Opinion
Le 21ème siècle,
siècle de l'Arctique ?
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Vendredi 9
septembre
2011
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Très prochainement aura lieu à
Arkhangelsk, dans le grand nord russe,
la
deuxième édition du forum
international "Arctique, territoire de
dialogue", organisé par la Société
géographique de Russie. Pour la majorité
arctique rime avec pôle nord c’est à
dire une zone glaciale, peuplée d’ours
blancs et de manchots, avec une faible
présence humaine.
Pour d’autres, plus initiés (dont
sans doute bon nombre de lecteurs de Ria
Novosti) l’Arctique est au contraire
un formidable théâtre
d’opérations, avec un potentiel minier
important. C’est également une zone de
rivalités entre grandes puissances,
préfigurant la bataille pour l’énergie
que connaîtra sans doute ce siècle.
Cette tension autour du pôle nord n’est
pas totalement nouvelle. Durant la
guerre froide, soviétiques et américains
considéraient l’Arctique comme passage
le plus court pour observer l’autre mais
aussi comme passerelle géographique en
cas d’interventions militaires. Pour
Jean Claude Besida, l’Arctique est
devenu à ce moment là une "interface
géopolitique entre puissances".
Après la chute de l’URSS et la fin de la
guerre froide, les pays riverains de
l’Arctique (Russie, Canada, Norvège,
Danemark, Etats-Unis) ont constitué
trois organisations de coopération
régionale destinées à promouvoir la
collaboration entre les états ayant des
intérêts dans la zone: Le conseil
des états de la mer Baltique en 1992, La
Coopération de Barents en 1993 et enfin
Le Conseil de l’Arctique en 1996.
Auparavant, en 1982, la convention des
nations unies sur le droit de la mer
avait été signée à Montego Bay, mais
elle n’est entrée en vigueur qu’en 1994.
Ce timide réchauffement des relations
s’est accompagné d’un réchauffement
climatique aux conséquences majeures
pour la planète.
La fonte des glaces devrait en effet
s’accélérer durant ce siècle, puisque
depuis 1979 la superficie de glace en
Arctique a diminué de 20%, et qu’elle
devrait encore diminuer de 50% d’ici
2100.
Cette fonte des glaces ouvre des
perspectives économiques et stratégiques
majeures, via le développement de routes
commerciales maritimes bien plus
courtes, plus rentables et plus sûres,
entre l’Occident et l’Asie. Deux
variantes principales existent, la route
du nord qui longe les côtes de la
Sibérie et la route du nord ouest qui
passe à travers le grand nord Canadien.
En outre, on estime qu’un quart des
réserves mondiales non encore
découvertes de pétrole et de gaz se
situent en Arctique.
La région est également très riche en
minerais divers (nickel, fer,
phosphates, cuivre, cobalt, charbon, or,
étain, tungstène, uranium ou argent).
Enfin L’Arctique comprend également les
plus vastes réserves d’eau douce de la
planète. Le retour de la Russie dans le
concert des puissances internationales a
considérablement changé la donne dans la
région Arctique. En effet, si les
relations entre la Russie et les
puissances du nord se sont timidement et
diplomatiquement réchauffées, il reste
que tous les Etats concernés ainsi que
les états au statut d’observateur comme
la France sont membres de l’OTAN, sauf
la Russie.
Avec leur statut de futurs propriétaires
des routes commerciales, Russie et
Canada ont décidé d’affirmer activement
leur souveraineté sur la région. Lors
d’une mémorable expédition en 2007, la
Russie a planté son drapeau au fond de
l’océan Arctique en utilisant des
bathyscaphes. A l’époque, la presse
anglaise avait comparé cette expédition
aux premiers pas de l’homme sur la lune
en 1969 en termes de témérité et de
performance technologique. Mais au delà
de la prouesse technique, l’expédition a
montré l’importance que les autorités
russes accordent à cette zone. Si
l’Arctique ne représente que 1,5% de sa
population, la région compte déjà pour
11% de son PIB et 22% de ses
exportations. Enfin, 75% des habitants
de l’Arctique sont russes.
La Russie a aussi la frontière arctique
la plus longue. Par conséquent une
militarisation de l’Arctique est en
cours. Elle est alimentée par les cinq
nations qui ont des revendications sur
la région: États-Unis, Canada, Russie,
Danemark et Norvège. Plus récemment, la
Grande-Bretagne, la Finlande et la Suède
ont également rejoint le débat sur
l’Arctique. Symbole de cette
démonstration dissuasive occidentale,
les manœuvres militaires Nanook qui ont
lieu dans le cadre de l’OTAN tous les
étés. Chaque année le nombre de
participants et la quantité de matériel
impliqué sont en hausse. Cet été par
exemple, 100 militaires étrangers se
sont entrainés avec plus d’un millier de
soldats canadiens. En 2008, les
entrainements étaient basés sur le
scénario d’un état envahissant
l’Arctique. Il est légitime de se
demander à quel état les organisateurs
pensaient, sachant encore une fois que
le seul état Arctique non membre de
l’Otan et n’ayant donc pas participé à
ces manœuvres est la Russie.
Flotterait-il un parfum de nouvelle
guerre fraîche entre russes d’un coté,
et américano-canadiens de l’autre? La
Norvège vient d’annoncer un projet
visant à établir un commandement
arctique interarmées, une force de
réaction arctique et un renforcement de
la base aérienne de Thulé pour la
partager avec ses alliés de l’OTAN.
Le Canada, pour sa part, a
récemment décidé de développer les
effectifs et le matériel de ses brigades
arctiques. Quand à la Russie, elle
revendique clairement sa souveraineté
sur une bonne partie de la dorsale sous
marine Lomonossov. Certains officiels
affirmaient déjà en 2008, tel le général
Vladimir Chamane, que "le pays devait
être prêt à faire la guerre en arctique
si nécessaire". Cette année a vu la
création de deux nouvelles brigades
arctiques pour contribuer à la
protection des intérêts nationaux russes
dans la région. Mais par ailleurs, la
Russie affirme vouloir faire de
l’Arctique un territoire de
dialogue et écarte par avance tout
risque de
conflit dans cette zone du monde.
Récemment, l’influent premier ministre
Vladimir Poutine a rappelé que: "La
sécurité et les intérêts géopolitiques
de la Russie sont liés à l’Arctique".
Enfin en dehors des Etats Unis,
riverains de l’Arctique via l’Alaska,
d’autres pays plus lointains ont
manifesté récemment des visées sur
l’Arctique: La
Chine ou encore
l’Iran.
Routes commerciales du futur,
exploitation des richesses minières,
l’Arctique va sans doute faire l’objet
de tractations compliquées et de
nouveaux rapports de force entre
puissances. Pour les européens, le
filtre Otan et nord-américain ne semble
pas le plus conforme à leurs intérêts.
En effet un équilibre en Arctique n’est
pas concevable sans la Russie. En outre,
à l’heure ou le moyen orient multiplie
les signes d’instabilité, et alors que
le besoin en énergie va augmenter durant
le siècle, le rapprochement avec la
Russie semble plus que jamais utile.
C’est ce qu’a laissé entendre
l’ambassadeur français pour l’Arctique
Michel Rocard: "La Russie est une
puissance arctique disposant de nombreux
atouts (expérience, matériel...) pour
assurer le développement de la route
commerciale arctique".
Russes et européens ont sans doute
l’occasion de faire ensemble de
l’Arctique un territoire de paix et de
dialogue, et d’utiliser ces richesses
ensemble, afin de renforcer leurs
positions dans le monde.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Article publié sur RIA Novosti
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