Tribune
Réflexion sur la
révolution des neiges en Russie
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 23
novembre
2011
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Les événements politiques et citoyens
qu’a connu la Russie ces derniers jours
ont sans doute une fois de plus été
traités par le
mainstream médiatique de façon
excessive et erronée. Printemps russe,
révolution des neiges, craquement du
régime Poutine, révolution arabe a
Moscou...
Les qualifications excessives et
souvent obsessionnellement dirigées
contre la figure du premier ministre
sont certes en adéquation totale avec
quelques slogans que j’ai pu entendre
lors de cette manifestation mais
semblent bien loin de la réalité du
terrain tout autant que de ce que
pensent a ce jour la grande majorité des
Russes. Cette fois-ci, le mainstream
médiatique francophone n’a pas égalé le
mainstream anglophone, dont une des
principales chaînes de télévision a
commenté les manifestations en Russie en
utilisant des images d’émeutes en
Grèce. On sait pourtant que les palmiers
sont rares dans les rues de Moscou :),
et que la police russe ne porte pas
d’uniformes grecs. Tout commentaire est
inutile, il suffit de regarder le
reportage.
Reprenons depuis le début. Suite aux
élections législatives du 4 décembre,
des cas de fraudes électorales ont été
mis en évidence. Pour autant une
analyse sérieuse et non émotionnelle
montre que des différences entre les
sondages, les sondages d’après votes,
les estimations et les résultats ne
seraient palpables que dans le Caucase
ou éventuellement à Moscou, comme je
l’avais mentionné
ici. Il a été rappelé que la
structure traditionnelle et
conservatrice tchétchène (rôle des teïps
par exemple) peut être un facteur de
vote difficile à comprendre. Les autres
fraudes dénoncées concerneraient donc
essentiellement Moscou ou le score de
Russie Unie aurait été gonflé, comme l’a
affirmé en cours de dépouillement un
sondage de sortie des urnes publié par
l’institut
FOM et qui a mis le feu aux poudres.
Très curieusement ce sondage n’est plus
en ligne aujourd’hui sur leur site, mais
il a été repris sur de nombreux blogs.
Quoi de plus simple à manipuler qu’un
sondage d’après vote par un institut?
Les mouvements de protestations n’ont
donc concerné essentiellement que Moscou
et Saint-Petersbourg, qui ont rassemblé
les ¾ des manifestants du pays.
Qu’en est-il, en réalité, de la
fraude dénoncée et propagée sur la
toile, via les réseaux sociaux ou
Youtube, et que les journalistes
occidentaux citent sans relâche depuis
les élections?
7.664 incidents de diverses natures
ont été recensés sur l’ensemble des
bureaux de vote durant ces élections (en
Russie et à l’étranger). Parmi ces
incidents, les
cas récencés qui concernent des
plaintes pour fraude au niveau de la
comptabilisation des voix sont 437.
Regardons maintenant ce que dit le site
de l’association "indépendante" GOLOS,
spécialisée dans la surveillance des
élections:
66 cas recensés de différence entre
les décomptes des observateurs et les
résultats finaux, qui portent chaque
fois sur des écarts de 100, 200 ou 300
voix, selon les cas. Même analyse pour
Vedemosti qui publie une analyse
détaillée de Moscou dans laquelle une
30aine de cas a été recensés par les
observateurs d’Iabloko (parti
d’opposition) pour toute la capitale.
Peut-on imaginer que ces 20.000 voix en
litige (estimation haute) ont permis à
Russie Unie de doubler son score à
Moscou? A-t-on remarqué que les
observateurs "indépendants" ou ceux de
GOLOS ou d’Iabloko n’ont pu observer à
ce jour quelque fraude que ce soit dans
le reste des 3.374 bureaux de vote de la
capitale? Peut- on imaginer que ces
quelques cas de fraudes dans tous le
pays aient pu inverser totalement le
résultat du scrutin? On peut
sérieusement en douter. Depuis les
élections, personne n’a contesté les
irrégularités, fraudes et
dysfonctionnements systémiques relevés
par les différents observateurs de
partis politiques et des associations.
Mais on ne peut pas encore comparer
Moscou à Chicago, ou 100.000 voix
avaient disparu lors d’une
élection en 1982. En outre, beaucoup
d’observateurs internationaux ont eux
validé les élections, que l’on regarde
par exemple
ici,
la,
ici ou
la.
A propos d’Amérique: l’association
GOLOS, très en pointe pour dénoncer les
fraudes en Russie, est financée par les
très puissantes associations américaines
USAID et
NED. GOLOS vient d’être pris la main
dans le sac, si je puis dire, puisque
la presse russe vient de publier un
échange mail entre la responsable de
GOLOS et des responsables de l’USAID,
leur demandant combien l’association
pourrait facturer (lors de précédentes
élections en Russie) pour… Des
dénonciations de fraudes et d’abus.
Mais le Buzz informatique sur des
élections massivement truquées à bien
fonctionné et ce sont sans doute environ
35.000 personnes qui se sont rendus à
une grande manifestation samedi
dernier à Moscou (j’y ai assisté) afin
de demander de nouvelles élections. La
manifestation s’intitulait la révolution
des neiges, et les participants
portaient des
œillets blancs mais également des
fleurs. Cette association de
symboles fait étrangement penser aux
symboles des
révolutions de couleurs (appelées
également révolutions des fleurs) qui
ont eu lieu en Serbie en 2000, en
Géorgie en 2003 ou en Ukraine en 2004.
Plus étrange encore, le site de la
mystérieuse et nouvelle association qui
organisait le mouvement s’intitulait de
la même façon
BelayaLenta. C’est un nom de domaine
internet qui a été
déposé aux Etats-Unis en octobre
2011...
Cette manifestation était extrêmement
intéressante à mon sens. Elle réunissait
une galaxie très hétérogène de
mouvements politiques et d’associations.
Une partie des gens était venu voir ce
qui se passait et étaient surpris de
l’ampleur du rassemblement. Je décrirais
le participant moyen comme un moscovite
de la classe moyenne supérieure, jeune
et plutôt de sexe masculin, présent car
convaincu de s’être fait voler ses voix,
lorsqu’il n’était pas simplement hostile
au premier ministre Vladimir Poutine. Le
meeting était co-organisé par les
éternels opposants libéraux Boris
Nemtsov, Michael Kassianov et Vladimir
Milov, fédérés au sein du
Parnas, ainsi que par
Serguei Udaltsov, le leader du
mouvement d’extrême gauche Front de
gauche, également ancien membre de la
coalition libérale/communiste "l’Autre
Russie", qui rassemblait ultras
d’extrême-gauche, nationaux-bolcheviques
et libéraux pro-occidentaux.
Les associations libérales et
pro-occidentales étaient présentes. Le
parti-communiste et Russie Juste étaient
aussi représentés, ainsi que divers
mouvements d’extrême gauche: des
anarchistes , le
front de gauche et des mouvements
tiers-mondistes. Mais il faut
ajouter un autre élément tout à fait
inattendu pour un observateur étranger,
la présence en force de représentants de
l’extrême droite la plus dure,
néo-nazis ,
nationalistes ou encore
monarchistes. Les francophones qui
liront ce texte se demanderont sans
doute comment des gens aussi différents
ont pu défiler côte à côte sans heurts.
Il y a eu beaucoup de slogans
anti-Poutine, mais pas de casseurs en
fin de manifestation. Cette
animosité à l’égard du premier
ministre, dans les slogans, s’est donc
exprimée dans des domaines très
différents. Pour certains, c’est un
autocrate, pour d’autres au contraire il
n’est pas assez nationaliste, trop
libéral ou pas assez à gauche. Un
symbole était absent de cette
manifestation, le blogueur Alexeï
Navalny, qui semble parfaitement
représenter cette synthèse inattendue
entre libéraux et radicaux d’extrême
droite. Ce blogueur très populaire à
l’ouest (plus qu’en Russie), ancien du
mouvement libéral Iabloko, est à
l’origine du slogan "Russie unie parti
des escrocs et des voleurs" qui est
repris par les opposants à Vladimir
Poutine. C’est aussi Navalny qui a lancé
le slogan "vote pour n’importe qui sauf
pour Russie Unie". Il a aussi participé
cette année à la
marche russe, cette marche de
l’extrême droite, se "félicitant de
pouvoir éduquer cette jeunesse
radicale". Mais il s’est également fait
pirater sa boite mail, ce qui a permis
de mettre en évidence qu’il était (tout
comme Golos cité plus haut) salarié de
l’association américaine
NED (une des structures essentielles
de soutien aux révolutions de couleur
durant ces dernières années dans
l’espace postsoviétiques), mais
également
en lien étroit avec Alexandre Belov,
le représentant d’une structure
d’extrême-droite viscéralement anti
Kremlin: l’ex-DPNI.
A part l’influence de GOLOS et
Navalny, il faut noter que les
Etats-Unis ont promis récemment
d’augmenter les aides aux associations
qui
opèrent en Russie, en affirmant que
ces aides ne viseraient pas à
miner la stabilité politique du
pays. Ce dont on peut très sincèrement
douter.
J’ai assisté à cette manifestation et
deux réflexions principales me viennent
à l’esprit.
D’abord le meeting s’est terminé dans
le
calme: c’était une démonstration de
maturité de la société russe, tant au
niveau des manifestants que de l’état.
Désormais le mythe de l’état répressif
sans cesse mis en avant n’est plus
valide. Les manifestants ont respecté le
cadre légal, tout s’est déroulé sans
incidents notables.
Ensuite les revendications sérieuses
et constructives de beaucoup de
manifestants (médecine
gratuite et
reforme de l’éducation par exemple),
semblaient correspondre aux demandes
d’un électorat proche du parti
communiste ou de Russie Juste, les
partis du nouveau bloc de gauche. Ce
bloc de gauche qui va occuper environ
1/3 de la nouvelle assemblée semble donc
être la réelle force d’opposition qui a
émergé des élections du 4 décembre, bien
plus qu’une hypothétique et
fantasmatique coalition
orange/brune/rouge, réunie dans un
meeting organisé par d’éternels perdants
ou par des leaders de groupuscules. Il
est plausible que désormais la vie
politique russe puisse se structurer
autour de deux grands blocs: un centre
droit autour de Russie Unie et un grand
courant de gauche.
Ces deux réflexions me font penser
que la vie politique russe devrait ainsi
garder sa stabilité, en renvoyant les
projets américains de révolution de
couleur en Russie aux oubliettes de
l’histoire.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Article publié sur
RIA Novosti
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