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Opinion
La valse à quatre temps de Amr Moussa
ou l'évanescence de l'arabité politique
Ahmed Bensaada
Montréal, le 12 février 2009
Au-delà de la destruction systématique des corps, des âmes, des
rêves, des édifices et de tout ce que mère Nature compte comme
richesses, la tragédie de Gaza a été instructive à plusieurs
égards. Entre autres, elle a fait la preuve par 22 que la Ligue
arabe n'existait plus. Rien de plus facile pour s'en rendre
compte que de consulter la définition que donne Le Petit Robert
du mot « ligue » : « Alliance de plusieurs États, dans des
circonstances particulières, pour défendre des intérêts communs
ou poursuivre une politique concertée ». La Ligue arabe n'est
pas vraiment une alliance, tout au plus un regroupement, ne
défend nullement les intérêts communs de ses membres et poursuit
la politique la plus discordante qui soit. Dans le cas du drame
gazaoui, c'était carrément une historique de cacophonie.
L'illustration de cette analyse sémantique est curieusement
apparue après la fin de la boucherie de Gaza, sur les pentes
enneigées helvétiques, bien loin des sables du Monde arabe. En
effet, le dernier Forum économique de Davos a réuni un panel
dont la composition frisait l'indécence.
Il y avait, dans l'ordre : le Premier ministre turc, le
président de l'État d'Israël dont la folie meurtrière a été
publiquement dénoncée par le précédent, le Secrétaire général de
l'ONU dont un très grand nombre de résolutions n'ont jamais été
respectées par le pays du précédent et, finalement, le
Secrétaire général de la Ligue arabe dont un des pays a été
agressé par le second et non protégé par le troisième. Mais
pourquoi diable M. Amr Moussa a-t-il accepté d'être à côté du
plus haut représentant de l'État hébreu moins de 2 semaines
seulement après le massacre de Gaza ? Inconscience caractérisée,
suicide politique ou recherche d'une condescendance occidentale
? Même lui ne doit pas le savoir.
Cette réunion, comme chacun le sait, a été ponctuée par
l'héroïque esclandre de M. Erdogan qui donnait l'air d'avoir
décidé de ne participer à ce débat que pour inculquer une leçon
de savoir-parler et de savoir-vivre au président hébreu qui n'en
finissait pas de vociférer ses arguments fallacieux. Mais
quelque chose d'aussi intéressant allait se passer au moment où
le Premier ministre turc quitta les lieux : le pas de danse
esquissé par Amr Moussa. Une valse à quatre temps qui résume à
elle seule toute la ligne politique de la Ligue arabe. Un lapsus
gestuel de dix secondes et 14 centièmes, d'une théâtralité
éloquente et d'un réalisme patent.
Tout d'abord, M. Amr Moussa se lève pour congratuler M. Erdogan
alors que ce dernier quitte les lieux d'un pas sûr et décidé.
Tout comme, durant les événements de Gaza, bon nombre de leaders
arabes qui se levèrent pour ne rien faire et parlèrent pour ne
rien dire. Ensuite, se retrouvant tout seul debout et ne sachant
pas trop quoi faire de son corps, il essaya un pas vers la
gauche pour suivre M. Erdogan. Un soupçon de témérité aurait-il
été insufflé par celle du Premier ministre turc ? Que nenni.
Tout comme nos dirigeants. Aucun d'eux n'a eu ne serait-ce
qu'une once d'audace ou de bravoure pour claquer la porte d'une
quelconque institution, assemblée ou conférence directement ou
indirectement pilotées par le lobby sioniste. Ensuite, notre
secrétaire général de la Ligue se ravisa et fit un pas furtif
vers la droite pour revenir à des terres plus familières et
éviter d'exacerber le courroux des autres convives. Quel gâchis
! Avoir un moment de gloire au bout des doigts et dilapider
l'occasion de la sorte ! Tout comme nos leaders. Être à la tête
d'un Etat, lui-même au sein d'une Nation et ne pas avoir, en un
moment aussi crucial que celui que nous venons de vivre, une
colonne vertébrale assez forte pour rester debout, ni assez de
véhémence pour dire haut et fort ce que tous les citoyens arabes
ont scandé dans les rues ! Finalement, M. Moussa revint
gentiment à son siège, obtempérant au doigt et à l'oeil de M.
Ban Ki-moon qui lui en fit signe. Tout comme nos chers chefs
d'État qui obéissent docilement aux ordres, ne font pas trop de
vagues et cherchent avidement l'approbation occidentale.
La tragédie de Gaza a aussi dévoilé que le problème palestinien
n'était plus une cause arabe. J'en veux pour preuve qu'aucun des
pays faisant partie de la Ligue arabe et ayant une ambassade
israélienne n'a osé rompre ses relations diplomatiques avec
l'État hébreu. Seule la Mauritanie les a timidement gelées alors
que le Qatar a fermé son bureau commercial israélien. Rien de
comparable avec le Venezuela ou la Bolivie qui ont expulsé les
ambassadeurs hébreux en qualifiant leur État d'« assassin » et
de « génocidaire ». On a même vu des foules arabes défiler, non
pas avec des photos de leurs leaders, mais avec le portrait de
Hugo Chavez. Une chance que la honte ne tue pas, sinon j'en
connais au moins 22 qui seraient passés de vie à trépas ! Et que
dire de l'Iranien Ahmadinejad, de l'Indonésien Yudhoyono ou du
Malaisien Badawi ? Tous sincèrement affligés par le sort des
Palestiniens alors que les nôtres gesticulaient, les uns
cherchant à faire cavaliers seuls et redorer leurs blasons avec
les Américains et les Européens, les autres cherchant en vain un
quorum jamais atteint.
Il faut aussi admettre qu'aucun dirigeant arabe ne s'est autant
démené que M. Erdogan pour la défense des droits fondamentaux du
peuple palestinien, en général, et de celui de Gaza, en
particulier. Il n'a pas eu la moindre crainte de se brouiller
avec l'Union européenne dont la politique pro-israélienne n'est
plus à démontrer. Le journal israélien Haaretz a même affirmé
que « le comportement d'Erdogan à Davos peut ruiner les chances
de la Turquie de faire partie de l'Union européenne ».
L'Histoire retiendra que M. Erdogan a été reçu comme un héros
par ses concitoyens. Elle retiendra aussi la valse de M. Moussa,
la petitesse des dirigeants arabes et, surtout,
l'incommensurable gouffre qui les sépare de leurs peuples. La
Ligue, quant à elle, n'a réussi à se réunir ni avant, ni
pendant, ni même après les tristes événements de Gaza. Pourquoi
se réunirait-elle encore ? Y aurait-il une raison plus
importante que celle de Gaza ? Vivement, qu'elle périclite avec
son danseur de secrétaire. À quand la danse du ventre, M. Moussa
?
Ahmed
Bensaada, Docteur en physique - Montréal, Canada
Article publié sur
Le Quotidien d'Oran, 12 février 2009
Les analyses d'Ahmed Bensaada
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