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Discours du pape Benoît XVI lors de sa visite à la mosquée
Al-Hussein Bin-Talal d'Amman
Benoît XVI
Dimanche 10 mai 2009 Altesse Royale, Excellences,
Mesdames et Messieurs,
C’est une source de grande joie pour moi de vous
rencontrer ce matin dans ce lieu magnifique. Je souhaite
remercier le Prince Ghazi Ben Mohammed Ben Talal pour ses
aimables paroles de bienvenue. Les nombreuses initiatives de
Votre Altesse Royale en vue de promouvoir le dialogue
interreligieux et interculturel sont appréciées par le peuple du
Royaume hachémite et sont très largement reconnues par la
communauté internationale. Je sais que ces efforts reçoivent le
soutien actif des autres membres de la famille royale comme du
Gouvernement de la Nation, et qu’elles trouvent un large écho à
travers de nombreuses initiatives de collaboration parmi les
Jordaniens. Pour tout cela, je désire exprimer ma sincère
admiration.
Des lieux de culte, comme cette splendide
Mosquée Al-Hussein Ben Talal du nom du révéré Roi défunt, se
dressent comme des joyaux sur la surface de la terre. Les
anciens comme les modernes, les plus splendides comme les plus
humbles, tous ces édifices nous orientent vers le Divin,
l’Unique transcendant, le Tout-Puissant. A travers les siècles,
ces sanctuaires ont attiré des hommes et des femmes dans leur
espace sacré pour qu’ils s’arrêtent, qu’ils prient, pour qu’ils
reconnaissent la présence du Tout-Puissant et pour qu’ils
confessent que nous sommes tous ses créatures. Pour cette
raison, nous ne pouvons pas manquer d’être interpellés par le
fait qu’aujourd’hui, avec une insistance croissante, certains
affirment que la religion faillit dans son ambition à être, par
nature, constructrice d’unité et d’harmonie, à être une
expression de la communion entre les personnes et avec Dieu.
Certains soutiennent même que la religion est
nécessairement une cause de division dans notre monde ; et ils
prétendent que moins d’attention est prêtée à la religion dans
la sphère publique, mieux cela est. Certainement et
malheureusement, l’existence de tensions et de divisions entre
les membres des différentes traditions religieuses, ne peut être
niée. Cependant, ne convient-il pas de reconnaître aussi que
c’est souvent la manipulation idéologique de la religion,
parfois à des fins politiques, qui est le véritable catalyseur
des tensions et des divisions et, parfois même, des violences
dans la société ? Face à cette situation, où les opposants à la
religion cherchent non seulement à réduire sa voix au silence,
mais à la remplacer par la leur, la nécessité pour les croyants
d’être cohérents avec leurs principes et leurs croyances est
ressentie toujours plus vivement.
Musulmans et chrétiens, précisément à cause du
poids de leur histoire commune si souvent marquée par les
incompréhensions, doivent aujourd’hui s’efforcer d’être connus
et reconnus comme des adorateurs de Dieu fidèles à la prière,
fermement décidés à observer et à vivre les commandements du
Très Haut, miséricordieux et compatissant, cohérents dans le
témoignage qu’ils rendent à tout ce qui est vrai et bon, et
toujours conscients de l’origine commune et de la dignité de
toute personne humaine, qui se trouve au sommet du dessein
créateur de Dieu à l’égard du monde et de l’histoire.
La détermination des éducateurs et des
responsables civils et religieux jordaniens à s’assurer que le
versant public de la religion reflète sa véritable nature, est
digne d’éloge. Par l’exemple donné par des individus et des
communautés, et par la prévision des cours et des programmes de
formation, se met en évidence la contribution positive de la
religion dans les secteurs éducatif, culturel, social et
charitable de votre société civile. J’ai eu un exemple de
première main de cet espoir. Hier, j’ai été le témoin du travail
renommé en matière d’éducation et de réhabilitation du Centre
Notre Dame de la Paix, où chrétiens et musulmans transforment la
vie de familles entières, en les assistant pour que leurs
enfants handicapés puissent prendre leur juste place dans la
société.
Plus tôt ce matin, j’ai béni la première pierre
de l’Université de Madaba où de jeunes adultes chrétiens et
musulmans bénéficieront côte à côte d’un enseignement
universitaire, les rendant aptes à contribuer de façon
appropriée au développement économique et social de leur nation.
Les nombreuses initiatives de dialogue interreligieux soutenues
par la famille royale, par la communauté diplomatique, et
parfois entrepris en coordination avec le Conseil Pontifical
pour le Dialogue Interreligieux sont aussi dignes d’éloge.
Cela inclut le travail actuel accompli par
l’Institut Royal pour les Etudes Interreligieuses et pour la
Croyance Islamique, le Message d’Amman de 2004, le Message
interreligieux d’Amman de 2005 et, plus récemment, la lettre
Common Word (Parole commune) qui faisait écho à un thème
consonant à celui de ma première Encyclique : le lien
indissoluble entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain, et la
nature fondamentalement contradictoire de l’usage de la violence
et de l’exclusion au nom de Dieu (cf. Deus caritas est, n.16).
De telles initiatives conduisent clairement à
une meilleure connaissance réciproque, et elles favorisent un
respect grandissant à la fois pour ce que nous avons en commun
et pour ce que nous comprenons différemment. Ainsi,
devraient-elles pousser les Chrétiens et les Musulmans à
explorer toujours plus profondément la relation essentielle
entre Dieu et ce monde de telle façon que nous puissions nous
efforcer d’assurer que la société s’établisse en harmonie avec
l’ordre divin. A cet égard, la coopération développée ici en
Jordanie est une illustration exemplaire et encourageante pour
la région, et même pour le monde, de la contribution positive et
créatrice que la religion peut et doit apporter à la société
civile.
Chers amis, je désire aujourd’hui mentionner une
tâche dont j’ai parlé à de nombreuses reprises et dont je crois
fermement que Chrétiens et Musulmans peuvent la prendre en
charge, particulièrement à travers leurs contributions
respectives à l’enseignement et à l’éducation ainsi qu’au
service public. Il s’agit du défi de développer en vue du bien,
en référence à la foi et à la vérité, le vaste potentiel de la
raison humaine. Les Chrétiens parlent en effet de Dieu, parmi
d’autres façons, en tant que Raison créatrice, qui ordonnes et
gouverne le monde. Et Dieu nous rend capables de participer à sa
raison et donc d’accomplir, en accord avec elle, ce qui est bon.
Les Musulmans rendent un culte à Dieu, le Créateur du ciel et de
la terre, qui a parlé à l’humanité. En tant que croyants au Dieu
unique, nous savons que la raison humaine est elle-même un don
de Dieu et qu’elle s’élève sur les cimes les plus hautes quand
elle est éclairée par la lumière de la vérité divine.
En fait, quand la raison humaine accepte
humblement d’être purifiée par la foi, elle est loin d’en être
affaiblie ; mais elle en est plutôt renforcée pour résister à la
présomption et pour dépasser ses propres limitations. De cette
façon, la raison humaine est stimulée à poursuivre le noble but
de servir le genre humain, en traduisant nos aspirations
communes les plus profondes et en élargissant le débat public,
plutôt qu’en le manipulant ou en le confinant. Ainsi, l’adhésion
authentique à la religion – loin de rendre étroits nos esprits –
élargit-elle l’horizon de la compréhension humaine. Elle protège
la société civile des excès de l’égo débridé qui tend à
absolutiser le fini et à éclipser l’infini, elle assure que la
liberté s’exerce « main dans la main » avec la vérité, et elle
enrichit la culture avec des vues relatives à tout ce qui est
vrai, bon et beau.
Cette manière de concevoir la raison, qui pousse
continuellement l’esprit humain au-delà de lui-même dans la
quête de l’Absolu, constitue un défi ; elle oblige à la fois à
l’espérance et à la prudence. Chrétiens et Musulmans sont
poussés, ensemble, à rechercher tout ce qui est juste et vrai.
Nous sommes liés pour dépasser nos propres intérêts et pour
encourager les autres, les fonctionnaires et les responsables en
particulier, à agir de même pour faire leur la profonde
satisfaction de servir le bien commun, même s’il doit en coûter
personnellement. N’oublions pas que parce que c’est notre
commune dignité humaine qui donne naissance aux droits humains
universels, ceux-ci valent également pour tout homme et toute
femme, quelque soit sa religion et quelque soit le groupe
ethnique ou social auquel il appartienne. À cet égard, nous
devons noter que le droit à la liberté religieuse dépasse la
seule question du culte et inclut le droit – spécialement pour
les minorités – d’avoir accès au marché de l’emploi et aux
autres sphères de la vie publique.
Avant de vous quitter, je voudrais ce matin
mentionner de manière spéciale la présence parmi nous de Sa
Béatitude Emmanuel III Delly, Patriarche de Bagdad, que je salue
chaleureusement. Sa présence me conduit à faire mémoire du
peuple voisin, celui d’Iraq, dont de nombreux membres ont trouvé
refuge ici en Jordanie. Les efforts de la communauté
internationale pour promouvoir la paix et la réconciliation,
conjugués à ceux des responsables locaux, doivent continuer afin
de porter des fruits dans la vie des Iraquiens. Je souhaite
exprimer ma reconnaissance à tous ceux qui sont engagés dans les
efforts pour renouer la confiance et pour rebâtir les
institutions et les infrastructures nécessaires au bien-être de
ce pays. Et, une fois encore, j’invite avec insistance les
diplomates et la communauté internationale qu’ils représentent,
ainsi que les responsables politiques et religieux locaux, à
faire tout ce qui est possible pour assurer à l’antique
communauté chrétienne de cette noble terre ses droits
fondamentaux à une coexistence pacifique avec l’ensemble des
autres citoyens.
Chers amis, je crois que les sentiments que j’ai
exprimés aujourd’hui nous donnent une espérance renouvelée face
à l’avenir. Notre amour et notre service devant le Tout Puissant
s’expriment non seulement dans notre culte mais aussi dans notre
amour et notre préoccupation pour les enfants et les jeunes –
vos familles – et tous les Jordaniens. C’est pour eux que vous
travaillez et ce sont eux qui motivent votre exigence de placer
le bien de toute personne humaine au cœur des institutions, des
lois et des travaux de la société. Puisse la raison, humble et
ennoblie par la grandeur de la vérité de Dieu, continuer à
modeler la vie et les institutions de ce pays, de telle sorte
que les familles puissent prospérer et que tous puissent vivre
en paix, en contribuant à la culture qui donne son unité à ce
grand royaume et en la faisant grandir.
Publié le 12 mai 2009 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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