan. Le président de l’Union
africaine se dit déçu par ce rapport,
que les Maliens trouvèrent
incompréhensible, car leurs malheurs ne
faisaient qu’empirer. «L’ONU n’est pas
la mieux placée pour répondre à la
menace sécuritaire que créent des
groupes terroristes», affirmait Ban Ki-moon.
Alger a suspecté la Cédéao d’être un
pantin de la France et refusé de marcher
avec elle. Or, Paris ne visait pas
l’intervention dans un cadre africain
mais en solo. Le plus gros perdant dans
l’affaire, c’est Alger qui s’est
discrédité sur tous les plans, au lieu
de jouer le rôle majeur qui était
naturellement le sien. Alger espérait
amener à la table des négociations le
groupe Ansar Dine, un groupe de
mercenaires dirigé par un opportuniste,
et une autre formation tout aussi
versatile, le MNLA, qu’elle croit
pouvoir arracher aux tentacules
françaises et qataries ou si vous voulez
l’isoler d’Aqmi et du Mujao, ce qui
revient au même. Mais il se révélera que
tous ces groupes avaient un seul et même
but : amener le bateau néocolonial à bon
port.
Trahison des élites
et faillite des régimes
En insistant sur le
dialogue sans proposer quelque chose de
plus palpable pour les Maliens, Alger a
commencé à donner l’impression de ne
penser qu’à son pré carré, surtout quand
elle a parlé de fermer ses frontières
avec un peuple en danger qui suppliait
l’envoi d’une force internationale.
Jusqu’au jour où son président sera
contraint de demander à la France de
voler à son secours. Pour imposer leur
présence, d’autres pays occidentaux se
disent prêts à se charger de la
réorganisation et de l’entraînement des
forces maliennes, sous mandat de l’Union
africaine et de l’ONU. Comme si ses
généraux étaient des incapables et que
la Cédéao qui est supposée également
faite pour une coopération des pays
d’Afrique de l’Ouest dans le domaine
militaire ne pouvait pas s’en charger :
la nullité de l’Afrique est totale. Pas
même capable de former des bidasses !
Pour ne pas paraître raciste, leurs
médias ne se posent pas la question : «À
quoi ont alors servi les indépendances
?» Mais pour arriver à cela, il fallait
aussi qu’il y ait de nouveaux otages
français pour justifier l’intervention
au plan «humanitaire» et au plan
devoir-de-l’Etat-envers-des-ressortissants-français-retenus-
par-des-terroristes. Comme par hasard,
il y eut des prises d’otages, puis une
tentative de libérer des otages en
Somalie qui se solde par la mort de
l’otage français (un agent du SDECE) et
de deux éléments des forces françaises
d’intervention. Puis il fallait que les
terroristes décident de franchir la
ligne rouge pour aller vers le sud.
Alors comme dans un scénario, Ansar
Dine, Mujao et Aqmi appellent même le
groupe nigérian Boko Haram en appui et
partirent à l’abordage de la ville de
Kona, le 10 janvier 2013, obligeant les
autorités maliennes à demander l’aide
française. Comme pour répondre aux vœux
d’une intervention militaire, encore
d’un commun accord et de concert, les
mercenaires traversent la ligne rouge,
comme s’ils savaient que cela serait le
déclencheur d’une intervention…
française. Ce franchissement est la
preuve la plus parlante de leur
complicité avec un commanditaire qui
avait besoin non pas d’un mais de
plusieurs casus belli. Les «djihadistes»
prétendaient vouloir créer une Dawla
islamiya et ils l’avaient sur un immense
territoire qu’il aurait plutôt fallu
renforcer, bunkériser, barricader pour
pouvoir le préserver. S’ils voulaient un
«Azawad», ils avaient le territoire
qu’ils voulaient. Pourquoi ont-ils fait
le contraire de ce qu’ils ont fait en
Libye et ce qu’ils font en Syrie où ils
prennent des territoires et les
renforcent pour en faire des zones
d’exclusion, autrement dit des
territoires libérés ? Ils n’avaient donc
pas reçu cet ordre. Rien n’explique leur
descente vers les villages insignifiants
et non stratégiques de Mopti et Kona si
ce n’est l’obéissance à un «agenda»,
pour reprendre le mot utilisé par M.
Medelci en novembre dernier. Ils
savaient que ce franchissement
obligerait Bamako à demander de l’aide à
ceux qui se disaient prêts à en découdre
avec les méchants loups ! Une semaine
auparavant, Ansar Dine avait promis une
trêve et l’arrêt des hostilités : le hic
c’est que les Algériens n’ont pas
négocié avec le chef, l’imprenable
renard, Iyad Ag Ghaly, mais avec ses
lieutenants, qu’il reniera dès que des
ordres lui viendront d’une autre
capitale. Il se peut que la décision
d’attaquer ne vînt pas de lui mais d’Aqmi
et du Mujao et qu’il n’ait fait que
suivre, comme dans une meute. Aqmi est
lié à Al-Qaïda, et ses manipulateurs
sont ceux qui manipulent la nébuleuse à
laquelle il appartient. Al-Qaïda, cette
création américaine, obéit toujours à
ses premiers concepteurs. Comme leurs
attaques contre des garnisons à partir
du 17 janvier 2012, cette attaque a
toutes les caractéristiques d’une
obéissance à un ordre venant de forces
manipulatrices. L’aide de Bamako est
demandée au pays qui faisait le plus de
pression pour une intervention, la
France, comme lorsqu’en 1986, lorsque le
dictateur tchadien, Hissène Habré, avait
sollicité Paris pour le défendre des
troupes progressistes de Goukouni Ouadaï
soutenues par les forces libyennes.
L’opération Serval suivra l’opération
Epervier... Pourtant, Hillari Clinton,
dans la citation donnée plus haut, ne
reconnaissait pas aux autorités de
Bamako le droit d’agir légalement pour
l’intervention de la force africaine,
Misma que Ban Ki-moon a alors renvoyée
aux calendes grecques. Comment
accepte-t-elle qu’elles fassent appel à
Paris ? Le Mali, un Etat failli (concept
de politique internationale), n’a pas le
droit de demander secours à l’Afrique et
à l’ONU mais à la France. Le schéma
initial en clair destiné à l’opinion
publique et aux avaleurs de couleuvres
affirmait le contraire de ce qui était
écrit dans le schéma codé des puissances
atlantiques. Sortant son armada de
grande puissance, la France prend
brusquement l’initiative de s’engager,
seule, pour répondre à une situation
«d’urgence» créée de toutes pièces.
L’armée malienne n’a toujours pas reçu
les cargaisons d’armes russes achetées
par le président ATT qui a été déposé en
avril 2012, afin que le pays ne puisse
se défendre contre un ramassis de
bandits de grands chemins recrutés par
les services occidentaux et qataris. La
France jouera le beau rôle de sauveur
pour redorer le blason peu reluisant de
son passé colonial.
Intervention
planifiée au détail près
Finian Cunningham écrit : «Dans les
heures suivant la sollicitation par le
gouvernement malien d’un appui militaire
pour contrer l'avancée des rebelles du
Nord, des avions de combat français ont
commencé à effectuer des frappes
aériennes vendredi» signifiant par là
que les aéronefs étaient prêts et les
cibles désignées. Spontanément, les USA
et d’autres pays européens apportent
leur soutien rapide à Paris bien qu’elle
agissait dans un cadre non onusien. La
Grande-Bretagne a envoyé des avions
cargos RAF CI7 à Paris à partir d’une
base dans l’est de l’Angleterre afin
d’aider à l’acheminement des troupes,
des hélicoptères, des camions et
d’autres équipements lourds. Washington
fournira de la logistique et des
communications. Cette situation
n’était-elle pas prévisible du fait que
des drones de surveillance américains et
français étaient en action depuis des
mois au Mali et dans les pays
limitrophes, certains disant qu’ils ont
même survolé l’Algérie ? Pour Finian
Cunningham, la rapidité et l'étendue de
l’intervention française attestent de
leur inscription dans le cadre d’un
«plan bien rodé d'intervention par
l'ancienne puissance coloniale». Finian
Cunningham ajoute : dans Information
Clearing House, 16 janvier 2013 : «Les
frappes aériennes par les avions
français sur au moins six zones-cibles
très dispersées dans le Mali couvrent
une distance opérationnelle de près de 2
000 km d’est en ouest. Ce niveau de
coordination indique plusieurs semaines
de planification et dément l’apparence
que le gouvernement français réagissait
de façon impromptue à une demande
soudaine d’aide des autorités maliennes
alignées sur Paris.» Donc les Français
savaient-ils qu’Aqmi et Ansar Dine
allaient attaquer ? Plus étrange encore
: le gouvernement français a affirmé
qu’il avait obtenu l’autorisation par
l’Algérie du survol de son territoire,
sans qu’un président ou un ministre ait
été vu à Alger… On obtient
l’autorisation de survol d’un pays par
téléphone ? Le scénario pour une
intervention africaine se mue aussitôt
sans mandat de l’ONU en intervention
française, apparemment, préparée de
longue date, puisque tout était prêt
même le détail du survol du ciel
algérien, obtenu en dernière minute, ou
lors de la visite de Hollande à Alger ou
même une semaine avant l’intervention
par… Hamad, en contrepartie d’un soutien
pour un quatrième mandat. Finian
Cunningham conclut dans : Information
Clearing House, 16 janvier 2013 : «En
effet, telle est la chorégraphie
soigneuse de ce développement militaire
saillant que l'on pourrait dire que les
Français se sont finalement donné
eux-mêmes le feu vert pour exécuter un
plan qu'ils avaient fait mûrir depuis
plusieurs mois. Ce plan n'est rien de
moins que la reconquête néocoloniale de
son ancienne colonie dans une région de
l’Afrique de l'Ouest d’importance
stratégique.» «Cette opération durera le
temps nécessaire», a précisé François
Hollande, ajoutant que la France
intervenait «dans le cadre de la
légalité internationale». Or, il n’en
était rien. La résolution 2085 autorise
le déploiement d’une «force africaine»
«sous conduite africaine», pas
française. Mais les choses se sont
passées autrement, justement parce
qu’aucune partie n’a voulu agir. Agir
était pourtant simple : débloquer les
cargaisons d’armes maliennes retenues
dans les ports d’Abidjan, de Conakry et
de Dakar, sous prétexte que le
gouvernement n’était pas légitime. Un
sabotage international a eu raison de
l’armée malienne qui était elle-même,
comme toute armée, capable de faire ce
travail, de donner des martyrs en
l’honneur du pays. On a préféré
l’humilier. Or, les «bienfaiteurs» ne
veulent toujours pas effacer la dette
malienne, ni même donner des moyens
humanitaires au moins aux populations
qui se sont réfugiées dans les pays
voisins, eux aussi sans ressources :
Tchad, Niger et Mauritanie.
A.E.T.
Lire la 10e partie
Publié sur
Le Soir d'Algérie
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