Opinion
«Modérer» le
colonialisme
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Dimanche 22 janvier
2012
Alain
Juppé, le ministre français des affaires
étrangères, remet ça. L'année dernière,
il avait déjà dit : «Moins de mémoire,
plus d'avenir». On voudrait bien, mais
il faudrait que l'on puisse traiter de
cent trente deux années de colonialisme
sans parler de colonialisme,
d'indigénat, de spoliation... Le
ministre n'a pas la recette qu'il faut.
Alors, cette année il veut juste qu'il y
ait de la modération. Là aussi on
voudrait bien. Sauf qu'il faudrait
trouver ce que la mémoire peut modérer.
On pourrait s'inspirer de l'Histoire de
la France occupée par les Allemands,
mais on n'y trouve pas ce qui peut
ressembler à de la modération, quand il
y faut décrire la vie d'un peuple sous
la botte, les exécutions sommaires, les
déportations, les représailles
collectives, les Oradour, qui jalonnent
l'action des nazis. Peut-être que sur le
plan officiel, il n'y aura pas de
petites phrases qui fâchent ou pas de
phrases du tout. Cependant, au niveau où
la diplomatie ne peut exprimer que de la
censure ou un diktat, il ne sera
question que de la vérité, ni plus ni
moins. Aux déclarations de Juppé sont
venus se greffer des commentaires et des
supputations sur l'attitude que pourrait
avoir le gouvernement algérien. Une
occasion de passer un message en vogue,
qui va droit au cœur du ministre
français. Durant les premières années de
l'indépendance, il ne serait venu à
l'idée de personne de mettre sur le même
plateau son opposition politique aux
gouvernants et la question de la
souveraineté nationale. Ce n'est plus le
cas. Un journal en ligne, parlant de
bilan, évoque un «échec du système» et
estime qu'en cinquante ans le pays a peu
avancé (lire : la fin de la nuit
coloniale, du deuxième collège, du code
de l'indigénat, le recouvrement de la
citoyenneté, ne sont pas des avancées).
Le lien étant clairement établi avec le
passage du colonialisme à la
souveraineté nationale, il nous est
difficile de lire autre chose qu'il y
aurait un «échec de l'indépendance» et
qu'on aurait mieux avancé, sans elle. Ce
n'est ni de la paranoïa nationaliste, ni
une obsession d'anti-impérialiste. Ce
type de discours a de plus en plus
tendance à être instillé dans l'opinion
publique par des plumes particulièrement
cyniques, sur fond d'attaques prétendues
contre le pouvoir en place et/ou ses
turpitudes. La méthode est insidieuse et
très difficile à contrer, dans un
contexte vicié par l'absence d'espaces
de débats où les moyens les plus en vue
sont soit entre les mains de l'Etat et
de ses fonctionnaires politiques, soit
en possession d'une faune d'opérateurs
privés surfant sur les principes
d'opposition démocratique ou autre. La
défense de la République s'en trouve
fortement amoindrie et oblige à recourir
à des appels alarmistes sur les menaces
d'ingérences étrangères. Cette semaine,
des personnalités nationales, dont un
ancien ministre, Ghazi Hidouci, ont mis
en ligne, sur le site d'Algeria Watch,
un texte intitulé «un appel au débat et
à l'organisation des Algériens», qui est
l'expression de ce sentiment de révolte
contre l'arrogance des grandes
puissances, contre les offres de service
ouvertes que leur font des courants qui
ne se cachent plus et contre la
prostration de l'Etat qui semble reculer
sur beaucoup de principes, devant les
attaques néocolonialistes. Un sentiment
qui ne trouve nulle part où s'épancher
et être partagé. Mais la mémoire est là
qui ne dort pas et que rappellera au
jour la moindre atteinte à ce que
d'aucuns veulent remettre en cause.
Article publié sur
Les Débats
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