Opinion
Clôtures
israéliennes et palabres égyptiennes
Ahmed
Bensaada
Mardi 15 janvier
2013
Si la tendance se maintient, Israël
deviendra, dans un avenir très proche,
le seul territoire du monde totalement
protégé par des barrières créées de main
d’homme.
La première clôture édifiée par l’état
hébreu est celle qui est communément
appelée « mur de l’apartheid », mais
baptisée « clôture de sécurité
israélienne » pour faire « politically
correct ». Longue de plus de 700
kilomètres, elle serpente à travers les
terres afin de séparer physiquement les
Palestiniens des Israéliens.
On estime que seuls 20 % de cette
clôture suivent le tracé de la Ligne
verte, frontière entre la Palestine et
l’état hébreu d’avant 1967. La
construction de cet ouvrage
ségrégationniste, estimée à plus de
2,5 millions d’euros le
kilomètre, a permis à Israël de gruger
inexorablement les terres palestiniennes
au vu et au su de la communauté
internationale. Ainsi, sous le prétexte
sécuritaire, le « mur de l’apartheid » a
favorisé l’annexion de nouveaux
territoires en plus de compliquer
considérablement la vie des
Palestiniens.
Le 2 janvier dernier, Israël a achevé la
construction du principal tronçon de la
clôture qui longe, dans le Sinaï, sa
frontière avec l’Égypte. Haute de cinq
mètres et longue de 230 kilomètres,
cette barrière est constituée d’une haie
de barbelés, d’un chemin de sable et
d’infrastructures de collecte
d’informations très sophistiquées. Après
l’achèvement de la section finale de 14
kilomètres prévue dans trois mois, la
clôture s’étirera du port d’Eilat (sur
la mer rouge) à la bande de Gaza.
Profitant de cet évènement pour faire
campagne sur le thème sécuritaire,
Netanyahou, le chef du gouvernement
israélien, est allé sur place afin
d’inaugurer l’ouvrage qui a nécessité
45 000 tonnes d’acier et près de 430
millions de dollars américains.
«
Je pense que le succès nous encourage à
entreprendre nos travaux sur les autres
frontières. A l’avenir, nous fermerons
toutes les frontières d’Israël »
a-t-il déclaré [1].
Voilà donc, dans toute sa splendeur, le
rêve de « Bibi » : entourer Israël et
ses colonies de barbelés!
Et il œuvre d’arrache-pied pour sa
concrétisation.
En effet, le 6 janvier 2013, il annonça
la construction d’une barrière fortifiée
sur le plateau du Golan d’une longueur
de 70 kilomètres, le long de la
frontière israélo-syrienne. De même type
que celle érigée dans le Sinaï, cette
clôture est censée protéger l’état
hébreu d’éventuelles incursions de
groupes terroristes présents dans la
région et impliqués dans le conflit
syrien. Elle permet aussi (et surtout)
d’assurer la quiétude des colons vivant
dans les quelques dizaines de colonies
implantées dans cette région syrienne et
d’en parachever la judaïsation.
Afin d’exaucer le vœu de Netanyahou et,
ainsi, enfermer l’état hébreu dans une
« cage », il ne reste donc plus à Israël
qu’à s’attaquer aux frontières syrienne
et jordanienne.
C’est ce que le premier ministre
israélien avait annoncé, dès le 1er
janvier 2012. Le long de la frontière
Ouest avec la Jordanie, un tronçon de
240 kilomètres (évalué à 360 millions de
dollars américains) sera construit.
Dans un article fouillé sur la question,
le « Monitoring Israeli Colonizing
activities in the Palestinian West Bank
and Gaza », projet financé par l’Union
Européenne, a noté que : « La
décision israélienne d’installer une
clôture de sécurité le long de la
frontière jordanienne contient une
dimension plus grave encore que la
dégradation des conditions de vie des
Palestiniens. Le Jourdain est considéré
comme frontière naturelle reconnue
internationalement. La diplomatie des
Murs israélienne vise en réalité à
élargir le territoire israélien de la
Mer Méditerranée à l’Ouest jusqu’aux
rives du Jourdain à l’Est, négligeant
ainsi le peuple palestinien et son droit
à un État, dont la frontière jordanienne
sera la principale porte d’entrée et de
sortie vers le monde. Ainsi, la barrière
de sécurité à la frontière jordanienne
est le début du pire scénario
envisageable : le déplacement forcé de
tous les palestiniens vers la Jordanie,
scénario considéré par certains groupes
israéliens et leaders politiques comme
plausibles, voyant en l’existence du
peuple palestinien une menace continue à
l’existence de l’État juif » [2].
Dans le
nord, à la frontière
israélo-libanaise, la construction d’un
mur de deux kilomètres de long et de
plusieurs mètres de haut a débuté le 30
avril 2012. Son utilité : séparer le la
colonie israélienne de Metula du village
libanais de Kafr-Kila [3].
De cette course hystérique à
l’enfermement, l’analyste israélien Alex
Fishman a tiré une cinglante
conclusion : « Nous
sommes devenus une nation qui
s'emprisonne derrière des clôtures et
qui se tapit, terrifiée, derrière des
boucliers défensifs ». C'est devenu,
ajoute-t-il, une « maladie
mentale nationale » [4].
Alors qu’Israël construit des barrières
de sécurité pour se « prémunir » de
dangers provenant de son voisinage, le
« printemps » arabe continue son œuvre
dans les pays limitrophes.
Au sud, où la clôture est quasiment
achevée, un gouvernement islamiste est
aux rênes de l’Égypte avec, comme
président, Mohamed Morsi. Membre de la
confrérie des Frères musulmans et
premier président civil de la
république, Morsi a déjà défrayé la
chronique par l’utilisation
d’expressions un peu trop
« affectueuses » lors d’une
correspondance avec son homologue
israélien, Shimon Peres [5]. Il faut
reconnaître que le vocabulaire de Morsi
a beaucoup changé envers les Israéliens
depuis qu’un souffle printanier l’a
conduit à la magistrature suprême.
Ainsi, quelques mois à peine avant le
début des révoltes qui ont mis fin au
régime Moubarak, il appelait « à
rompre toute relation avec cette entité
criminelle (i.e. Israël) » et
disait, entre autres, que
« les
juifs sont des suceurs de sang, des
descendants des porcs et des singes
» [6].
Et ce n’est pas tout. Une autre
personnalité de la confrérie a déclenché
une tempête médiatique en proposant aux
juifs égyptiens qui ont fait leur « alya »
de revenir s’installer en Égypte et de
récupérer leurs biens [7]. Il s’agit de
Essam El–Erian, vice-président du parti «
Justice et
Liberté » (vitrine politique des Frères
musulmans) et conseiller du président
Morsi.
Cette étrange sortie médiatique en a
surpris plus d’un, surtout qu’elle est
intervenue à peine cinq semaines après
la fin de l’opération meurtrière
« Pilier de défense » contre Gaza qui a
fait, au moins, 163 morts et 1235
blessés palestiniens.
En plus de cela, El-Erian a accusé
l’ancien président Nasser d’avoir
expulsé les juifs d’Égypte. Cette
animosité « frériste » contre Nasser
n’est pas nouvelle et refait surface
chaque fois que l’occasion se présente
[8].
Mais cette accusation a été battue en
brèche par Kamal El-Kadi qui a fait une
analyse du star-system au temps du
président Nasser. Il montra, après un
survol historique de cette tumultueuse
période, que de nombreuses célébrités
juives égyptiennes (telle l’illustre
Leïla Mourad) étaient adulées et
respectées par le public et que Nasser
avait attribué à certaines d’entre elles
des médailles de mérite lors
d’événements nationaux. Et de conclure :
« Tous
ces signes et ces preuves confirment que
Nasser et son régime n’ont jamais été
contre la communauté juive
[égyptienne]
et n’ont forcé personne à quitter
l’Égypte pour des raisons religieuse ou
ethnique »
[9].
La présidence de la république ne tarda
pas à se dissocier des propos de Essam
El-Erian en déclarant « qu’il ne
s’exprimait qu’en son nom bien qu’il
fasse partie des conseillers du
président Mohamed Morsi » (sic)
[10].
Mais, en Égypte, il n’y a pas que les
islamistes qui font les yeux doux par
delà le Sinaï et les clôtures
électrifiées hautes de cinq mètres.
Maikel Nabil, un cyberactiviste égyptien
pro-démocratie d’origine copte, s’est
rendu en Israël en décembre 2012.
Financé par
U.N. Watch, un
organisme affilié au
Congrès juif américain, son voyage fut
très médiatisé par la presse israélienne
qui le qualifia de « héros » de la
révolution égyptienne.
Maikel Nabil s’est rendu célèbre par son
incarcération par les autorités
militaires et ce, en avril 2011,
c'est-à-dire après la chute de Moubarak.
Condamné à trois ans de prison pour
avoir insulté les militaires sur son
blog, il fut libéré après dix mois
d’emprisonnement. Cette réduction de
peine est due à une mobilisation
internationale de la blogosphère et à
une mesure de grâce accordée à
l'occasion du 1er
anniversaire de la révolte en Égypte
En Israël, le programme de sa visite
comportait la tenue de plusieurs
conférences. Lors d’une d’entre elles,
à l’université Hébraïque de Jérusalem,
il fut chahuté par des étudiants
palestiniens
[11].
Il faut dire que ce dissident a attiré
l’attention dès le début par ses
positions politiques très singulières.
Bien que d’origine copte, il se dit
athée, laïque et pro-israélien. Quelques
jours avant la chute de Moubarak, il
avait posté une vidéo dans laquelle il
demandait à Israël de se solidariser
avec la « révolution » égyptienne,
mentionnant que « Moubarak
n’a jamais été un ami d’Israël » et
que « la
démocratie et les droits de l’homme sont
des valeurs israéliennes » [12].
Pour justifier son voyage en Israël,
Maikel Nabil écrivit dans le Times Of
Israel:
« Après
des années à appeler à la paix, j'ai
réalisé que la pratique de la paix est
plus importante que d’en parler. Ma
visite est un message de la communauté
de paix égyptienne pour dire que nous
avons assez de la violence et de la
confrontation et nous voulons que cela
finisse. Nous voulons vivre ensemble en
tant qu'êtres humains, sans violence,
racisme ou murs »
[13].
Il ne pouvait si bien dire. Pendant que
lui et Essam El-Erian continuent de
palabrer sur le retour des juifs
égyptiens et les vertus de la démocratie
israélienne, l’état hébreu continue
l’édification minutieuse de murs
sophistiqués qui l’isolent du monde
arabe et qui lui permettent d’annexer de
plus en plus de terres.
Ces terres qui recouvrent des corps
palestiniens encore tous chauds. Ces
terres imbibées du sang palestinien qui
n’a pas encore eu le temps nécessaire
pour sécher.
Ahmed Bensaada
Montréal, le 13 janvier 2013
http://www.ahmedbensaada.com/
Cet article a été publié le 15 janvier
2013 par le quotidien algérien
Reporters
Références
1-
Herb Keinon, « La
barrière sud : objectifs accomplis »,
Jérusalem Post, 9 janvier 2013,
http://www.jpost.com/EditionFrancaise/PolitiqueEtSocial/Article.aspx?id=298920
2-
POICA.org, «
La Diplomatie des
Murs »,
3 février 2012,
http://www.poica.org/editor/case_studies/view.php?recordID=4271
3-
Laure Stephan, « A
la frontière avec le Liban, Israël érige
un mur »,
Le Monde, 2 mai 2012,
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/05/02/a-la-frontiere-avec-le-liban-israel-erige-un-mur_1694063_3218.html
4-
Harriet Sherwood,
« Israel
extends new border fence but critics say
it is a sign of weakness »,
The Guardian, 27
mars 2012,
http://www.guardian.co.uk/world/2012/mar/27/israel-extends-border-fence-critics
5-
Ahmed Bensaada, « La
tragédie de Gaza à l’aune du "printemps"
arabe »,
Reporters, 10-11 décembre 2012,
http://fr.calameo.com/read/00036684605af600c00ea
6-
Roger Astier, « Vidéo:
Morsi: "Les juifs sont des suceurs de
sang, les descendants des porcs et des
singes!" »,
JSSNews, 5 janvier
2013,
http://jssnews.com/2013/01/05/video-morsi-les-juifs-sont-des-suceurs-de-sang-les-descendants-des-porcs-et-des-singes/
7-
Said Ali, « Avec
vidéo…El-Erian demande au juifs
égyptiens de retourner d’Israël »,
Al Marsy Al Youm, 28 décembre 2012,
http://www.almasryalyoum.com/node/1344166
8-
Ahmed Bensaada, « Égypte
: les Frères et la Grande Muette »,
Reporters, 29 décembre 2012,
http://fr.calameo.com/read/000366846b1900de014aa
9-
Kamal el-Kadi, « Les
stars juives sur la terre d’Égypte »,
Al-Quds Al-Arabi, 11 janvier 2013,
http://www.alquds.co.uk/index.asp?fname=online\data\2013-01-11-14-24-10.htm
10-
Al-Arabiya, « La
présidence égyptienne : nous ne sommes
pas responsables des déclarations d’El-Erian
sur les juifs »,
1er
janvier 2013,
http://www.alarabiya.net/articles/2013/01/01/258082.html
11-
Robert Mackey, « Protesters
Disrupt Egyptian Blogger’s Speech in
Israel
»,
The
New York Times, 24 décembre 2012,
http://thelede.blogs.nytimes.com/2012/12/24/protesters-disrupt-egyptian-bloggers-speech-in-israel/
12-
Maikel Nabil, « Message
to Israel Calling for solidarity with
the Egyptian Revolution
», Youtube, 4 février 2011,
http://www.youtube.com/watch?v=UdZjRHjlsck
13-
Maikel
Nabil, « Making
peace by going to Israel
», The Times of Israel, 10 décembre
2012,
http://blogs.timesofisrael.com/let-there-be-peace/
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