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Opinion
Téhéran-Gaza : la
différence médiatique
Ahmed Bensaada
Montréal, le 25 juin 2009
Époustouflant! La blogosphère a la fièvre et la température
risque de faire exploser le chaudron néo-médiatique. Twitter,
Youtube, Facebook, Google, tous les grands joueurs de la toile
ont décidé de voler au secours de la rue d'Iran.
Et une seule question me vient à l'esprit : mais où diable
étaient-ils pendant le massacre de Gaza?
Petite clarification en guise d'introduction : loin de moi
l'idée d'analyser les élections iraniennes, ni de démontrer
qu'il y a eu fraude électorale ou non. De toute façon, et
contrairement à ce qu'affirment les médias occidentaux, il est
très difficile d'avoir une position juste et tranchée sur le
sujet. Ce qui a attiré mon attention, c'est plutôt cette
magnanimité débordante dont font preuve ces tisseurs de toiles
relayés par la fébrilité des médias classiques dans la
couverture des récents événements iraniens, alors qu'elle était
inexistante lors du massacre de Gaza.
Pourtant, les deux situations présentent des similitudes du
point de vue médiatique. À Gaza, l'état sioniste avait interdit
l'entrée aux médias occidentaux. Encore mieux, il avait «embedded
» des journalistes, c'est-à-dire inclus au sein de Tsahal pour
qu'ils donnent une image réaliste de la propreté du massacre. En
Iran, les journalistes en place sont «interdits» de faire leur
travail et ne peuvent donner une information «fiable». Alors,
comment informer ces occidentaux si épris de justice et de
liberté? Eh bien, en utilisant l'information communiquée par les
citoyens via les sites de réseautage social. Et toutes les
informations produites par monsieur ou madame Tout-le-monde sont
bonnes à prendre et à diffuser dans les plus grands journaux et
canaux de télévision : CNN, TF1, France 24, Le Monde, Le Nouvel
Observateur, L'Express, Radio-Canada et j'en passe. Et dire que
de vrais journalistes étaient présents à Gaza. Mais ceux-là
n'étaient que des journalistes arabes, donc non crédibles ou
même incompétents, n'est-ce-pas? Plus incompétents que le simple
citoyen iranien qui, armé de son clavier, envoie les vidéos de
médiocre qualité enregistrées sur son téléphone portable. Moins
crédibles que les internautes iraniens alors qu'eux autres ont
risqué leurs vies sous les bombes au phosphore ou les DIME,
protégés par des dérisoires casques et gilets pare-balles.
Certains d'entre eux ont même perdu leur vie dans l'exercice de
leur fonction. «Mais non, on ne peut pas les croire». «Il faut
vérifier l'information». «L'information est manipulée et les
chiffres gonflés». Mais peut-on croire ce qui est transmis par
le biais des sites de réseautage social?
À cet effet, on peut lire sur le site True/Slant (1) qu'une
liste d'erreurs (préméditées?) a été diffusée par les
utilisateurs de Twitter. Parmi elles, le fait que trois millions
de personnes ont manifesté alors que la foule a été estimée à
des centaines de milliers, que Mir Hossein Moussavi était
assigné à résidence et que l'élection avait été invalidée, alors
que c'était faux.
Autre accointance curieuse et insolite de ce site de
socialisation : le ministère américain des Affaires étrangères
lui a demandé de reporter une opération de maintenance qui
aurait entraîné une interruption de service, ce qui aurait privé
les opposants iraniens de moyen de communication (2). Et Twitter
a accepté. Même la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton
a estimé que Twitter était important pour la liberté
d'expression en Iran (3). Le Premier ministre britannique Gordon
Brown y est allé, lui aussi, de sa philosophie tautologique sur
les colonnes du Guardian en affirmant qu'Internet a changé la
politique étrangère à jamais: « Une situation comme celle du
Rwanda ne peut plus se reproduire car l'information sortirait
rapidement et l'opinion publique s'amplifierait de sorte que des
mesures devraient être prises » (4). Monsieur le locataire du 10
Downing Street, vous qui avez une bonne mémoire des génocides,
pouvez-vous nous dire quelque chose sur celui de Gaza, bien plus
récent?
Les Israéliens, comme s'ils pouvaient donner des leçons en
matière de libertés individuelles, se sont aussi jetés dans la
blogosphère. Un Israélien de 24 ans, du nom d'Arik Fraimovich, a
créé une application permettant aux internautes utilisant
Twitter de teinter les images de leur profil avec la couleur
verte, symbole de la révolte iranienne. Des Israéliens qui
veulent le bien des Iraniens : décidemment, le cyberespace a ses
raisons que la raison ne connaît pas.
Des citoyens américains se sont joints à la révolution de
l'information booléenne.
Certains d'entre eux ont mis à la disposition des internautes
iraniens des serveurs proxy pour leur permettre d'accéder aux
sites bloqués par les autorités. D'autres leur ont permis
d'avoir accès à Tor, un service qui permet la navigation anonyme
sur Internet (5).
La semaine dernière, le célèbre site suédois de téléchargements
illégaux Pirate Bay, dont les fondateurs ont été récemment
lourdement condamnés, ont proposé un service analogue aux
blogueurs iraniens et ont mis en ligne un très grand nombre de
vidéos amateurs sur les évènements de la République Islamique.
Un laboratoire de recherche de l'Université de Toronto, Citizen
Lab., a décidé de fournir aux internautes d'Iran le logiciel
Psyphon qui est conçu pour contourner les filtres de la censure
gouvernementale (6).
Le site de partage vidéo Youtube s'est transformé en média
d'information en procédant à des mises à jour fréquentes et les
sites Google et Facebook ont lancé des services en langue farsi
spécialement conçus pour l'occasion. Comme quoi la fin justifie
les moyens.
Les chaînes de télévision et les médias électroniques
occidentaux se sont servis des vidéos de piètre qualité et
d'origine non vérifiable pour décrire la rue iranienne alors
qu'elles n'ont jamais voulu diffuser des reportages de qualité
professionnelle réalisés par les journalistes chevronnés des
chaînes arabes, encore moins les nombreux témoignages vidéos
postés sur Youtube lors de l'hécatombe de Gaza. On est bien aux
antipodes de ce qu'affirmait le « pseudo- philosophe » Alain
Finkielkraut lors d'une émission diffusée en avril dernier : «
Internet est une poubelle » (7) ou de la fameuse « Internet (…)
c'est la planète des singes » de Philippe Val (8).
Il est bon de rappeler, qu'à l'inverse de ce qui se passe en
Iran, c'est l'état israélien qui avait utilisé Twitter et
Youtube pour fin de propagande pendant qu'ils bombardaient les
civils Gazaouis. Son armée avait ouvert un compte sur Youtube (Idfnadesk)
(9) pour y diffuser des images « propres » du génocide. À New
York, le consulat d'Israël avait créé une page sur Twitter pour
répondre aux questions des citoyens sur la « légitimité » du
massacre (10). Le major Avital Leibovich, responsable de la
presse étrangère au sein de l'armée israélienne, a déclaré, à ce
sujet, que: « La blogosphère et les nouveaux médias sont une
autre zone de guerre ». Et les troupes du Shin-Bet
(contre-espionnage israélien) sont depuis longtemps sur Facebook
et Myspace (11).
Comme les génocidaires sionistes n'ont été ni condamnés, ni même
inquiétés pour la liquidation de plus de 1400 palestiniens, il
faut s'attendre à ce qu'ils recommencent sous peu. Alors, un
petit conseil pour les activistes de la toile et les défenseurs
de la liberté cyberspatiale: fournissez les logiciels de
contournement et de navigation anonyme et consolidez, dès
maintenant, l'infrastructure de vos sites de socialisation en
Palestine. Vous serez minutieusement informés lorsque le
prochain massacre aura lieu. À moins que Tsahal vous ait déjà
contacté.
Références :
1. Joshua Kucera . (Page consultée le 22
juin 2009). What if Twitter is leading us all astray in Iran?,
[En Ligne]. Adresse URL: http://trueslant.com/joshuakucera/2009/06/15/what-if-we-are-all-wrong-about-iran/
2. Technaute . (Page consultée le 22 juin
2009). Iran : Washington intervient auprès de Twitter, [En
Ligne]. Adresse URL:
http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/200906/16/01-876173-iran-washington-intervient-aupres-de-twitter.php
3. AFP . (Page consultée le 21 juin 2009).
Clinton says Twitter is important for Iranian free speech, [En
Ligne]. Adresse URL:
http://www.google.com/hostednews/afp/article/
ALeqM5h6iCR8fA4XQ4OHnzc0sxe3aadMxg
4. The Guardian. (Page consultée le 20
juin 2009). Internet has changed foreign policy for ever, says
Gordon Brown, [En Ligne]. Adresse URL:
http://www.guardian.co.uk/politics/2009/jun/19/gordon-brown-internet-foreign-policy
5. TOR . (Page consultée le 21 juin 2009). Tor: l'anonymat en
ligne, [En Ligne]. Adresse URL:
http://www.torproject.org/index.html.fr
6. CBC. (Page consultée le 22 juin 2009).
Iran's emerging �'netwar', [En Ligne]. Adresse URL:
http://www.cbc.ca/technology/story/2009/06/16/iran-twitter-netwar-greg-walton-citizen-lab.html
7. Mefeedia. (Page consultée le 23 juin
2009). Pour Finkielkraut Internet est une poubelle, [En Ligne].
Adresse URL:
http://www.mefeedia.com/entry/pour-finkielkraut-internet-est-une-poubelle/17559592
8. Le Nouvel Observateur. (Page consultée le 23 juin 2009).
Charlie Hebdo ouvre son site internet, [En Ligne].
Adresse URL:
http://tempsreel.nouvelobs.com/
actualites/multimedia/20080912.OBS1041/
charlie_hebdo_ouvre_son_site_internet.html
Philippe Val est actuellement directeur de France-Inter
(Radio-France). Ce polémiste controversé était à l'origine de la
publication intégrale des caricatures du Prophète (SAWS)
lorsqu'il était directeur de la rédaction de Charlie Hebdo.
9. Youtube. (Page consultée le 23 juin
2009). IDF Spokesperson's Unit, [En Ligne]. Adresse URL:
http://www.youtube.com/user/idfnadesk
10. Twitter. (Page consultée le 23 juin
2009). Hey there! Israelconsulate is using Twitter, [En Ligne].
Adresse URL: http://twitter.com/IsraelConsulate
11. Le Figaro.fr. (Page consultée le 23 juin 2009). Les espions
israéliens ouvrent un blog, [En Ligne]. Adresse URL:
http://www.lefigaro.fr/international/2008/03/18/01003-20080318ARTFIG00462-les-espions-israeliens-ouvrent-un-blog.php
Ahmed
Bensaada, Docteur en physique - Montréal, Canada
Article publié sur
Le Quotidien d'Oran, 25 juin 2009
Les analyses d'Ahmed Bensaada
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