Al-Ahram Hebdo
Pressions en série
Chérif Albert
Photo Al-Ahram
Mercredi 3 décembre 2008
Gaza.
Les manifestations se multiplient pour
afficher la solidarité avec les Palestiniens soumis à un blocus
« inhumain », mais aussi pour décrier la « passivité » des
régimes arabes.
Israël étrangle les Gazaouis et
les Egyptiens s’en prennent à leur gouvernement. Un scénario à
répétition. Depuis près de deux semaines, l’Egypte est le
théâtre de manifestations, notamment d’étudiants islamistes, qui
exigent du gouvernement égyptien qu’il brise le blocus imposé
par Israël à la bande de Gaza. Un blocus renforcé le 5 novembre,
fermant tous les points de passage en représailles à des tirs de
roquettes palestiniennes.
Ce week-end, à la sortie de la
prière du vendredi, la confrérie des Frères musulmans a organisé
avec un nombre de syndicats professionnels et de partis
politiques une cinquantaine de sit-in à travers le pays. Les
manifestants ont dénoncé « le silence suspect » des dirigeants
arabes face à ce qui se passe à Gaza.
Plusieurs centaines de
manifestants se sont rassemblés la semaine dernière devant le
syndicat des Journalistes pour manifester leur solidarité avec
les Palestiniens de Gaza et décrier « l’apathie » des régimes
arabes. En parallèle, plusieurs manifestations estudiantines ont
eu lieu notamment devant l’Université du Caire et dans le campus
de l’Université d’Al-Azhar. Les étudiants avaient scandé des
slogans hostiles au régime égyptien donnant lieu à des
affrontement avec les forces de sécurité.
Le terminal de Rafah, seul accès
au monde extérieur pour le 1,5 million d’habitants de Gaza, est
fermé quasiment en permanence depuis juin 2006, après
l’enlèvement d’un soldat israélien dans une attaque à la lisière
de la bande de Gaza.
Il ne peut fonctionner en temps
normal sans l’aval d’Israël, aux termes d’un accord conclu en
2005 et qui prévoit la présence sur place d’observateurs
européens et de représentants de l’Autorité palestinienne. Mais
ces observateurs se sont retirés après le coup de force du
mouvement islamiste du Hamas, qui contrôle la bande de Gaza
depuis juin 2007.
L’Egypte a condamné
officiellement par la voix du ministre des Affaires étrangères,
Ahmad Aboul-Gheit, le blocus israélien imposé sur Gaza,
considéré comme « une violation évidente du droit international
». « Israël n’a pas le droit de considérer Gaza comme une entité
hostile, cette attitude est contraire aux accords de Genève
relatifs aux territoires occupés », a noté Aboul-Gheit tout en
appelant la communauté internationale et les Nations-Unies à
intervenir pour amener Israël à alléger le blocus. Mais les
opposants demandent à l’Egypte de se désengager de cet accord et
d’affirmer sa « suprématie » sur ses frontières.
« Malheureusement, les
gouvernements arabes, la Ligue arabe et l’Egypte sont
responsables de cette situation », estime Essam Al-Eriane, un
cadre de la confrérie. « La Ligue arabe a pris une série de
décisions, dont la dernière date du 26 novembre en faveur d’une
levée du blocus, or jusqu’à maintenant, on n’a pas vu un seul
camion de vivres traverser la frontière. Je crains que si ce
dossier est examiné par un tribunal pénal international, on
verra les responsables arabes accusés de crimes contre
l’humanité », ajoute-t-il.
La confrérie tient pour
responsable notamment le gouvernement égyptien. Sa stratégie
consiste donc à rallier les forces politiques et l’opinion
publique pour « contrebalancer » les pressions exercées par les
Etats-Unis sur le gouvernement égyptien, « ne serait-ce que pour
fournir à celui-ci un bon prétexte pour réagir », affirme Al-Eriane.
Nombreux sont ceux qui partagent
la vision des islamistes, même s’ils ne sont pas motivés par la
même idéologie. Ainsi, le nassérien Abdallah Al-Sénnawi pense
qu’indépendamment du Hamas et des Frères, « les Egyptiens se
doivent d’être solidaires avec les habitants de Gaza qui vivent
depuis des mois dans des conditions inhumaines. Il y a 1,5
million d’habitants dont la vie est en danger ».
D’un point de vue humain mais
aussi du point de vue de l’intérêt national, Al-Sénnawi note les
liens familiaux entre les tribus de Rafah, à cheval de l’Egypte
et de la Palestine. « Au niveau sécuritaire, l’Egypte ne peut
pas fermer les yeux et se désengager complètement. C’est une
affaire égyptienne par excellence, l’ignorer est très dangereux
et céder aux prises de positions israéliennes ne l’est pas moins
», conclut-il.
Toutefois, ladite responsabilité
de l’Egypte est loin de faire l’unanimité des Egyptiens. «
Personne n’admet ce qui se passe à Gaza et il est très probable
de voir la colère des Egyptiens monter encore plus, sauf
qu’aucune entité politique n’a le droit de s’approprier ces
protestations », affirme le député du parti libéral du Wafd,
Mohamad Moustapha Cherdi, en référence à la confrérie des Frères
musulmans, qui se positionne à l’avant-garde des «
manifestations de solidarité ».
Cherdi refuse aussi que cette
colère soit dirigée contre l’Egypte. « Si Israël a soumis Gaza à
un blocus, que peut faire le gouvernement égyptien ? Qu’est-ce
qu’on a, nous, à faire là-dedans ? Pourquoi c’est toujours aux
Egyptiens d’assumer les erreurs des Palestiniens ? », s’indigne
le député wafdiste.
En effet, les conflits intestins
des factions palestiniennes, notamment le Fatah et le Hamas, et
la guerre qu’elles se livrent ont amené beaucoup d’Egyptiens à
remettre en question leur sympathie pour ceux qui s’intéressent
avant tout au pouvoir et non à leur cause nationale.
Comme le note le chercheur Nabil
Abdel-Fattah du Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques
(CEPS) d’Al-Ahram, « la situation précaire au niveau
inter-palestinien est un facteur primordial dans la souffrance
des Gazaouis, sans un rapprochement entre le Fatah et le Hamas,
il ne sera pas possible d’alléger le blocus ».
Pour lui, le « mécontentement »
des Egyptiens fait partie d’une stratégie classique des Frères
musulmans qui exploitent ce qui se passe à Gaza pour rallier les
sympathisants et l’opinion publique contre le gouvernement. « Il
ne faut jamais oublier que le Hamas et les Frères partagent une
même idéologie », souligne Abdel-Fattah. « Je ne pense pas que
le gouvernement égyptien aura recours à une ouverture partielle
des frontières pour absorber cette colère. Au contraire, il aura
recours comme d’habitude à l’appareil sécuritaire contre les
Frères », conclut le chercheur.
Apparemment, c’est un amalgame
des deux options que l’Egypte a décidé de mettre en œuvre.
Vendredi, 120 malades palestiniens ont été autorisés à franchir
la frontière pour se faire soigner dans les hôpitaux égyptiens.
Les autorités égyptiennes ont également indiqué qu’elles
ouvriraient le terminal de Rafah pour trois jours afin de
permettre le passage d’environ 3 000 pèlerins palestiniens pour
La Mecque via la mer Rouge. Et le lendemain, samedi, 28 membres
de la confrérie ont été arrêtés dans les villes littorales de
Marsa Matrouh et d’Alexandrie pour « appartenance à une
organisation illégale ».
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 3 décembre 2008 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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