Opinion
Le double jeu de
Recep Tayyip Erdogan
Ahmed
Bensaada

Recep
Tayyip Erdogan
Jeudi 8 décembre
2011
L’appartement que j’avais loué pour mon
séjour à Istanbul était juché au
quatrième étage d’un vieux mais noble
immeuble construit en haut de la colline
de Galata. L’emplacement était
stratégique : à quelques minutes de la
célèbre place Taksim et de la
bouillonnante et insomniaque avenue
Istiklal. Mais le spectacle le plus
saisissant s’offrait dès qu’on ouvrait
la fenêtre d’une des chambres. D’un seul
regard, il était possible d’embrasser
tous les joyaux architecturaux du
quartier Sultan Ahmet et de suivre la
courbe de l’illustre Corne d’Or. En fin
de journée, un éclairage particulier
transformait le paysage en un tableau de
maître orné d’innombrables minarets
pointus et élancés vers le ciel. Il est
vrai qu’Istanbul, poumon économique du
pays, respire la prospérité et la
réussite. À cheval entre l’Asie et
l’Europe, cette ville est la vitrine
d’une Turquie en pleine croissance.
Cependant, mon réel envoûtement par
cette ville et ce pays a rapidement cédé
la place à un scepticisme motivé par
deux évènements révélateurs.
Le premier a eu lieu à ma première
navigation sur Internet. Ayant reçu un
courriel m’invitant à visionner une
vidéo sur Youtube, quelle ne fût ma
surprise de constater que l’accès à ce
site était interdit par décision de
justice depuis 2007. Le motif invoqué
était : « diffusion de clips
irrévérencieux à l'égard du fondateur de
la République turque, Mustafa Kemal
Ataturk » [1].
Il est vrai que cette interdiction a été
levée en octobre 2010 [2]
mais, en mars 2011, la plate-forme « Blogger »
a été, elle aussi, bannie de la toile
[3].
Le second évènement dont j’ai été témoin
se déroula sur l’avenue Istiklal, une
soirée de fin de semaine. Alors que
l’artère vitale grouillait de monde, un
homme légèrement éméché s’approcha de
deux jeunes demoiselles, leur faisant
des avances avec insistance, mais sans
les toucher. La scène n’a pas échappé à
deux hommes en civil (probablement des
policiers) qui déambulaient parmi les
badauds. Apostrophé manu militari, le
malheureux essaya de se débattre tant
bien que mal. Quelques dizaines de
secondes plus tard, une fourgonnette de
police arriva et l’individu fut tabassé
en public et jeté comme une vulgaire
marchandise à l’intérieur du véhicule.
Après un moment de curiosité, les
passants continuèrent leur promenade
dans le brouhaha ambiant, comme si la
scène à laquelle ils venaient d’assister
était banale.
Serait-ce possible que cette
indiscutable réussite économique n’ait
pas été accompagnée par des progrès dans
les domaines de la liberté d’expressions
et les droits de la personne?
Est-il pensable que l’arrivée au pouvoir
des islamistes de l’AKP (Adalet ve
Kalkınma Partisi ou Parti de la justice
et du développement) puisse donner un
remarquable élan à l’économie (11% de
croissance au premier trimestre 2011 [4]
et être en retard sur les libertés fondamentales du
citoyen?
Erdogan, le Padishah
Recep Tayyip
Erdogan, l’actuel premier ministre de la
Turquie et président de l’AKP a été
maire d’Istanbul de 1994 à 1998. À ce
poste, il gagne le respect des
Stambouliotes en améliorant
considérablement les services
(distribution d’eau et d’électricité) et
en luttant contre la corruption, de
sorte qu’il est surnommé le « Padishah »
(sultan) de la ville [5,6]. « Pour
sa bonne gouvernance, notamment pour les
travaux de rénovation urbaine qu’il a
entrepris durant son mandat de maire
d’Istanbul », il reçut une récompense du
Programme des Nations unies pour les
établissements humains [7].
Lors d’un meeting
en 1998, é
subversif et contraire à l’esprit laïque
du kémalisme, l’idéologie fondatrice de
la Turquie moderne de Mustafa Kemal Ataturk. En voici un
extrait : «
Les minarets seront nos baïonnettes, les
coupoles nos casques, les mosquées
seront nos casernes et les croyants nos
soldats ». Cela lui a valu d’être
destitué de sa fonction de maire et
condamné à dix mois de prison (mais n’en
accomplira que quatre) [8].
Il faut dire, qu’à ses débuts, Erdogan
avait été le chef des jeunes du Milli
Gorus, un mouvement islamiste turc
antioccidental, nationaliste et
théoriquement djihadiste [6].
Erdogan fonde l’AKP en 2001, parti qui
remporte les élections législatives de
2002 auxquelles il ne peut participer à
cause de sa condamnation. Cependant, la
loi ayant changé, il réussit à se faire
élire dans une élection complémentaire
en 2003. Dès son arrivée au parlement,
il est nommé Premier ministre et le
restera pour trois mandats successifs.
À la tête de l’AKP
et du gouvernement turc, le « Padishah »
est crédité de nombreuses et importantes
réformes, parmi lesquelles :
l’autorisation de la langue kurde dans
les médias, l’abaissement de l’âge
d’éligibilité (de 30 à 25 ans),
l’abolition de la peine de mort, etc. [5].
Cependant, depuis un certain temps, des
voix discordantes se font entendre au
sujet d’Erdogan et de son style de
gouvernance. On n’hésite pas à mettre de
l’avant son autoritarisme, ses attaques
contre les journalistes [9] et la « poutinisation » du régime [6].
En fait, ce qui est remarquable chez ce chef
charismatique c’est son excellente
maîtrise du double jeu : l’art de
prôner, selon les circonstances, une
chose et son inverse.
Erdogan et les libertés fondamentales
Se faisant publiquement le chantre de la
laïcité, de la démocratie et des
libertés en Turquie, le bilan d’Erdogan
laisse perplexe, c’est le moins qu’on
puisse dire.
Deux articles parus il y a moins d’un
mois donnent le la : « la démocratie
turque en danger »
[10]
et « le tournant liberticide turc »
[11]. On y apprend que de nombreux journalistes et universitaires ont été
poursuivis et emprisonnés pour avoir
donné des conférences sur des sujets
controversés de l’histoire ou de la
politique turque. On peut y lire :
« L'acharnement
du pouvoir contre les médias indépendants osant aborder la situation kurde ou la domination de l'AKP est devenu
grave, comme l'a souligné Reporters sans
frontières dans un communiqué du 26
octobre » et aussi : « Depuis 2009, près
de 8 000 personnes ont été arrêtées pour
des faits d'exercice de la liberté
d'expression. En cela, la Turquie
d'Erdogan révèle son vrai
visage, celui d'un pouvoir qui a de moins en moins à envier au régime des généraux des années 1980. Rien à voir en tout cas avec la démocratie islamique tant vantée ces
dernières semaines ».
L’ouverture d’un
procès, le 22 novembre 2011, contre les
deux célèbres journalistes Nedim Sener
(lauréat 2010 de l'Institut
international de la presse) et Ahmet Sik
a vu la mobilisation d’environ
200 journalistes et défenseurs des
droits de l’homme, réclamant leur
libération. Les deux journalistes sont
accusés d’avoir œuvré dans la branche
média du réseau « Ergenekon »,
organisation soupçonnée de préparer un
coup d’état militaire contre le
gouvernement d’Erdogan. Il est à noter
que N. Sener a publié un livre sur le
meurtre d’un journaliste dans lequel il
critiquait l’enquête de la police. Ahmet
Sik, quant à lui, a vu ses brouillons
être saisis sur ordre du tribunal : il
travaillait sur un essai portant sur
l’infiltration de la police par les
milieux islamistes.
Alain Franchon, journaliste et
directeur éditorial du Monde, commente
ainsi l’affaire : « Avec
d’autres, Sik et Sener ont mené des
enquêtes qui embarrassent le
gouvernement : corruption, affaires,
pénétration de la police par des
militants islamistes. Ils gênent. Comme
des dizaines d’autres journalistes eux
aussi emprisonnés, à l’heure où le
pouvoir mène une campagne d’intimidation
contre tous ceux qui osent le
critiquer »
[12].
À ce sujet, Johann Bihr de Reporter sans
frontières (RSF) a déclaré que « quelque
70 journalistes sont actuellement
emprisonnés en Turquie, dont au moins 15
ou 20 pour leur activité
journalistique »
[13].
D’ailleurs, le
classement mondial RSF 2010 place la
Turquie à une position peu enviable en
matière de liberté d’expression: 138e
sur 178. Elle se classe loin derrière
des pays qui ne connaissent pas le boom
économique turc tels que la Tanzanie
(41e), le Burkina Faso (49e) ou le
Sénégal (93e). Considéré comme un « pays
sous surveillance » dans la catégorie
« Ennemis d’Internet », RSF
explique
le mauvais rang de la Turquie « par
la multiplication frénétique des
poursuites, incarcérations,
condamnations de journalistes. Parmi
eux, nombre de médias et de
professionnels, soit kurdes, soit
abordant la question kurde »
[14].
Finalement, la
consultation des rapports annuels de l’Human
Rights Association montre que le nombre
de cas de torture et de mauvais
traitements en Turquie est passé de 876
en 2002 (date de l’accession au pouvoir
de l’AKP) à 1835 en 2009 (soit plus du
double)
[15].
Erdogan et Israël
Lorsqu’en 2009 Erdogan quitta en colère
un débat public avec le président
israélien à Davos, il est instantanément
devenu le héros des arabes et des
musulmans. Je lui ai même
personnellement consacré un article
élogieux, vantant la témérité et la
bravoure de son coup d’éclat en faveur
du peuple palestinien qui venait de
vivre le massacre de Gaza par l’armée
israélienne
[16]. Par la suite, l’épisode de la flottille de la liberté
qui a coûté la vie à neuf citoyens turcs
en mai 2010 a envenimé les relations
entre les deux pays et un état de quasi
rupture des relations diplomatiques est
actuellement en vigueur.
Mais qu’en est-il vraiment des relations
entre Erdogan et l’état sioniste?
En fait, la position d’Erdogan à l’égard
d’Israël était claire dès son accession
au pouvoir. Contrairement à son
prédécesseur islamiste Necmettin
Erbakan, il ne contestait pas
l’alliance
de son pays avec Israël
[17]. Rappelons qu’en 1996, Erbakan avait refusé de ratifier
un accord de coopération avec Jérusalem
et tenta de suspendre des manœuvres
navales turco-israélienne, contre l’avis
de ses militaires.
La reconnaissance
d’Israël par la Turquie ne date pas
d’hier. C’est même le premier pays
musulman à l’avoir fait
dès 1949, ce qui fait dire à
Noémie Grynberg : « …depuis près de 60
ans, les deux pays entretiennent des
relations diplomatiques et coopèrent
dans de nombreux domaines. Israël et la
Turquie partagent beaucoup d’intérêts
communs : économique, énergétique,
stratégique, militaire, politique »
[18].
Quant à Erdogan, il a largement favorisé
et dynamisé les relations entre les deux
pays. Entre 2002 et 2009, la plupart des
groupes israéliens renforcent leur
présence en Turquie et les contrats
bilatéraux atteignent 2,5 milliards de
dollars. En parallèle, l’armée
israélienne a activement contribué à la
modernisation des forces armées turques,
en particulier l’aviation
[19].
D’autres
« incongruités » sont à signaler dans la
politique turque actuelle vis à vis
d’Israël. La première, médiatisée,
concerne l’acceptation en octobre 2011
de l’aide israélienne lors du récent
séisme qui a touché la région turque de
Van. La seconde, passée sous silence,
est en relation avec l’incendie du
Carmel, en Israël. La Turquie avait
envoyé deux avions pour lutter contre
l’incendie en décembre 2010, alors que
les relations « officielles » étaient au
plus bas
[20].
Mais le geste qui réjouit probablement
le plus Israël est l’acceptation par la
Turquie d’accueillir l’installation
antimissile américaine que l’OTAN va
déployer dans le territoire turc pour
contrecarrer les éventuelles attaques
iraniennes
[12]. En plus, selon le journal turc Hurriyet, les données
recueillies par les radars seront
directement transmises aux Israéliens,
décision qui a enchanté Ehoud Barak,
ministre israélien de la défense : « La
Turquie n’est pas en train de devenir un
ennemi d’Israël » a-t-il déclaré. Sur ce
même sujet, un haut responsable
américain a reconnu que « le
déploiement du bouclier antimissile est
la plus grande coopération entre la
Turquie et les États-Unis au cours des
vingt dernières années »
[21]. Le récent déploiement de drones américains Predator en
Turquie et la vente imminente
d’hélicoptères d’attaque pour lutter
contre les séparatistes kurdes du PKK (Partiya
Karkerên Kurdistan ou Parti des
travailleurs du Kurdistan)
[22] est certainement une forme de remerciement pour la
collaboration turque dans le dossier du
bouclier antimissile.
Cette décision a fait bondir aussi bien
l’Iran que la Russie. Le premier a
prévenu qu’elle attaquerait les
installations turques en cas de menace
[23]. La seconde a déclaré qu’elle songeait à déployer ses
missiles vers le site antimissile turc
[24].
La politique turque du « zéro problème
avec nos voisins » vient d’en prendre un
sacré coup. Et ce n’est pas le seul.
Erdogan et le néo-ottomanisme
En créant la
Turquie moderne, Mustafa Kemal Ataturk a
non seulement enterré l’empire Ottoman,
mais a aussi tourné le dos au
Moyen-Orient. «
Messieurs et citoyens !... Sachez bien que la République turque ne peut
pas être le pays des cheikhs, des
derviches, des disciples, des adeptes.
Le chemin le plus droit est celui de la
civilisation » disait-il. Cette
situation à prévalu avec tous ses
successeurs et s’est poursuivie jusqu’à
la prise du pouvoir par l’AKP qui va
opter pour un repositionnement
géostratégique, mais sans jamais
renoncer au rêve de voir un jour la
Turquie faire partie de l’Union
Européenne. L’esclandre d’Erdogan à
Davos en est certainement un acte
hautement symbolique mais probablement
aussi un geste médiatique à saveur
populiste. Ce revirement turc vers les
pays de l’ancien empire Ottoman
s’explique par le fiasco du panarabisme,
« la faiblesse du bloc arabe qui se
dispute le leadership (Égypte, Arabie
saoudite et Syrie), l’échec du projet US
du grand Moyen-Orient remodelé, la quasi
inexistence de l’Europe dans la région
et les difficultés actuelles du régime
iranien »
[25].
Le changement de cap de la politique
étrangère de la Turquie a été initié par
Erdogan, mais s’est accéléré avec la
venue d’Ahmet Davutoglu, un
universitaire très respecté, nommé
ministre des Affaires étrangères en mai
2009. Surnommé « M. Zero Problems » par
la presse anglophone, il prône la
doctrine de « zéro problème » avec son
voisinage proche. Cette politique
d’ouverture vers le monde arabo-musulman
nommée « néo-ottomanisme » marque un
changement considérable par rapport à
l’idéologie kémaliste.
La récente participation de la Turquie à
un forum arabo-turc organisé au Maroc,
en marge d’une réunion de la Ligue arabe
consacrée à la Syrie, en est une
illustration.
Pourtant, en plus d’avoir des relations
privilégiées avec les États-Unis, la
Turquie est membre de l’OTAN, du Conseil
de l’Europe et frappe toujours à la
porte de l’Union Européenne. D’ailleurs,
n’avait-il
pas
cité Ataturk, en 2002, le soir même de
la première victoire de l’AKP
[17]?
Erdogan et le « printemps arabe »
C’est probablement
une application éclairée de la politique
« zéro problème » avec les voisins qui a
motivée la relative indifférence d’Erdogan
au commencement des révoltes de la rue
arabe. En effet, ce n’est que le premier
février 2011, entre le départ de Ben Ali
et celui de Moubarak, qu’il a apporté
son soutien aux manifestants arabes.
Quelques jours plus tard, il atténua
cette timide déclaration en « affirmant
qu’il n’avait pas non plus l’intention
de s’immiscer dans les affaires
intérieures des pays arabes »
[26].
Même son
implication dans la guerre civile
libyenne fut précédée d’une longue
hésitation, mais il finit pas « suivre »
la France et la Grande-Bretagne
[12].
Cette
hésitation est compréhensible car les
échanges avec ce pays étaient si
importants que 26 000 turcs y étaient
présents. Mais une autre raison, plus
« sentimentale » celle-là, peut être
avancée : le 1er décembre 2010, il a
reçu, à Tripoli, le prix Kadhafi des
droits de l'homme décerné par le colonel
Kadhafi, soit quelques mois à
peine avant l’engagement de la Turquie
en faveur des rebelles du Conseil
national de transition libyen (CNT) qui
ont fini par assassiner sauvagement le
« guide » libyen
[27].
Le 3 juillet 2011, le chef de la
diplomatie turque, M. Ahmet Davutoglu,
reconnaissait le CNT, lui offrit un prêt
de 100 millions de dollars et prit le
contrôle de la banque turco-libyenne A&T
Bank dont la Libyan Foreign Bank possède
environ les 2/3 des parts.
« M. Zero Problems » venait d’enterrer
une seconde fois sa politique de « bon
voisinage ».
Pragmatique et
soucieux de maintenir un taux de
croissance dans les deux chiffres,
Erdogan effectua, entre le 12 et 16
septembre, un voyage dans les pays du
« printemps arabe » : l’Égypte, la
Tunisie et la Libye. Il était accompagné
d’une imposante délégation composée de
280 hommes d’affaires, sept ministres et
de nombreux conseillers. Sans états
d’âme, le néo-ottomanisme passe
nécessairement par le « business »
[28].
L’implication de la Turquie dans les
évènements syriens est autrement plus
épineuse car, dans ce cas, il s’agit
d’un réel « voisin » avec lequel il
partage une frontière, une histoire et
un contentieux territorial.
Le rapprochement entre la Syrie et la
Turquie s’est matérialisé en 2004 lors
d’une visite officielle de Bachar El-Assad
qu’Erdogan considérait, jusqu’à naguère,
comme un ami personnel. Cette visite fut
suivie par la signature, en septembre
2009, d’un accord de coopération
bilatérale et l’institution d’un Conseil
de coopération stratégique
[25]. Le conflit territorial concernant la province du Hatay,
actuellement sous domination turque mais
revendiqué par la Syrie, a constitué la
pomme de discorde entre les deux pays.
Ironie du sort, c’est dans cette
province que quelques milliers de
réfugiés syriens sont actuellement
cantonnés, sous protection turque.
Comme dans le cas libyen, la décision de
rompre le dialogue et de soutenir les
insurgés contre le régime en place n’est
pas venue naturellement.
Elle
a été prise le 21 septembre 2011, aux
États-Unis, à l’issue d’un entretien
avec le président Obama et en
« coordination » avec l’administration
américaine. Moins d’un mois après,
Davutoglu rencontra officiellement à
Istanbul le Conseil national syrien
(CNS), organisme représentant les
différentes sensibilités de l’opposition
syrienne qui compte dans ses rangs des
Kurdes syriens
[29]. Étrange partition que joue « M. Zero Problems »,
hébergeant des Kurdes syriens
« révoltés » contre le gouvernement
syrien et bombardant, pendant une bonne
partie de l’été dernier, les Kurdes du
PKK « révoltés » contre le gouvernement
turc!
Le rôle actif de la
Turquie dans la déstabilisation du
régime syrien et dans son aide
inconditionnelle aux dissidents syriens
se concrétise de jour en jour. Comme une
intervention de l’OTAN sous l’égide de
l’ONU n’est pas envisageable à cause des
vetos russe et chinois, une autre
solution est en préparation. En effet,
des officiers français de la DGSE
(Direction générale de la sécurité
extérieure) et britanniques du MI6
(Service de renseignements extérieurs)
sont actuellement en Turquie, dans la
région frontalière avec la Syrie, pour
former les premiers contingents de
l’Armée syrienne libre à la guérilla
urbaine. D’autre part, les trafics
d'armes aux frontières de la Syrie sont
tolérés, voire favorisés par les
Français et les Turcs
[30].
Il est clair qu’Erdogan a mené son pays sur la voie de
la prospérité économique et lui a donné
une indéniable importance
géostratégique. Cependant, force est
d’admettre que cela n’a pu se faire
qu’en pratiquant une politique de
« double jeu ». Prôner la liberté
d’expression et persécuter les
journalistes; se lancer dans des
diatribes contre Israël et continuer, en
catimini, à commercer avec ce pays;
prêcher une politique de « bon
voisinage » et œuvrer dans la
déstabilisation des voisins; se
proclamer néo-ottomaniste et continuer à
être kémaliste; se tourner vers l’Orient
tout en gardant des relations
privilégiées avec l’Occident (en
particulier les États-Unis, la France et
la Grande Bretagne); considérer les
autocrates arabes comme des amis et
accepter leurs prix tout en n’hésitant
pas à les laisser tomber lorsque le
moment de choisir son camp se fait
sentir.
Est-ce de la clairvoyance, du réalisme politique ou de
l’opportunisme? Je vous laisse le soin
d’en tirer les conclusions.
Au fait, j’ai omis de vous dire que mon voyage sur les
rives du Bosphore s’est très bien
déroulé. La Turquie est réellement un
beau pays et, en ce temps, même les
boules de cristal les plus omniscientes
ne pouvaient prédire ce fameux
« printemps arabe ».
Montréal, le 6 décembre 2011
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anti-missile sera transmise à…Israël »,
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22.
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http://www.institutkurde.org/info/depeches/des-drones-americains-bases-en-irak-repositionnes-en-turquie-3475.html?utm_source=twitterfeed&utm_medium=twitter
23.
AFP, «L'Iran,
si menacé, prendra pour cible la Turquie
», Lalibre.be, 26 novembre 2011,
http://www.lalibre.be/actu/international/article/702770/l-iran-si-menace-prendra-pour-cible-la-turquie.html
24.
Le Nouvel Observateur, «Medvedev:
la Russie pourrait déployer ses missiles
en réaction à la stratégie américaine en
Europe », 23 novembre 2011,
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20111123.FAP8262/medvedev-la-russie-pourrait-deployer-ses-missiles-en-reaction-a-la-strategie-americaine-en-europe.html
25.
Jean-Baptiste Beauchard, « La
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au Proche-Orient »,
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http://alliancegeostrategique.org/2010/03/15/la-turquie-ou-le-retour-de-lempire-ottoman-au-proche-orient/
26.
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turque de transition politique, un
modèle pour l’Égypte post-Moubarak ?
»,
LeJMed.fr, 12 février 2011,
http://www.lejmed.fr/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=895
27.
Daniel Pipes, « Erdogan
accepte "le prix international
Al-Kadhafi pour les droits de l'homme"
»,
Daniel Pipes.com, 28 février
2011,
http://fr.danielpipes.org/blog/2011/02/erdogan-prix-kadhafi
28.
Joséphine Dedet, « Printemps
arabe : Erdogan superstar
»,
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http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2645p010-011.xml0/
29.
AFP, «La
Turquie a rencontré officiellement le
Conseil national syrien »,
L’Express.fr, 18 octobre 2011,
http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/la-turquie-a-rencontre-officiellement-le-conseil-national-syrien_1041732.html
30.
Claude Angeli, «
Une intervention limitée préparée par
l’OTAN en Syrie », Le Canard
Enchainé, 23 novembre 2011.
Ahmed Bensaada, Montréal (Canada)
http://www.ahmedbensaada.com/
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