Pourquoi l’État
est-il impuissant face aux parrains des
cités? Gérald Pandelon, avocat
pénaliste, pointe la passivité et la
lâcheté des politiques dans les zones de
non-droit. Il publie un ouvrage
décapant, La France des caïds.
Entretien-choc.
Voitures et bus
incendiés, forces de l’ordre caillassées.
La nuit du 14 juillet est régulièrement
émaillée d’incidents et d’émeutes. Cette
année encore, cette dramatique tradition
a été respectée dans nombre de cités en
France, à Évreux,
Besançon ou Lyon. Comment se fait-il
que ces désordres se reproduisent si
régulièrement? La faute à l’État
français, qui serait dépassé depuis près
de 30 ans.
«Qu’est-ce que vous
voulez que l’on fasse d’autre, Pandelon?
Que l’on rentre dans les cités et que
l’on reprenne la main sur tout ce petit
monde? Vous être fou, maître! Ça va
foutre un bordel monstrueux», tempêtait
déjà Charles Pasqua, ministre de
l’Intérieur face à Gérald Pandelon,
jeune avocat dans les années 80.
Une anecdote que
Gérald Pandelon, avocat pénaliste,
relate dans l’essai La France des
caïds (Éd. Max Milo, 2020).
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entretien sur YouTube
Son constat est
glaçant:
«Les narcobandits
sont plus puissants que les forces de
l’ordre. Dans les cités, c’est évident,
ils ont gagné.»
Lui-même défenseur
de deux cents grands bandits de
Marseille, Paris et Lyon, il dresse un
portrait terrifiant des cités de France,
véritables zones de non-droit,
alimentées par le trafic de stupéfiants
et l’achat de la paix sociale par la
corruption de la classe politique.
Autant dire que le livre de l’avocat
pénaliste est un brûlot.
Publiée le
9 juillet, La France des caïds est
d’abord un témoignage: celui d’un avocat
sur ses clients très particuliers. Il
est aussi une analyse sociologique de
ces caïds: les parrains des années 70 et
80 et désormais les narcobandits souvent
issus de l’immigration. Dénonçant les
activités de ceux qui paient ses
honoraires, Gérald Pandelon admet bien
volontiers être «schizophrène».
Des zones de
non-droit
Me Pandelon connaît
comme personne ces bandits. Si leur
anonymat est préservé, leurs propos sont
rapportés sans filtre. Ainsi ceux d’un
caïd de Vaulx-en-Velin, sûr de sa force
face aux autorités:
«On n’a pas peur
que l’armée et la police investissent
nos cités, mais on les attend avec
impatience. On est prêts […] Vous avez
vu comment ils ont galéré pour gérer les
manifs des Gilets jaunes alors que les
mecs n’ont pratiquement pas d’armes ?
Vous croyez qu’ils vont venir affronter
chez nous des tas de types armés de
kalach?»
Des confidences qui
ont permis à l’avocat de comprendre les
mécanismes du milieu. Ainsi, l’avocat
mentionne-t-il la mise en place de «micro-entités
qui s’autogèrent» au sein d’une
structure très hiérarchisée, «du
petit chouffe jusqu’au patron de la tour».
À l’invitation d’une fratrie de caïds
notoires à Marseille, il décrit sa venue
ubuesque dans la cité de la Castellane,
où le trafic se fait au vu et au su de
tous. D’ailleurs, durant le confinement,
plusieurs journalistes du Figaro
ont tenté de pénétrer dans cette même
cité. Ils y ont été
vertement éconduits avant d’être
pris en chasse jusqu’à l’autoroute.
Qu’est-ce qu’un
caïd? Une personne détenant «une
autorité morale», selon Gérald
Pandelon, et qui a su inspirer une
certaine crainte «par le sang»,
tout en parvenant «à blanchir ses
activités sans faire l’objet de
poursuites». S’il s’est spécialisé
dans le trafic de stupéfiants en ayant
amassé beaucoup d’argent, le parrain
tentera de réintégrer l’économie
officielle en investissant dans des «restaurants,
des bars à chicha, des sociétés civiles
immobilières». Il distingue en cela
les «petites racailles» des «gros
voyous», qui nourriraient selon lui
l’espoir secret de «l’embourgeoisement»
et de la «respectabilité».
«Les
politiques ont souhaité acheter la paix
sociale»
Mais les caïds ne
sont pas selon Pandelon les seuls
coupables. «Depuis une trentaine
d’années, les politiques ont souhaité
acheter la paix sociale», pense
Gérald Pandelon. Leur outil? Les
multiples plans de politique de la
ville. Plus de 100 milliards d’euros,
selon
Contribuables associés, depuis les
années 90.
Une «corruption
endémique»: marchés publics contre
voix d’une cité entière ou intimidation
musclée d’un adversaire politique. On se
croirait en Amérique latine, mais c’est
bien de la France que notre
interlocuteur parle. Les deux mondes
pourraient bien se rapprocher pour le
pire:
«Comme au Brésil,
en Colombie, ou au Venezuela, leur
puissance [des caïds, ndlr] est telle
dans l’Hexagone que si ce n’est pas
encore le cas, l’État devra incessamment
négocier avec ces guérillas localisées
pour se maintenir au pouvoir.»
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