Opinion
Le devoir
d'écriture
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Mercredi 8 mai
2013
Il y a
tellement de choses qui ont été dites
sur le 8 mai 1945 de Sétif, Kherrata,
Guelma, livrées à la lâcheté criminelle
de l'armée et des milices coloniales,
celui des douars soumis au feu du ciel,
quand d'autres feux, festifs ceux-là,
illuminaient de leurs couleurs les nuits
parisiennes et celles de toutes les
villes et villages de France. Il y a
tellement de choses qui ont été
racontées sur les fusillades, sur les
exécutions sommaires, sur les lynchages
et sur les cadavres amoncelés en
charniers, pour l'exemple, quand les
bals musettes faisaient vibrer les
places des villes et villages de France.
Il y a tellement de choses qui ont été
écrites, qu'il semble qu'il n'y a plus
rien qui vaille la peine de dire, de
raconter, d'écrire l'innommable barbarie
qui a meurtri à jamais la mémoire
algérienne. Pourtant, il faut continuer
à en parler, à redire, à répéter et à
réécrire, sans cesse. Berthold Brecht
écrivait, parlant du fascisme, «le
ventre est encore fécond, d'où a surgi
la bête immonde». Cette affirmation
s'applique, de même, on ne peut mieux,
au colonialisme face auquel il ne pas
faut se résigner. Au nom de l'humanité,
refusée à des milliers d'être humains,
comme elle a été refusée à leurs
compatriotes plus d'un siècle durant. Au
nom des supplices, des martyres infligés
à l'innocence désarmée. «Pour que nul
n'oublie» et aussi et surtout pour que
ceux qui ne savent pas apprennent le
visage du crime et l'apprennent à leur
tour aux générations qui viennent. Parce
que se taire, c'est lâcher la bride aux
criminels, c'est peut-être même leur
donner raison. Car la bête est toujours
à l'œuvre et ne semble pas près de
renoncer. On a cru, un temps, qu'elle
avait reculé. On a eu tort. Elle revient
plus féroce et plus déterminée que
jamais, sous d'autres oripeaux qui
cachent mal ses desseins morbides. Elle
n'a pas désarmé et n'a jamais cessé de
rêver de puissance et de prédation. Elle
rode autour de la proie, qu'elle
voudrait voir tomber pour l'aider à
mourir, pour se vautrer ensuite dans son
sang. Elle voudrait même l'aider à
succomber. Elle l'y pousse. Au nom des
mêmes principes qu'elle brandissait du
temps des conquêtes sans risques, quand
elle a «civilisé» dans leur sang les
«indigènes» à travers le monde. Elle a
le sourire aux lèvres et la main sur le
cœur, elle crie à la bienfaisance de ses
bombardements «révolutionnaires» et de
ses guerres «zéro mort». La bête, la
barbarie, qui a massacré hommes, femmes
et enfants, notre peuple, il y a 68 ans,
il y a 59 ans, il y a 183 ans, tout au
long d'un horrible déni de droit, est la
même que celle qui chante cette
«démocratie» revisitée, parfois reprise
en chœur par ceux qui ont cédé à la
tentation d'être promus au sein des
peuples convoités. Pour cela, ne pas se
taire, jamais, convoquer le souvenir, la
mémoire des victimes, faire revivre sans
cesse le passé de la bête, si réel, si
présent, si menaçant. Ce 8 mai 2013,
nous ne devrions pas faillir à la
mémoire des dizaines de milliers
d'Algériens qui ont témoigné et qui
témoignent par leur mort, par delà les
années, de l'infamie colonialiste.
Article publié sur
Les Débats
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