Al-Ahram Hebdo
« Les conditions de vie à Gaza sont totalement inacceptables »
Photo Al-Ahram
Mercredi 9 septembre 2009
UNRWA .
Karen Konning Abuzayd, commissaire
générale de l’Office de secours et de travaux des Nations-Unies
pour les réfugiés palestiniens, fait le bilan de l’action de
cette agence et évoque les obstacles dressés par l’occupation
israélienne à son action dans les territoires palestiniens.
Al-ahram hebdo : L’Unrwa célèbre cette année son 60e
anniversaire. Quel bilan faites-vous de l’action de l’agence
onusienne ?
Karen Konning AbuZayd :
La naissance de l’Unrwa est intervenue à un
moment défini de l’histoire palestinienne contemporaine, celui
de la nakba. Et il aurait été très difficile de trouver une
autre institution qui s’identifie autant avec la pensée
collective palestinienne. Nous sommes comme deux frères siamois.
Nous nous sommes mis aux côtés des Palestiniens au cours des
dernières soixante années de dépossession et de privation de
leur Etat. Cela nous distingue de tous les acteurs humanitaires
et représente notre grande force. Non seulement nous partageons
un parcours et une histoire avec les réfugiés, mais également
nous employons environ 30 000 d’entre eux. Ce qui fait que notre
travail est fortement établi et que nous représentons également
une partie des communautés que nous nous sommes engagés à
servir.
Je n’aimerais pas, cependant, suggérer que
nous soyons associés uniquement aux côtés sombres et à la
souffrance de l’expérience palestinienne. J’aimerais que l’on
regarde aussi, par exemple, des expériences, telles que celles
vécues par les enfants de Gaza, il y a quelques semaines,
lorsqu’ils ont battu le record du nombre de cerfs-volants ayant
été lancés simultanément dans l’air. Le symbolisme et la beauté
de ce fait m’ont profondément touchée. Et je considère que le
symbolisme de cet acte exprime de manière beaucoup plus
éloquente le travail de développement humain que n’importe quel
rapport des Nations-Unies ou chiffre que nous puissions
présenter.
— Comment décrivez-vous les conditions de vie
et la situation humanitaire dans la bande de Gaza, surtout après
la guerre israélienne contre ce territoire en janvier dernier ?
— Le blocus imposé à Gaza est entré dans sa
troisième année et nous ne devons pas oublier que celui-ci est
l’arrière-plan de la situation que nous avons en ce moment. Et
si nous observons plus soigneusement la situation, nous
constatons que c’est la première fois de l’histoire humaine
qu’un peuple vivant sous l’occupation est soumis à un blocus qui
est le plus rigoureux de l’histoire même des relations
commerciales.
Les conditions de vie à Gaza sont totalement
inacceptables. J’ai vu comment l’impact du blocus a affecté tous
les aspects de l’existence humaine sur le terrain. J’ai été
témoin du bouleversement des vies privées, observé la vie
publique et l’infrastructure s’éroder lentement. Ces choses sont
faciles à détruire mais très difficiles à reconstruire, raison
pour laquelle il est difficile de penser à l’avenir avec
optimisme. Près de 60 000 foyers ont été endommagés ou détruits
au cours des combats à Gaza et bien que nos donateurs nous aient
promis et généreusement répondu à nos appels pour la
reconstruction de Gaza, sans la levée du blocus pour que le
matériel de construction puisse entrer, les personnes resteront
confinées dans une vie de destitution abjecte. Et comme je l’ai
dit à plusieurs reprises, c’est toujours dans la détresse et le
désespoir que l’extrémisme s’empare facilement des esprits.
— Comment l’Unrwa travaille-t-elle sur le
terrain ?
— Notre expérience montre que là où nous ne
sommes pas confrontés à des obstacles, tels que celui du blocus
ou les cruautés de l’occupation, il nous est possible de faire
du bon travail. Notre action en Jordanie et en Syrie donne une
preuve de cela.
Et je pense que souvent on oublie que nous
avons des programmes d’éducation, de santé, de secours et de
services sociaux dans tout le Moyen-Orient. Pendant mon mandat
en tant que commissaire général, nos programmes ont augmenté.
Mais comme je tiens toujours à souligner, notre réelle
contribution se fait à travers le capital humain, car notre
travail consiste à se concentrer sur le développement humain et
non à mener des actions d’urgence.
— Quels sont les principaux obstacles, au
travail quotidien de l’agence, créés par l’occupation
israélienne ?
— J’ai déjà parlé de ceux produits par le
blocus de Gaza, mais aussi en Cisjordanie, bien qu’on puisse
soutenir que cette partie des territoires occupés soit plus
stable, l’occupation y est tout autant destructive de la
normalité de la vie. Avec la présence des centaines d’obstacles
physiques, beaucoup d’entre eux sont associés à l’existence et
la protection des colonies illégales, la vie normale des
Palestiniens est rendue entièrement impossible. En plus de cela,
la barrière de séparation, ce qu’on appelle, le mur, sépare les
fermiers de leurs terres, les communautés de leurs sources
d’eau, divisent les familles et nombreux sont ceux qui sont
empêchés de voir leurs êtres chers à Jérusalem à cause de cette
barrière. Tous cela sans mentionner l’impossibilité pour
beaucoup d’accéder aux lieux saints.
L’Unrwa est elle aussi réduite par ce régime
de fermeture. Des centaines de membres travaillant pour l’agence
ont quotidiennement de sérieuses difficultés pour traverser les
barrières afin d’accéder à leur travail. Nos enfants ne peuvent
pas souvent aller à l’école et nous faisons face à des
problèmes, en particulier dans celle qui sépare la barrière de
la ligne verte. A cet endroit, les gens sont terriblement
isolés, aussi bien de leurs communautés que de l’accès aux
services que nous assurons.
— L’Unrwa fait actuellement face à des
problèmes financiers avec la réduction par de nombreux pays de
leurs contributions. Comment traitez-vous cette question ?
— Nous avons en effet une crise de liquidité,
mais nous avons une stratégie pour essayer d’affronter ce
problème, bien qu’au bout du compte, cette stratégie puisse
seulement fonctionner si les donateurs tiennent leurs promesses.
Premièrement, il faut dire qu’au cours des
trois dernières années, nous avons été engagés dans une profonde
réforme de l’agence que nous appelons développement
organisationnel. Cela a fait que nous dirigions nos réponses aux
nécessiteux d’une manière plus concentrée et cela a simplifié et
rendu plus efficace l’approche de l’octroi de l’aide.
En deuxième lieu, nous envisageons l’idée de
partenariat d’une manière systématique. Il est devenu clair,
pour moi, en tant que commissaire générale, que nos donateurs
traditionnels sont arrivés à un point de saturation ; pour cette
raison, nous devons chercher de nouveaux partenaires et de
nouvelles manières d’aborder la question des fonds. Alors nous
sommes en train d’envisager l’idée de partenariat avec le
secteur privé et élargir notre définition de contributions, pour
que celles-ci puissent inclure des donations en espèces, mais
aussi en tant que services.
Ceci dit, notre situation économique est de
plus en plus délicate, avec les demandes croissantes des besoins
des réfugiés, qui ne sont pas accompagnées par une augmentation
des contributions des donateurs. Et des coupes encore plus
importantes seront inévitables à moins que les donateurs nous
viennent en aide.
— De nombreuses voix se lèvent constamment en
Israël pour accuser l’Unrwa d’être responsable de la
pérennisation du problème des réfugiés palestiniens. Qu’en
dites-vous ?
— Je me sens blasée et j’ai une sensation de
déjà-vu lorsque j’entends ce genre de commentaires et ressens
qu’ils deviennent de plus en plus irrationnels à chaque
répétition. Est-ce que ces gens pensent vraiment que les
réfugiés palestiniens disparaîtraient par magie au cas où l’Unrwa
cesserait d’exister et que le Haut Commissariat aux Réfugiés
(HCR) assumait cette responsabilité ? Si nous disparaissions,
les réfugiés auraient à choisir entre les trois options
disponibles à l’ensemble des réfugiés du monde : s’installer là
où ils se trouvent, aller à un pays tiers ou rentrer dans leur
pays d’origine. Le problème des Palestiniens c’est qu’ils n’ont
pas un Etat où retourner ou aller.
En réalité ce qui fait que le problème des
réfugiés palestiniens continue d’exister c’est l’absence d’un
règlement politique. Et je répète constamment aux négociateurs
de paix qu’il ne faut pas mettre la question des réfugiés dans
le tiroir et la classer comme une question intraitable du statut
final. Cette question doit être centrale dans les efforts de
paix.
— Vous vous approchez de la fin de votre
mandat, après dix ans passés à la tête de l’Unrwa. Quelle leçon
tirez-vous de votre action ?
— Au moment où je m’approche de mes derniers
mois à la tête de cette agence, je me sens profondément
gratifiée par la reconnaissance que l’Unrwa est en train de
recevoir. Et cela spécialement au moment où l’agence commémore
son 60e anniversaire. Dans quelques semaines, l’Assemblée
générale des Nations-Unies accueillera une session spéciale de
haut niveau pour rendre hommage au travail de l’Unrwa au cours
des soixante dernières années. Plus de 100 gouvernements nous
ont indiqué qu’ils profiteraient de cette occasion pour exprimer
solennellement leur appréciation pour notre contribution et pour
le fait que l’Unrwa est devenue un acteur fondamental pour la
paix.
Je suis remplie de fierté, non pas parce que
je suis la commissaire générale sortante, mais plutôt pour les
centaines des mes collègues, tout comme pour les réfugiés. Je
crois qu’il existe une conscience croissante que l’Unrwa n’est
pas une partie du problème, mais plutôt une partie intrinsèque
et incontournable de la solution
Propos recueillis par Randa
Achmawi
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réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 9 septembre 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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