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Al-Ahram Hebdo
Un cadeau non mérité
Samar Al-Gamal
Photo Al-Ahram
Mercredi 17 décembre 2008
UE-Israël.
L’Europe s’est prononcée
pour le « rehaussement du niveau et d’intensité de ses relations
bilatérales » avec Tel-Aviv, faisant craindre un virage de la
politique européenne vis-à-vis du Proche-Orient.
Au lieu de sanctionner Israël
pour ses violations quotidiennes du droit international et des
droits de l’homme dans les territoires occupés, l’Europe a
préféré le récompenser en lui accordant un nouveau statut. Un
statut qui s’est négocié à la demande d’Israël et dans la plus
grande opacité. Le vieux continent s’est ainsi prononcé par un
oui pour le « rehaussement du niveau et d’intensité de ses
relations bilatérales » avec Tel-Aviv en adoptant un texte
intitulé « Council Conclusions Strengthening of the EU Bilateral
Relations with its Mediterranean Partners — Upgrade with Israel
». Une longue annexe au texte précise les lignes
directrices pour ce « Upgrading » du dialogue politique avec
Israël. Elle prévoit entre autres la tenue périodique de
réunions des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union
Européenne (UE) et d’Israël, un privilège jusque-là accordé à
quelques grandes puissances comme la Chine ou la Russie. Un
premier sommet UE-Israël pourrait avoir lieu dans les prochains
mois, peut-être dès le premier semestre 2009 sous la présidence
tchèque de l’UE, selon le ministre tchèque des Affaires
étrangères, Karel Schwarzenberg. On évoque au moins trois
réunions annuelles au niveau des chefs de la diplomatie. Cette
mesure permettra aussi l’invitation régulière de responsables du
ministère des Affaires étrangères israélien au comité pour la
politique et la sécurité de l’UE et d’experts israéliens dans
les comités travaillant notamment sur la lutte contre le
terrorisme et le crime organisé par exemple. L’UE se dit prête
aussi à envisager « la possibilité d’inviter Israël à participer
aux missions civiles » menées dans le cadre de sa politique de
défense et de sécurité, « au cas par cas et lorsque l’intérêt
commun s’y prêtera », et à avoir avec Israël, « au moins une
fois par an », un dialogue informel sur les questions
stratégiques.
Un forcing de Paris ?
En gros, le texte permet à
Israël de conquérir les droits d’un quasi-Etat membre de l’UE.
Il faut voir Paris derrière. C’est sur impulsion de la France
que ce document a été approuvé, alors qu’une semaine auparavant,
le Parlement européen, appelé à voter sur le renforcement des
relations euro-israéliennes, s’est prononcé pour le report du
vote. On dit qu’une première version présentée par la France
avait suscité des réserves chez certains partenaires européens,
le Royaume-Uni et la Belgique en particulier, qui ont demandé un
« rééquilibrage » du texte qui faisait la part belle à Israël.
En juin dernier, Francis Wurtz, président du Groupe confédéral
de la gauche unitaire européenne/gauche verte nordique, a
adressé une lettre au président Sarkozy, au président de la
Commission européenne, Manuel Barroso, et au haut représentant
de la politique étrangère de l’UE, Javier Solana, pour leur
demander des éclaircissements au sujet de négociations secrètes
que mènerait depuis une année l’UE avec Israël. « Il apparaît
que des négociations secrètes sont en cours depuis un an entre
l’Union européenne et les dirigeants de l’Etat d’Israël. Non
pas, hélas, pour tenter de débloquer le processus de paix avec
les Palestiniens mais pour examiner une demande proprement
inimaginable de la part de Tel-Aviv : celle de conquérir les
droits d’un quasi-Etat membre de l’Union européenne ! »,
écrit-il dans sa lettre. D’après Wurtz, « la demande israélienne
en question date du 5 mars de l’année dernière ; un groupe de
réflexion s’est réuni sur le sujet le 4 juin 2007 ; une seconde
réunion s’est tenue le 9 octobre dernier pour préparer une
Déclaration du Conseil. Et tout cela sans que la moindre
information n’en ait été donnée à la représentation
parlementaire de l’Union ! ». Tzipi Livni, ministre des Affaires
étrangères israéliennes, a fait le déplacement de Bruxelles pour
faire son propre lobbying et convaincre les réticents, 2 jours
avant le vote. Le quotidien israélien Haaretz précise ainsi dans
son édition du 9 décembre que Livni, qui a rencontré ses
homologues européens, a à un moment de la rencontre demandé à
voir Bernard Kouchner en tête-à-tête et à ce que les autres
sortent de la salle. Durant cette conversation, les deux sont
tombés d’accord sur le fait qu’il n’y aurait pas de lien entre
le rehaussement des relations UE-Israël et les négociations de
paix. La ministre israélienne aurait aussi empêché l’adoption
d’un texte stratégique d’action qui rappellerait la position de
l’Union européenne sur le conflit du Proche-Orient. Forte de ce
soutien, Livni a donné un discours très tranché : « Votre rôle
est de nous aider, mais laissez-nous faire sur le terrain » !
Effectivement, peu importe la situation catastrophique dans la
bande de Gaza, plus personne n’évoque le « nouveau mur de
l’apartheid » ni la politique expansionniste d’Israël.
Des questions
Faut-il y voir un virage de la
politique européenne vis-à-vis du Proche-Orient ? L’accord
d’association entre l’Union européenne et Israël signé en 1995
ne pose-t-il pas comme condition le « respect partagé des
valeurs démocratiques et des droits de l’homme ? ». De quoi
pousser le Parlement européen à voter une résolution en 2002
exigeant la suspension de cet accord. Or, la réalité est autre
et l’Union européenne semble avancer sur ce processus
d’encouragement d’Israël à poursuivre ce même chemin de
violation.
Il suffit de citer quelques
exemples : l’Europe est le plus grand partenaire commercial
d’Israël (lire page 5). 40 % des importations et 30 % des
exportations israéliennes sont réalisées avec l’Union
européenne. Ils sont liés par des traités de libre-échange
commercial et de politique industrielle et bientôt par un accord
de coopération spatiale. Israël dispose déjà d’un statut de «
membre observateur » au Conseil de l’Europe, et participe à
presque toutes les manifestations européennes, comme le concours
de l’Eurovision. Et depuis 1991, les clubs israéliens
participent aux compétitions sportives européennes. Tel-Aviv
reçoit une aide européenne annuelle de 14 millions d’euros.
Une tentative d’explication
Parallèlement, le gouvernement
français a signé avec Israël un accord de reconnaissance
mutuelle qui permet aux sociétés israéliennes d’intégrer la
Bourse française sans être soumises aux vérifications de
régulateurs. Cet accord boursier pourrait être étendu à toute
l’Union européenne. Le militaire n’y échappe pas. Des programmes
de recherche-développement dans ce domaine ont été mis en place.
L’Otan a, de son côté, entériné un accord renforçant et
élargissant ses liens sécuritaires et diplomatiques avec Israël.
Cet accord permettra aux Israéliens de coopérer plus étroitement
avec l’Alliance dans divers domaines, en particulier la lutte
antiterroriste et l’échange d’informations sécuritaires. Un tel
accord devrait accroître le nombre d’exercices militaires
communs et permettre de collaborer dans l’action contre la
prolifération des armes nucléaires. L’Union européenne justifie
souvent ce rapprochement avec Israël par le fait qu’une
amélioration des relations faciliterait sa mission d’influencer
Israël et sa politique vis-à-vis des Palestiniens. Des liens
plus étroits ne seraient destinés qu’à encourager les
protagonistes du conflit israélo-palestinien dans leurs efforts
de négociations de paix. C’est du moins ce qu’a affirmé le
porte-parole du Quai d’Orsay, Eric Chevalier, au lendemain du
rehaussement des relations avec Israël. « Les ministres ont
insisté pour que cet approfondissement incite les autorités
israéliennes à faire plus pour améliorer les conditions de vie
sur le terrain (gel immédiat de la colonisation, ouverture des
points de passage vers Gaza, allégement des restrictions à la
circulation qui étouffent l’économie et entravent la vie
quotidienne des Palestiniens) et faire progresser le processus
de paix », a-t-il précisé. Et que veut dire « insister »
figurant ci-dessus ? Dire clairement les choses (...). Il s’agit
donc de rappeler les principes et de continuer à réaffirmer la
position politique de l’Union européenne sur le processus de
paix. Même son de cloche chez le Tchèque Karel Schwarzenberg,
qui a déclaré que le renforcement de ces relations « ne sera pas
uniquement de l’intérêt d’Israël mais également à plus d’un
titre de celui du peuple palestinien ».
Des mots qui peinent à
convaincre même les Palestiniens, estimant qu’Israël doit
d’abord faire davantage pour résoudre la crise humanitaire et
avancer sur le processus de paix avant d’être récompensé.
C’est-à-dire des signes tangibles d’un changement politique
d’Israël. Il semble pourtant que l’Union européenne n’a pas été
interpellée par le contexte politique dans la région. Le vote du
Parlement européen pour la suspension de l’accord d’association
ou encore le report du vote du rehaussement n’ont finalement
qu’une portée symbolique. Alors que concrètement, l’Europe
pourrait user de cette carte et faire preuve de davantage de
fermeté envers Israël ; au moins au nom des principes de droits
de l’homme et du droit international qu’elle véhicule. Mais l’UE
fait plutôt preuve d’une divergence importante entre rhétorique
et pratique. Laïla Chahid, déléguée générale de Palestine auprès
de l’Union européenne, souligne que l’UE « met Israël au-dessus
du droit ». La question se pose peut-être autrement, est-ce que
l’Union européenne veut vraiment avoir son mot à dire dans le
conflit israélo-palestinien ? A-t-elle une stratégie définie
dans ce sens ? Et le plus important, dispose-t-elle des moyens
adéquats pour apporter sa part face aux Etats-Unis, et pas
forcément dans le sens opposé ? Historiquement, le conflit
lui-même a été généré par une décision européenne concernant la
création d’Israël, suite à une bavure également européenne
qu’est l’holocauste. Oslo aussi, rappelle-t-on, le premier
accord isarélo-palestinien, voire le seul intégral, c’était
l’Europe. Madrid, c’est pareil. Les Européens, pas l’Union
européenne en particulier, étaient les médiateurs qui ont réussi
à décrocher ces rencontres historiques. L’Europe continue à
plaider pour des partenariats assez larges entre Arabes et
Israéliens, à travers tantôt un processus de Barcelone,
aujourd’hui agonisant, tantôt par de nouvelles initiatives, à
l’instar de l’Union pour la Méditerranée, cherchant à promouvoir
le développement économique. Politiquement, l’Union a lancé le
Quartette, qui englobe aussi la Russie, les Etats-Unis et les
Nations-Unies. Le porte-parole de ce groupement pour la paix au
Proche-Orient n’est que « l’Européen », le Britannique Tony
Blair. Il est vrai, on ne l’entend pas assez. Les envoyés
spéciaux ou représentants, Miguel Moratinos ou Javier Solana,
n’ont vraiment rien changé à la situation, mais il faut dire que
l’Europe, si motivation existe, pourrait changer les choses sur
le terrain ; surtout qu’elle n’a pas certainement intérêt à voir
prédominer un conflit à ses frontières sud-est. On parle au
moins des souffrances quotidiennes des Palestiniens, de leur
situation économique et encore du mur de la honte. A ce jour, la
situation catastrophique à Gaza, par exemple, ne semble pas
émouvoir les Européens. Bien au contraire ! L’Etat israélien
continue à bénéficier d’une immunité absolue. La Commission
européenne n’a pas eu honte de célébrer les 60 ans de
l’occupation de la Palestine, ou de la création d’Israël. Les
fonds alloués aux Palestiniens ont été bloqués depuis la
victoire du Hamas aux législatives et les observateurs européens
se sont retirés du point de passage de Rafah pour punir les
Palestiniens pour leur choix démocratique. On dit souvent que
l’Union européenne a une marge de manœuvre limitée, due aux
approches divergentes de ses Etats membres, ainsi est-elle
passée de « pro-arabe » à « pro-israélien ». Ce clivage européen
bloque alors tous ces moyens d’action et du coup, elle s’est
affaiblie aux yeux des Palestiniens et des Israéliens à la fois.
Les plus pragmatiques avancent qu’elle n’est pas en mesure de
concurrencer Washington qui simplement détient toutes les
ficelles du jeu.
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 17 décembre 2008 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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