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Reconnaître un Etat
palestinien, une « nouvelle » proposition ?
Alain Gresh
Alain Gresh
Lundi 22 février 2010 Dans un entretien donné au Journal du
dimanche (« “Vite,
un Etat palestinien” », 19 février), le ministre français
des affaires étrangères Bernard Kouchner répond à quelques
questions concernant Israël et la Palestine.
Israël est-il un Etat voyou, qui utilise des
passeports de pays amis pour exécuter ses ennemis ?
« Nous condamnons les exécutions ciblées et l’utilisation
de faux. Les agents n’ont pas usurpé l’identité d’un de nos
ressortissants, contrairement aux Britanniques, mais ont utilisé
un faux passeport français et un faux nom. Notre condamnation
est sans nuance. »
Jusqu’où peut aller cette crise avec Israël ?
« Ce qui doit faire dépasser cette crise, c’est
l’affirmation du rôle politique de l’Europe pour imposer, vite,
le chemin de la paix et la création d’un Etat palestinien.
Recevoir Mahmoud Abbas, le président palestinien, avec qui je
dîne dimanche, c’est soutenir l’homme qui porte la solution des
deux Etats. La question qui se pose, en ce moment, c’est la
construction d’une réalité : la France forme des policiers
palestiniens, des entreprises se créent en Cisjordanie… Ensuite,
on peut envisager la proclamation rapide d’un Etat palestinien
et sa reconnaissance immédiate par la communauté internationale,
avant même la négociation sur les frontières. Je serais tenté
par cela. Des pays européens. Je ne suis pas sûr d’être suivi,
ni même d’avoir raison. »
Mais cette affaire dit-elle quelque chose sur ce que
devient Israël ?
« Elle dit la nécessité de la paix et d’un Etat
palestinien, immédiatement. Un Israël en paix retrouverait
pleinement les valeurs qui l’ont fondé et pour lesquelles nous
tenons à sa sécurité et à son existence – pour lesquelles nous
tenons à lui. »
M. Kouchner et M. Miguel Angel Moratinos, le ministre
espagnol des affaires étrangères, signent ensemble une tribune
dans le quotidien Le Monde, reproduite sur le site du
journal le 22 février et intitulée « A
quand l’Etat palestinien ? ».
« L’Europe doit maintenant prendre ses responsabilités.
Elle ne doit pas se cantonner dans une posture de rappel,
nécessaire mais souvent incantatoire, des irréductibles contours
du règlement final : sécurité absolue pour Israël,
reconnaissance le moment venu d’un Etat palestinien, sur la base
des lignes de 1967 avec des échanges de territoires et avec
Jérusalem comme capitale des deux Etats. »
« L’Europe doit aujourd’hui avancer en proposant des
garanties, politiques, sécuritaires, financières, pour aider
Israéliens et Palestiniens à surmonter les “risques de la paix”.
Ce conflit interminable doit être réglé. L’Union européenne doit
y jouer son rôle non seulement parce qu’elle est l’amie d’Israël
et de l’Autorité palestinienne, mais surtout parce qu’il en va
de sa sécurité à long terme : dans cette région, d’autres
menaces autrement plus préoccupantes exploitent l’impasse
palestinienne à des fins de propagande et de diversion
politique. »
« Le temps est donc venu de donner des assurances aux
parties sur le caractère irréversible du processus que l’Europe
souhaite engager. Au peuple israélien, il faut l’assurance que
sa sécurité et son identité juive seront garanties ; au peuple
palestinien, il faut la certitude de recouvrer la dignité en
gagnant le droit de vivre dans un Etat viable, démocratique et
indépendant. »
(...)
« Dès maintenant, l’Europe pourrait promouvoir, sur le
terrain, des mesures de confiance audacieuses aux deux parties
afin d’aider simultanément cette relance de la négociation qui
doit se produire tout de suite. Elle pourrait aussi accueillir
une conférence au sommet pour la paix permettant de conforter et
d’encadrer cette dynamique, et d’encourager la reprise des
contacts pour une paix définitive entre la Syrie et le Liban et
Israël. »
« A l’issue, l’Europe, comme elle s’y est déjà engagée,
reconnaîtrait collectivement l’Etat palestinien pour que la
Palestine devienne enfin un membre à part entière de la
communauté des nations, vivant en paix et en sécurité à côté de
l’Etat d’Israël. »
Ces déclarations sur la reconnaissance d’un Etat palestinien
ont suscité à Tel-Aviv des réactions négatives, que rapporte une
dépêche de l’AFP du 21 février : « Un haut responsable
israélien, sous couvert d’anonymat, a déclaré à l’AFP que l’Etat
hébreu s’opposait à la proposition de M. Kouchner. “Accorder une
telle reconnaissance alors que les dossiers du conflit ne sont
pas réglés ne ferait que jeter de l’huile sur le feu. Cela ne
pourrait que pousser les Palestiniens à se montrer encore plus
intransigeants et à rendre ainsi tout compromis impossible”, a
prédit ce responsable. »
Elle a aussi provoqué une mise au point du premier ministre
français François Fillon rapportée par LeFigaro.fr (« François
Fillon sur tous les fronts », par Bruno Jeudy, 21 février) :
« A Amman, il a nuancé les propos de son ministre des
Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui s’est prononcé
dimanche pour la “proclamation d’un Etat palestinien avant même
les négociations sur les frontières”. Le premier ministre s’est
montré beaucoup plus prudent, en liant la création de cet État
palestinien à la négociation sur les frontières. »
La critique la plus pertinente de cette « nouvelle »
proposition a été formulée par Gilles Paris sur son blog Guerre
ou paix, sous le titre « Quand
Bernard Kouchner réinvente la “feuille de route” »
(22 février).
« M. Kouchner est-il un intrépide en proposant la
reconnaissance d’un Etat avant un accord sur des frontières ?
Point du tout. Cette perspective a été esquissée très
précisément dès 2002 dans la “feuille de route” publiée en 2003
et à la rédaction de laquelle avait activement participé M. Moratinos.
Rappelons que cette “feuille de route” prévoyait en trois phases
la création d’un Etat palestinien au plus tard en décembre
2005. »
« “Pendant la seconde phase, les efforts seront concentrés
sur l’objectif consistant à créer, à titre d’étape sur la voie
d’un accord sur le statut définitif, un Etat palestinien
indépendant, doté de frontières provisoires et des attributs de
la souveraineté et fondé sur la nouvelle constitution.” La
“feuille de route” ajoute “les membres du Quartet
[Etats-Unis, Union européenne, Russie, Nations unies]
préconisent la reconnaissance internationale de l’État
palestinien, avec éventuelle adhésion à l’Organisation des
Nations Unies.” »
(...)
« La “feuille de route” est le document de référence
accepté par toutes les parties, même si elle a bien vieilli (la
deuxième phase à laquelle on fait référence devait s’ouvrir en…
juin 2003 pour s’achever en décembre de la même année.) »
« Qu’un ministre des affaires étrangères la redécouvre
sans s’en apercevoir (sans être sûr “d’avoir raison”), et qu’il
se trouve des responsables israéliens pour s’en indigner
(“Accorder une telle reconnaissance alors que les dossiers du
conflit ne sont pas réglés ne ferait que jeter de l’huile sur le
feu. Cela ne pourrait que pousser les Palestiniens à se montrer
encore plus intransigeants et à rendre ainsi tout compromis
impossible”, responsable anonyme cité par l’AFP), en dit long
sur sa pertinence et sur la confusion qui entoure le processus
de paix. »
Effectivement, la confusion est de rigueur. Depuis des
années, le Quartet avance des propositions qui ne sont jamais
mises en œuvre, fixe des échéances qui ne sont jamais respectées
du fait des blocages israéliens. Et, chaque fois, Israël sort
impuni de ces violations. Pourquoi cela changerait-il
maintenant ? La seule solution serait d’appliquer des
sanctions contre un Etat qui viole la légalité
internationale depuis plus de quarante ans.
Et si la France veut reconnaître un Etat palestinien,
pourquoi faut-il que cet Etat soit sans frontières ? Paris, qui
affirme se plier au droit international, pourrait reconnaître
cet Etat dans ses frontières de 1967, celles fixées par toutes
les résolutions des Nations unies, auxquelles la France adhère.
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